«La Poste est aujourd'hui propre»: tels étaient les propos de son président Christian Levrat le 11 mars dernier dans Blick. Deux mois plus tard, PostFinance, qui fait partie du groupe de La Poste, suscite le doute.
Des soupçons s'orientent vers le portefeuille immobilier du groupe public: celui-ci arnaquerait les locataires. Des reproches similaires sont adressés aux CFF, dont le patrimoine immobilier compte 3500 logements. L'objectif de la division immobilière des CFF, dirigée par Alexander Muhm, est d'obtenir les meilleurs revenus possibles grâce aux loyers de marché, comme le montre un document interne.
Les CFF veulent des loyers «de marché»
Clarifions la chose suivante: en Suisse, on fait la distinction entre les loyers basés sur les coûts et les loyers de marché. Comme son nom l'indique, le loyer basé sur les coûts se fonde sur les frais encourus par le bailleur. En revanche, dans le cas du loyer de marché, c'est l'offre et la demande qui déterminent le loyer. Les bailleurs ne sont toutefois pas totalement libres. Lors de la fixation du loyer, ils doivent se baser sur les usages locaux. Ils ne doivent donc pas faire payer plus que ce qui est demandé pour des objets similaires dans la même situation. Mais bien souvent, prouver qu'un bailleur ne respecte pas cette règle relève du chemin de croix.
Selon le document interne que Blick s'est procuré, les CFF veulent proposer tous leurs objets de location aux loyers de marché. Selon l'analyse datant de 2019 et adressée à un membre actuel de la direction de CFF-Immobilier, cela conduirait à l'aboutissement de plaintes pour des immeubles situés dans divers centres-villes.
Risque assumé de perdre en justice
L'Europaallee par exemple, à la gare centrale de Zurich, y est explicitement mentionnée: «Les loyers plus bas des petits magasins au rez-de-chaussée sont compensés par les loyers plus élevés des bureaux situés au-dessus.»
Avec ce document, les CFF ont clairement indiqué le risque de perdre devant le juge si les locataires contestent le loyer. Le rapport conclut que le risque peut être accepté dans certains cas. Surtout parce qu'il est très difficile pour les locataires de prouver que le loyer est injustement élevé.
Gare à la médiatisation chez les CFF!
En cas d'augmentation du loyer de plus de 10%, le rapport recommande toutefois de veiller à la qualité des échanges entre les locataires. Tant que seuls quelques locataires contestent le montant du loyer, cela est supportable. Mais il en va autrement «si plusieurs locataires de l'immeuble s'y opposent», peut-on lire.
En outre, l'auteur met en garde contre le risque pour la réputation de l'entreprise fédérale si l'on apprend que de nombreux locataires des CFF portent plainte. «Une contestation médiatisée» devrait être évitée.
Intervention contre les entreprises fédérales
Tout cela passe mal auprès des politiques. «Le document que vous avez cité le montre: les CFF savent que leur objectif de proposer le plus grand nombre possible de logements aux loyers du marché conduit à des loyers excessifs et donc illégaux», déclare Tobias Vögeli, coprésident des Jeunes Verts'libéraux (JPVL). Avec le conseiller national PVL Beat Flach, ils s'opposent aux loyers injustement élevés exigés par les entreprises publiques.
Beat Flach a déposé cette semaine une motion visant une intervention pour la transparence des loyers. Les entreprises publiques doivent être obligées de publier régulièrement les loyers et les rendements de leurs biens immobiliers.
Car, en cas de loyer excessif, c'est aujourd'hui au locataire de prouver le caractère abusif du loyer. «Dans la pratique, cette preuve est difficile à apporter», explique Beat Flach. C'est pourquoi il existe un devoir de collaboration du bailleur, qui doit publier sa base de calcul.
Les régies fédérales assurent pratiquer des prix corrects
Il existe toutefois une exception, qui s'applique régulièrement aux entreprises d'État. Lorsque le propriétaire du bien a été le même pendant 30 ans, il n'est plus soumis à ce devoir de collaboration. Souvent, les propriétaires immobiliers refusent de fournir la base de calcul en se référant à cette exception.
Et c'est là que nous revenons à La Poste et à sa filiale PostFinance. L'association des locataires se bat devant la justice pour obtenir la communication de ces données dans le cas d'un immeuble à Zurich-Oerlikon. Le fait que PostFinance s'oppose à la publication laisse fortement entendre que le loyer est trop élevé.
Interrogée à ce sujet, La Poste affirme qu'elle attache beaucoup d'importance à une politique de loyers équitable. L'immeuble d'Oerlikon aurait été entièrement modernisé et réaffecté au cours des dernières années: «Concrètement, nous avons transformé des bureaux en logements que nous louons à des conditions modérées, notamment en comparaison avec les loyers usuels du quartier et de la localité.»
En règle générale, PostFinance ne refuse pas de dévoiler ses calculs de rendement dans liés à ses biens immobiliers. Mais dans ce cas précis, la société dit ne pas pouvoir s'exprimer davantage étant donné la procédure judiciaire en cours.
«Situation juridique peu claire»
Les CFF affirment également vouloir être un bailleur équitable. L'entreprise publique part du principe qu'elle «fixe les loyers correctement et à un niveau approprié». Mais «il n'est toutefois pas exclu qu'il existe un risque de contestation dans certains cas en raison d'une situation juridique peu claire».
Pour des entreprises publiques censées appartenir aux Suisses, une arnaque aux loyers serait plus que choquante. Elle n'est pas non plus compatible avec les objectifs du Conseil fédéral, qui exigent de La Poste comme des CFF qu'ils poursuivent une «stratégie d'entreprise durable et respectueuse des principes éthiques».
Si les entreprises fédérales devaient à l'avenir être obligées de publier leurs rendements, il serait alors possible d'affirmer si les CFF et La Poste sont ou non réellement propres en la matière.
(Adaptation par Thibault Gilgen)