Du Sbrinz sous le soleil des tropiques
Un expatrié suisse produit du fromage au Brésil

Le paysan suisse Stephan Gähwiler vit depuis 40 ans au Brésil et gagne sa vie comme fromager. C'est ainsi qu'il s'est fait un nom au fil des ans. Il n'envisage plus de revenir en Suisse.
Publié: 16.05.2022 à 09:55 heures
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En 1992, le paysan suisse Stephan Gähwiler a acheté un terrain de 165 hectares à l'extérieur de Corumbá de Goiás, dans l'État de Goiás. Son fils Nikolaus y vit également avec sa famille dans sa propre maison. La production de fromage se trouve également sur la fazenda.
Photo: zVg
Corine Turrini Flury

«Je dois mon savoir-faire à la Suisse, raconte Stephan Gähwiler, agriculteur diplômé, dans un entretien avec Blick. Le niveau d’éducation et les possibilités de formation en Suisse sont bien meilleurs qu’au Brésil.»

L’expatrié a fait sa scolarité à Hausen am Albis (ZH), où sa mère de 92 ans, à qui il rend régulièrement visite, vit toujours. Après sa formation d’agriculteur diplômé, il a travaillé dans différentes fermes en Suisse. «Nous n’avions malheureusement pas notre propre ferme. La Suisse est trop petite pour accueillir de nombreuses exploitations agricoles. Mais mes deux grands-pères étaient agriculteurs, c’est probablement eux qui m’ont transmis le goût de l’agriculture», explique-t-il.

Mieux vaut une économie de marché libre que des subventions

En 1982, le jeune Stephan a été attiré en Amérique du Sud par une offre: diriger une grande exploitation agricole de Suisses et d’Allemands au Brésil. «Il était prévu que je reste trois ans dans cette entreprise. J’y suis resté dix ans», raconte-t-il.

Outre la taille du pays et des exploitations agricoles, les conditions climatiques du Brésil lui plaisent. «Contrairement à la Suisse, il n’y a pas de subventions pour les agriculteurs. Il y a une économie de marché libre et je préfère cela», estime-t-il. Très tôt, le paysan suisse a eu l’idée de produire son propre fromage sur place. «Le bon fromage manquait. Il y avait quelque chose de similaire à la mozzarella, mais pas vraiment de bon fromage.»

Première exploitation à son compte

En 1992, il a acheté son propre terrain de 165 hectares à l’extérieur de Corumba de Goias, à un peu plus de cent kilomètres à l’ouest de la capitale Brasilia. Il y a créé sa propre exploitation agricole avec un cheptel d’environ 200 têtes. En 1991, il a épousé sa petite amie brésilienne. Le couple a deux fils et une fille, qui sont aujourd’hui adultes.

Même si le mariage a été dissous au bout de dix ans, Stephan Gähwiler garde aujourd’hui encore des contacts étroits avec ses trois enfants. Le fils aîné, Lucas, a dirigé la fromagerie pendant un certain temps et vend, entre autres, le fromage de son père à son domicile actuel à Goianias. Niklaus vit avec sa femme et ses deux enfants dans sa propre maison sur la propriété et travaille dans l’entreprise de son père. Clara vit à Pirenopolis, à 45 kilomètres de là, où elle tient un restaurant et y vend bien sûr le fromage tant apprécié de papa.

Formation en solo

«Lorsque j’ai commencé mon entreprise, j’ai vite remarqué que je devais créer mon propre produit pour avoir du succès sur le marché», se souvient Stephan Gähwiler. Il a donc inventé un fromage spécial. Lors de visites en Suisse et chez des producteurs de fromage au Brésil, le Suisse a acquis des connaissances en tant que fromager.

«J’ai également appris beaucoup de choses par moi-même, en lisant et en essayant», explique-t-il. Il a d’abord produit un «mutschli» (ndlr: une sorte de tomme), puis s’est aventuré sur le terrain des fromages plus gros, idéaux pour la raclette. Par la suite, il a créé un fromage à pâte molle et une variété qui rappelle le sbrinz et le parmesan. Ces produits ont permis au Suisse de marquer des points au Brésil.

Aujourd’hui, on trouve son fromage dans de nombreux restaurants et magasins gastronomiques dans tout le Brésil. Des groupes de touristes rendent également souvent visite au fromager suisse et l’observent pendant la fabrication. Les hommes politiques et les diplomates aiment également servir le fromage Gähwiler lors d’événements. «J’ai eu la chance que différents médias aient parlé de mon fromage et de sa production. Cela m’a énormément aidé», se réjouit-il.

Amoureux d’une Suissesse au Brésil

Le Suisse n’a pas seulement eu de la chance sur le plan professionnel dans sa nouvelle patrie, mais aussi en amour. Depuis 17 ans, il est en couple avec Cornelia Casotti, une Suissesse de Coire. Ils se sont rencontrés lors d’une visite guidée

Cette mère célibataire de deux filles adultes a travaillé pendant plus de 21 ans pour l’ambassade suisse dans la capitale Brasilia. «Pendant longtemps, nous sommes restés amis, jusqu’à ce qu’il y ait une étincelle entre nous», souffle Stephan Gähwiler, un peu gêné.

Depuis fin 2021, Cornelia Casotti est à la retraite. En 1993, elle a acheté un terrain de forêt à l’extérieur de Brazlandia, à environ deux heures de route de son compagnon, et a construit l’année dernière une maison avec une piscine et un grand jardin. C’est là que le paysan fromager se repose, lui qui trait ses 22 vaches laitières tous les jours tôt le matin et travaille ensuite toute la journée dans ses champs et dans la fromagerie. «Stephan est un bourreau de travail. En tant que paysan et fromager, il lui est difficile de ne rien faire. Il m’aide aussi pour ma maison», s’enthousiasme Cornelia Casotti à propos de son bien-aimé.

Un fier citoyen d’honneur dans sa nouvelle patrie

Sa maison à lui, sur le terrain qui borde la rivière Rio Corumba, est simple. La cuisine se fait sur un four à bois. Lorsque Cornelia Casotti est là, elle se charge généralement de la cuisine et du ménage. Röstis, raclette et fondue sont bien sûr souvent au menu du couple suisse.

Une grande partie de ce qui se trouve sur la table provient de leurs propres cultures. Le café aussi. Le reste est acheté à Corumba. Lorsque le temps le permet, l’agriculteur se retrouve avec des amis pour un jass. Que ce soit avec des paysans locaux, des hommes d’affaires ou des diplomates, le Suisse est du genre sociable et apprécié. «Je m’entends bien avec tout le monde et j’ai même reçu la citoyenneté d’honneur de Corumba», souligne-t-il. C’est avec fierté qu’il représente la Suisse au Brésil lors de manifestations ou de visites guidées de sa fazenda et qu’il transmet son savoir, notamment en tant que paysan et fromager.

Il est souvent accompagné et soutenu par sa compagne. «Elle s’occupe des commandes et des factures et m’accompagne lors de manifestations ou de livraisons.» Lors des longs trajets, ils ont du temps rien que pour eux. Tout en travaillant, le couple s’accorde aussi de temps en temps des sorties au restaurant et des réunions avec leurs enfants et petits-enfants. «La dernière fois que nous sommes allés à la plage ensemble, c’était il y a 14 ans. Nous préférons tous les deux nous promener à l’intérieur du pays ou explorer un peu l’Amérique du Sud», détaille Cornelia Casotti.

Seul le ski lui manque

Mais le prochain voyage de Stephan Gähwiler le conduira en Suisse, auprès de sa mère et de ses frères et sœurs. Un retour complet en Suisse n’est toutefois pas envisageable pour lui. «La seule chose qui me manque parfois, c’est le ski.»

La passion pour son travail dans sa nouvelle patrie est visible sur le visage du Suisse. Même s’il ne vit pas sous le même toit que sa compagne, tous deux sont satisfaits de la situation et ne veulent pas abandonner leur domicile pour le moment. «Peut-être que j’emménagerais chez elle plus tard, quand je n’aurais plus besoin de travailler à la fazenda et que Niklaus dirigera seul l’exploitation.»

(Adaptation par Jocelyn Daloz)

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