Des relations ternies avec les États-Unis
L'ancien directeur de la BNS veut rediscuter de l'achat des F-35

Le Conseil fédéral se prépare à un changement dans les relations transatlantiques. D'anciens diplomates et économistes ont été consultés pour élaborer une stratégie face à la nouvelle administration américaine.
Publié: 06.04.2025 à 16:12 heures
|
Dernière mise à jour: 06.04.2025 à 16:22 heures
1/5
Le vice-président de Blackrock, Philipp Hildebrand, veut rediscuter de l'acquisition par la Suisse du F-35.
Photo: Keystone
Raphael_Rauch (1).jpg
Raphael Rauch

La Suisse a de l'espoir. En janvier, la présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter, a déclaré dans l'émission «Arena» de la SRF qu'il ne fallait pas prendre au pied de la lettre tout ce que disait Donald Trump. En février, lors de la conférence sur la sécurité de Munich, elle a salué le discours europhobe du vice-président de Trump, J.D. Vance, le qualifiant de libéral. Mais depuis que Trump a frappé notre pays avec ses tarifs douaniers mercredi soir, Karin Keller-Sutter se dit «déçue». La déception exprimée par la présidente de la Confédération ressemble à un amour à sens unique. L'espoir du Conseil fédéral d'occuper une place particulière dans le cœur de Trump s'est avéré naïf, et le comble semble être que la Suisse souffre bien plus que l'UE pourtant détestée par Trump.

Karin Keller-Sutter aurait pu le voir venir, Donald Trump ne lui est pas un inconnu. En 2018, elle s'était rendue au Forum économique mondial (WEF) de Davos en tant que présidente du Conseil des Etats et avait brièvement serré la main du président américain. Mais à l'époque, ce dernier ne s'était pas particulièrement intéressé à la politicienne du PLR. Aujourd'hui, en tant que présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter doit chercher à obtenir le meilleur pour la Suisse à Washington et son collègue, le ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, ne l'aide pas beaucoup. Ce dernier n'a toujours pas pris le temps d'appeler son homologue américain, Marco Rubio.

De plus, les négociations avec Washington risquent d'être plus compliquées qu'en 2018, bien qu'à l'époque déjà, Donald Trump n'était pas en bons termes avec la Suisse. Lors du WEF, le président américain s'en était pris au président de la Confédération de l'époque, Alain Berset. Trump avait accusé la Suisse de manipuler sa monnaie avec le franc, critiqué l'excédent de la balance commerciale suisse, s'était emporté contre la politique agricole du pays et avait même reproché à Alain Berset d'exporter des téléskis vers la Corée du Nord. À cette époque déjà, l'intérêt de Trump pour les faits semblait limité.

Des conséquences massives pour la Suisse

Les conséquences du coup de massue douanier de Trump sont énormes pour la Suisse. Le Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l'EPFZ estimait en octobre que les droits de douane imposés par Trump coûteraient à chaque Suisse au moins 200 francs par an. Aujourd'hui, le KOF prévoit un montant «bien plus élevé», si la Chine maintient ses mesures de rétorsion et si le conflit douanier persiste, voire s'aggrave.

D'après Johannes Fritz, économiste à l'Université de Saint-Gall (HSG) et membre de «Global Trade Alert», la Suisse est le troisième pays le plus touché par ces mesures, après le Vietnam et la Thaïlande, en termes d'exportations réelles. «La Suisse exporte par exemple une grande quantité de café vers les Etats-Unis. La Colombie, également productrice de café, a, quant à elle, été frappée par seulement 10% de droits de douane», explique Johannes Fritz dans un entretien avec Blick. La situation est similaire dans le secteur de la construction de machines, où la Suisse se trouve en concurrence avec l'UE, qui bénéficie d'une réduction de 12% sur les droits de douane par rapport à la Suisse.

Changement dans les relations transatlantiques

Indépendamment des évolutions politiques, la Suisse doit se préparer à un changement dans les relations transatlantiques. Avant l'annonce des tarifs douaniers de Trump, le Conseil fédéral s'est réuni en secret. L'ancien ambassadeur de Suisse à Washington, Martin Dahinden, et l'ancien directeur de la Banque nationale et actuel vice-président de Blackrock, Philipp Hildebrand, étaient présents.

Selon des informations obtenues par Blick, Martin Dahinden a conseillé au Conseil fédéral de garder son calme. Il est désormais essentiel de construire progressivement une relation avec la nouvelle administration américaine. Dans des interviews précédentes, Martin Dahinden avait souligné que la Suisse, en tant qu'investisseur, est plus importante pour les Etats-Unis que la France ou l'Italie: «Beaucoup d'Américains ne le savent pas, il est donc nécessaire de le rappeler.»

Discussion sur le F-35

Philipp Hildebrand, de son côté, s'est montré beaucoup plus pessimiste, en particulier concernant la situation sécuritaire et les futures relations transatlantiques. Selon lui, la Suisse doit participer au réarmement européen. L'ancien directeur de la Banque nationale a notamment proposé de rediscuter de l'acquisition de l'avion de combat américain F-35.

«
Pendant trop longtemps, les propositions de Paris pour une capacité de défense commune sont restées sans réponse
Ulrich Schlie
»

Le débat sur le F-35 continue dans les capitales européennes. «Pendant trop longtemps, les propositions de Paris pour une capacité de défense européenne commune sont restées sans réponse», a déclaré cette semaine Ulrich Schlie, ancien chef d'état-major de planification au ministère allemand de la Défense, lors d'un congrès militaire à Paris. Selon lui, l'Europe doit se libérer autant que possible des systèmes américains, ce qui inclut aussi la production des F-35. Cependant, il est peu probable que la Suisse interrompe l'acquisition du F-35, ce qui serait perçu par Trump comme une violation des accords. Le Conseil fédéral préfère ne pas se prononcer sur cette question et se réfère à la confidentialité des discussions internes.

Importer des oranges de Floride, une solution?

La Suisse continue de miser sur le principe de l'espoir et se prépare à faire de grands efforts. Dès ce dimanche, selon les informations de Blick, la secrétaire d'Etat Helene Budliger Artieda repartira pour les Etats-Unis afin de tenter de faire évoluer la situation. Il ne faut pas s'attendre à des résultats rapides, car la diplomatie commerciale exige de nombreux voyages et beaucoup de temps. Dans deux semaines environ, la présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter, et le ministre de l'Economie, Guy Parmelin, se rendront également à Washington. À Berne, on discute de «solutions créatives», allant de l'idée qu'un golfeur suisse pourrait réussir à ramener Trump à la raison, à celle selon laquelle les entreprises suisses pourraient investir davantage aux États-Unis ou importer des oranges de Floride.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la