L'un s'appelle Fabio Peng, l'autre préfère garder son identité secrète, «parce que l'important, ce sont les trains». Ils ont en commun d'être pilotes de locomotive et surtout d'avoir davantage de followers sur Twitter que le patron des CFF Vincent Ducrot.
Sur le réseau social à l'oiseau bleu, les deux pilotes font rêver des milliers de personnes des deux côtés de la Sarine. Fabio Peng est employé des Chemins de fer rhétiques dans les Grisons, tandis que celui que nous nommerons Yvan, 25 ans, a quitté les montagnes jurassiennes pour s'installer à Genève depuis qu'il travaille pour les CFF.
Voilà un an qu'Yvan conduit des trains, après presque deux ans d'une formation rallongée par le Covid. Cela fait au moins autant de temps qu'il anime son compte Twitter, @sbbtraindriver. «Je partageais des choses sur mon compte privé et j'ai eu l'idée de faire un compte, comment dire, professionnel», rigole le pilote de locomotive au téléphone avec un accent jurassien qu'il assure avoir «beaucoup perdu» depuis son déménagement au bout du Léman.
«Les Français sont ébahis»
Sur Twitter, Yvan est hyperactif. Pour autant, tout est spontané. «Ma mission est d'abord de conduire des trains. Je ne suis pas du tout influenceur! C'est juste que, souvent, j'ai la chance de vivre des moments que j'ai envie de partager», raconte modestement le Jurassien. Le succès est au rendez-vous: ses vidéos récoltent des milliers de vues et engendrent de nombreux commentaires enthousiastes.
Un succès qui dépasse les frontières helvétiques. «C'est drôle, parce que les Français, par exemple, sont ébahis devant des choses qui nous paraissent tout à fait normales. Mais il y a aussi des traditions que les Suisses ne connaissent pas.» Le pilote de locomotive cite la coutume des trains et bateaux qui se répondent par sifflets interposés lorsqu'ils se croisent dans Lavaux.
Sur les réseaux sociaux, ce qui marche le mieux sont clairement les photos et les vidéos, même si les informations distillées sur le monde ferroviaire captivent également. Comment le «trainfluenceur» qui n'en est pas un fait-il pour réaliser des prises de vues en conduisant? «J'ai un support où je fixe mon téléphone, et dès que c'est intéressant j'enregistre. Il n'y a rien de programmé à l'avance», explique le jeune homme.
De l'autre côté de la Sarine, c'est Fabio Peng qui fait office de référence en matière de vidéos ferroviaires. Le Grison a dépassé les 10'000 followers cette semaine. Conducteur aux Rhätische Bahn, les trains des Grisons, le jeune homme cartonne particulièrement l'hiver — saison où son canton prend des airs de Winter Wonderland. Ses vidéos capturées avec un trépied installé contre la vitre de la locomotive font rêver les internautes du monde entier.
Comment les CFF prennent-ils cette concurrence interne en matière de marketing? Bien, évidemment: cette publicité gratuite est très efficace. «Nous saluons l'engagement bénévole de ces deux ambassadeurs, qui portent la fierté du train dans le pays», explique Sabine Baumgartner, porte-parole de l'ex-régie fédérale.
Dans le cadre du programme internet #sbbconnect, les CFF entretiennent un «échange intense avec leurs collaborateurs actifs sur les médias sociaux», précise-t-elle. Contrairement à beaucoup d'autres, l'entreprise ne fait pas appel à des influenceurs pour faire sa promotion.
Sur YouTube aussi
Du côté d'Yvan, le retour est plus partagé. «Les équipes marketing nous adorent, mais c'est parfois un peu plus compliqué sur le terrain. Il y a certains chefs qui ne comprennent pas que l'on prenne du temps pour faire ça. Disons qu'il y a deux écoles, deux visions différentes de la communication.» Le CEO des CFF Vincent Ducrot fait partie des enthousiastes: il arrive au Fribourgeois d'interagir avec les tweets d'Yvan et de les relayer parfois.
Les trains suisses font l'objet d'une certaine fascination sur les réseaux sociaux. De nombreux influenceurs étrangers, notamment sur YouTube, profitent de leur venue dans notre pays pour en raconter le système ferroviaire.
Yvan a-t-il encore des rêves en matière de trains? Pour ce qui est de les conduire, le Jurassien espère bientôt pouvoir expérimenter de nouvelles lignes, par exemple le «train des vignes» entre Puidoux et Vevey. En tant que passager, en revanche, le Jurassien a fait le tour du réseau, rigole-t-il. Son rêve est facile à deviner: le Transsibérien, ce train qui s'étend sur près de 10'000 kilomètres entre Moscou et Vladivostok via 990 gares.