Du cochon et du gras
J'ai mangé du Boutefas avec les meilleurs bouchers vaudois

De la choucroute, de la purée, mais surtout du Boutefas. Vendredi dernier a eu lieu la toute dernière Nuit du Boutefas à Montheron (VD). L'occasion de célébrer le fait que cette spécialité vaudoise vient d'être inscrite au registre de l'AOP.
Publié: 15.05.2022 à 18:48 heures
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Dernière mise à jour: 01.05.2023 à 11:27 heures
Le Boutefas, cette spécialité vaudoise.
Photo: Jessica Chautems
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Jessica ChautemsProduct & AI innovation manager

Un vendredi soir de mai, en pleine forêt dans les hauts de Lausanne, en face de l’Abbaye de Montheron. Les festivités vont bon train dans la grande salle des fêtes décorée pour l’occasion. Ce sont près de 180 personnes qui ont fait le déplacement pour une célébration, et pas n’importe laquelle: la Nuit de Boutefas.

Le bou… quoi? Si vous faite partie des personnes qui, comme la moitié de la rédaction de Blick, ne sont pas familière avec le boutefas, laissez-moi vous expliquer. C’est une charcuterie vaudoise, cousine du fameux saucisson et également à base de porc. Il doit sa forme particulière à l’enveloppe dans laquelle il est conditionné: le cæcum, une des extrémités du boyau du porc.

À l’époque, le boutefas était un plat de fête consommé généralement à l’occasion d’un baptême ou de noces. On le cuit dans de l’eau frémissante – surtout pas bouillante, il pourrait éclater – et on le mange chaud avec de la choucroute et des pommes de terre, par exemple. Froid, il peut finir sur un plateau avec d’autres charcuteries et du fromage.

Mais pourquoi donc le boutefas a-t-il droit à sa nuit? C’est parti d’une idée de Josef Zisyadis, épicurien et ancien membre du Conseil national suisse. Inspiré par la nuit des sept longeoles à Genève, il propose aux autres membres de l’association Slow Food, qui promeut les traditions culinaires locales, de créer un événement pour mettre le boutefas à l’honneur et appuyer sa candidature au registre de l’Appellation d’origine protégée (AOP) qui stipule entre autres que les produits sont fabriqués, transformés et élaborés dans une région bien précise.

Depuis 1991, le politicien se bat pour que la typicité du produit soit reconnue et qu’il obtienne la sacro-sainte AOP. Et après près de deux décennies de travail acharné, en décembre 2021, le boutefas a enfin reçu ce signe d’identification, la première fois pour un produit carné. Cela le protège dans tous ses aspects: de l’alimentation et de la race de cochon utilisée à la température de fumage. Le cahier des charges exact reste encore en discussion.

Un boutefas au poids

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos assiettes. Comme la spécialité vaudoise a été officiellement adoubée, la Nuit du boutefas 2022 est la dernière du nom. Et quelle dernière! Votre humble serviteuse peut en témoigner. Arrivée un peu en avance, j’accoste le Chef Romano Hasenauer, complice de l’évènement depuis la première édition. «Vous êtes venue seule? Parce que j’ai une réservation pour huit, et ça m’arrangerait que vous soyez la dernière personne pour compléter cette table», me lance-t-il. J’obéis et m’installe à ma place.

180 personnes ont fait le déplacement.

Les portes s’ouvrent et une foule bigarrée afflue. Les premiers verres de vin sont servis (et certainement pas les derniers). J’en profite pour discuter avec quelques-uns des cinq finalistes. Parce que oui, on ne va pas seulement s’exploser la panse avec du boutefas ce soir, le public va également élire LE Mister Boutefas 2022. Une première sélection a été effectuée par un jury de connaisseurs et le gagnant de l’édition précédente. C’est une affaire sérieuse.

Tout en grignotant quelques flûtes au gruyère (AOP, il en va sans dire), je participe à un concours un peu particulier: il faut deviner le poids d’un boutefas rien qu’en le soupesant. Je tente et m’empare du vénérable: «1970 grammes.» Plutôt éloigné de la réalité – 1462 grammes – comme je l’apprendrai plus tard avec un certain soulagement (qu’en aurais-je fait?).

Difficile de deviner le poids de ce Boutefas.

«Chers amis du cochon et du gras»

De retour à table, je fais connaissance avec mes compagnons pour la soirée. Ce n’est pas n’importe qui puisque j’ai l’honneur d’être assise avec les producteurs d’un des boutefas finalistes, André et Murielle Bourdilloud de la Boucherie Grandjean, et la petite délégation venue de Cheseaux-sur-Lausanne spécialement pour le soutenir. L’accueil est très chaleureux.

Après l’apéro, les discours. «Chers amis du cochon et du gras», entonne Josef Zisyadis sous un tonnerre d’applaudissements. Le ton est donné. Plusieurs intervenants vont s’alterner pour nous raconter l’histoire de boutefas, dont la première occurrence date de 1634, et le périple de son accession à l’AOP. Le certificat est d’ailleurs remis en mains propres à cette occasion. En parallèle, l’entrée nous est servie: un plateau de fromages suisses, de très fines tranches de pain de seigle et une salade de haricots.

À 20h15, les choses sérieuses commencent. Le Chef Romano Hasenauer vient annoncer que, comme chaque année, il a besoin de dix volontaires pour dresser les assiettes. Sous le regard amusé de ma tablée, je me précipite en cuisine. Quelques instructions et une paire de gants en latex plus tard, nous commençons à préparer les quelque 200 plats: après une louche de purée et une de choucroute, il faut aligner soigneusement une demi-tranche de chaque Boutefas finaliste sous l’œil attentif du Chef. «On dit que l’armée ça crée des liens, mais là, ça c’est tout autre chose», rigole un volontaire. Impossible de tricher. Les bacs de charcuterie ne sont désignés que par des numéros.

Les cinq finalistes en assiette.

Passons à la dégustation

De retour à table, je me lance dans la dégustation. Je ne vais pas le cacher, ce n’est pas facile. Même André et Murielle ne parviennent pas à savoir avec certitude quel est leur produit. Ils sont tous fumés et délicieusement gras. Il y a quand même des petites différences, comme la quantité de sel et de quelques très discrètes notes d’anis ou de fenouil.

Mais c’est surtout la texture qui change: certaines tranches sont plus moelleuses, d’autres plus sèches. Parmi les cinq, je dois définir quel est le meilleur selon moi, et le noter sur la petite fiche que nous avons reçue à cet effet. J’hésite entre les boutefas numéros 3 et 4. Quelques bouchées de l’onctueuse purée de pomme de terre et de choucroute, bien acide, et je regoûte. C’est le numéro 4 que je vais finalement choisir, comme tous mes compagnons de table. Il est temps de remettre tous nos bulletins pour le comptage.

Après un dessert de glace et de meringue, le moment tant attendu est arrivé. Les lumières sont tamisées, et la maîtresse de cérémonie demande aux cinq finalistes de se lever, sous les applaudissements vigoureux de la foule. Au micro, Brigitte Streiff annonce: «Le prix de Mister Boutefas 2022 revient à… la Boucherie du Tilleul!» Visiblement ému, Blaise Morier remercie le public d’avoir voté pour son boutefas et félicite ses concurrents. C’est donc le numéro 3 qui a remporté les faveurs de la majorité.

L'heureux gagnant, Blaise Morier, avec la présidente de Slow Food.

«C’est vraiment une bonne surprise. Ça fait une semaine que je mange du Boutefas tous les jours, et honnêtement, je n’étais pas très satisfait de mon produit», confie le gagnant quelques minutes après l’annonce. Et obtenir le label AOP pour son Boutefas, c’est pour bientôt? «Je ne sais pas encore. C’est très compliqué comme processus, il faudrait que je fasse quelques ajustements.» Parmi les autres bouchers, on se pose également la question. Le cahier des charges sera plutôt restrictif. Pour pouvoir obtenir les trois lettres, il faudra se conformer à ses nombreuses exigences.

À ma table, un peu de déception, mais aussi le sentiment d’avoir passé une joyeuse soirée en agréable compagnie. «On n’a peut-être pas gardé les cochons ensembles, mais on les a certainement mangés ensembles», me glisse mon voisin de droite en rigolant. Une belle dernière pour la nuit du boutefas… AOP.

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