Dispute sur les deuxième et troisième piliers
Karin Keller-Suter visée par son propre parti et le lobby financier

Le Conseil fédéral veut taxer davantage les versements en capital des deuxième et troisième piliers. Le PLR et le lobby financier s'y opposent – ils craignent de perdre un modèle commercial attractif.
Publié: 27.10.2024 à 18:14 heures
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La conseillère fédérale PLR Karin Keller-Sutter ressent des vents contraires au sein de son propre parti.
Photo: keystone-sda.ch
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Raphael Rauch

Les communiqués de presse sont rarement envoyés à 18h43: c'est trop tard pour être ajouté dans les journaux imprimés pour le lendemain matin et c'est trop lourd pour être repris en soirée par la presse numérique. 

Malgré cela, le Parti libéral-radical (PLR) s'est vu contraint de réagir lundi soir à un article du «SonntagsZeitung». Celui-ci avait pour titre: «L'attaque de Keller-Sutter contre la classe moyenne et les gros revenus». La riposte du communiqué du PLR était la suivante: «Logique de gauche au Conseil fédéral: au lieu d'économiser, il menace de nouveaux impôts dans la prévoyance.»

Même si le communiqué de presse du PLR a été envoyé tardivement, il fait parler de lui dans la Berne fédérale. Après tout, le Conseil fédéral, avec sa majorité bourgeoise, ne suit habituellement aucune logique prétendument de gauche – et encore moins avec la puissante ministre des Finances du PLR Karin Keller-Sutter.

Pourquoi le PLR critique-t-il, du moins implicitement, sa propre ministre des Finances? Le haut fonctionnaire à la retraite Serge Gaillard et sa commission d'experts avaient souligné que 200 millions de francs échappaient chaque année à l'Etat – en raison des avantages fiscaux accordés aux personnes qui se font verser leur argent des deuxième et troisième piliers. C'est pourquoi ces avantages fiscaux doivent être supprimés et font partie d'un grand paquet d'économies en cours d'élaboration.

«Symétrie des sacrifices» dans les exercices d'économie

Jusqu'à présent, il était question de «symétrie des sacrifices» dans les exercices d'économie: Si l'on coupe dans les crèches, on coupe aussi dans les privilèges fiscaux pour les personnes à hauts revenus. Tout ce qui déséquilibre la «symétrie des sacrifices» devrait conduire à de nouvelles et âpres négociations. Un parlementaire PLR, qui souhaite rester anonyme, déclare à Blick: «La gauche va exiger une contrepartie. De ce point de vue, Karin (Keller-Suter) n'aurait jamais dû permettre que la proposition de Gaillard soit poursuivie.»

Le chef du PLR Thierry Burkart met Karin Keller-Sutter face à ses responsabilités: «Il s'agit d'une proposition du groupe d'experts autour de Serge Gaillard. L'ensemble du Conseil fédéral a maintenant décidé de l'examiner comme une concession à la gauche. Il n'y a pas de décision définitive. Je suis convaincu que la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter s'y opposera au sein du Conseil fédéral.» Jeudi, le PLR a lancé une pétition et fait monter la pression: «Si la gauche et les maniaques du fisc l'emportent malgré tout au Parlement, le PLR lancera un référendum.»

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Le Conseil fédéral contredit totalement la logique selon laquelle la Confédération a un problème de dépenses et non un problème de recettes
Selon un document du lobby financier
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Le lobby financier joue gros

Mais le lobby financier est encore plus alarmiste que le PLR. Blick dispose d'un document sur la manière dont les plans du Conseil fédéral doivent être repoussés par des arguments. Le message principal est le suivant: «Le Conseil fédéral contredit totalement la logique selon laquelle la Confédération a un problème de dépenses et non un problème de recettes.» Du point de vue de l'économie, le Conseil fédéral envoie «un signal totalement erroné à la politique».

Ce que le lobby financier ne dit pas, c'est qu'il craint de perdre un modèle commercial attractif. La prévoyance vieillesse est une affaire qui se chiffre en milliards. Pour la gestion du pilier 3a, le secteur financier encaisse chaque année, selon les experts, des frais à hauteur d'au moins 1% de la fortune gérée – pour environ 140 milliards de francs de fortune gérée actuellement, cela représente 1,4 milliard de francs par an.

Dans le deuxième pilier, 1200 milliards de francs de fortune de prévoyance sont gérés. Les coûts y afférents dépassent 0,7% – ce qui représente 8,6 milliards de francs par an. En fin de compte, l'industrie financière gagne au moins 10 milliards de francs par an avec les deuxième et troisième piliers. Il est donc logique qu'elle s'oppose bec et ongles à une imposition plus élevée dans ces piliers.

L'Association suisse des banquiers est réticente

L'Association suisse des banquiers fait savoir avec diplomatie: «Pour procéder à une évaluation précise, nous attendons la concrétisation des mesures et nous interviendrons par conséquent dans le cadre de la procédure de consultation.»

En revanche, les propos du conseiller national PLR Hans-Peter Portmann, qui est également directeur suisse de la banque liechtensteinoise LGT, sont cinglants: «La prévoyance privée, fondée sur la responsabilité individuelle, doit être encore plus encouragée. Une imposition plus élevée n'est pas envisageable.»

L'Association Suisse d'Assurances (ASA) est également convaincue: «C'est l'épargne privée qui doit gagner en importance, et non l'inverse», estime le directeur de l'ASA, Urs Arbter. «Cette mesure réduirait les incitations à l'épargne-retraite volontaire, qui est très importante. C'est contraire au bon sens.»

Urs Arbter est-il déçu par la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter qui, en tant qu'ancienne membre du conseil d'administration de l'assurance Bâloise, ne pense pas davantage aux intérêts des assurances? Urs Arbter fait signe que non: «C'est une proposition de l'ensemble du Conseil fédéral, pas de la ministre des Finances.»

Traiter différemment le 2e et le 3e pilier?

Le chef du Parti socialiste Cédric Wermuth soupçonne derrière le lobbying de l'industrie financière une «manœuvre de diversion habilement mise en place par la ministre des Finances et le PLR», car «le Conseil fédéral bloque tout débat sérieux sur l'échec de la politique de subventionnement fiscal des riches et des multinationales de ces dernières années». Le PLR serait «le porteur d'eau du lobby financier».

Le Département fédéral des finances (DFF) communique: «La mesure est maintenant en cours d'élaboration, comme les quelque 60 autres du paquet. Pour l'instant, de nombreuses questions restent ouvertes quant à son aménagement possible, y compris celle de savoir si le 2e et le 3e pilier doivent être traités différemment.»

La tâche de Karin Keller-Sutter ne s'est pas simplifiée cette semaine, car son département a également annoncé: Le déficit de la Confédération en 2024, qui s'élève à 900 millions de francs, est moins important que prévu. Ce déficit est uniquement dû à des dépenses extraordinaires. Les comptes ordinaires, qui sont pertinents pour le frein à l'endettement, prévoient même un excédent de 200 millions de francs.

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