La réaction de ces deux élus lausannois a lancé le débat du jour à la rédaction de Blick. Faut-il partir en guerre contre les ultras, responsables de débordements dans et autour des stades de football ou faut-il miser sur davantage de compréhension mutuelle et de dialogue? Tim Guillemin, responsable du Pôle Sport, et Antoine Hürlimann, responsable du Pôle News et Enquête, débattent sur WhatsApp entre deux articles.
La victoire 1-0 du Lausanne-Sport contre Zurich, samedi 13 avril, est l’occasion de faire un bilan de l’année écoulée. Pas celui de la pelouse, mais celui de la rue. Je l’affirme sans ambages: pour le pékin comme moi qui ne s’intéresse que de loin au ballon rond local, il y a eu davantage de spectacle en dehors du stade qu’à l’intérieur. Et quel triste tableau!
Avec leurs trois clubs promus en Super League, les Vaudoises et les Vaudois ont subi les errances de ces gens, que l’on nomme poliment «ultras», dont le comportement flirte trop souvent avec celui des animaux. Combien de temps la population va devoir encore supporter ce cirque pathétique, digne des arènes romaines et de leurs bas instincts carnassiers?
Et que s’est-il passé au juste, Antoine, ce samedi? A quelles scènes de violence urbaine as-tu assisté, très précisément? Je ne vais jamais nier les désagréments que subit la population un jour de match, et je me mets à la place des commerçants se trouvant sur le chemin du cortège, mais tu généralises beaucoup trop. Les ultras ne sont pas des «animaux» et c’est justement en les traitant ainsi que l’on arrive à la situation actuelle, laquelle est aberrante tant du point de vue de l’efficacité de la répression (contre-productive) que du simple bon sens.
Pour moi, il n’existe qu’une solution pour arriver à la cohabitation entre ultras et population civile: la responsabilisation. Regarde à Yverdon, vu que tu parles des clubs vaudois: le «good hosting» se passe bien, avec une ligne claire: tout faire pour bien accueillir les ultras, lesquels sont mis face à leurs responsabilités. S’il y a un problème: c’est de leur faute. À l’inverse, la méthode genevoise, c’est-à-dire tout faire pour que ça se passe mal, ne fonctionne manifestement pas.
Oh, pas besoin d’arriver à une extrémité telle qu’à Genève début avril, lorsque la police a dû pénétrer avec force dans le stade, pour s’indigner. La nouvelle réalité hebdomadaire des Vaudoises et des Vaudois est violente! À Lausanne, sans même évoquer les commerçants et les automobilistes, des dizaines de milliers de personnes se trouvent privées de transports publics durant plusieurs heures chaque week-end pour laisser transhumer de la gare aux stades quelques centaines de têtes, qui enquillent des canettes et vident leur vessie dans les buissons et jardins croisés en chemin.
Tout ça parce que ces types ne sont pas capables de se tenir dans les bus mis à disposition pour les transporter qu'ils avaient ravagés. Aujourd’hui, une infime minorité de grossiers personnages donne le ton à une majorité à qui on demande de serrer les dents en silence. Cette situation intolérable appelle des mesures fortes et donc bien plus corsées que le bouillon de morts servi par les autorités, les clubs et la Swiss Football League: billets nominatifs, interdiction de cortège et peines sévères en cas de débordements.
J’imagine que tu parles de «bouillons de mots» plutôt que de «bouillons de morts», mais le lapsus est intéressant. 😊
Pour le reste, toujours autant de généralités malheureusement. Oui, des bus ont été ravagés. Oui, des commerçants ont peur. Mais tu me proposes des solutions radicales pour «enquillage de bières» et «urinage sur la voie publique»… Je ne nie pas des violences ponctuelles et personne de sensé ne peut le faire. J’affirme par contre qu’elle n’est pas systémique et permanente, contrairement à ce qu’une partie du discours politique veut faire croire.
Il faut toujours condamner la violence et tu ne me verras jamais dire, écrire ou soutenir le contraire. Et j’estime qu’il faut trouver des solutions constructives, par le dialogue et, j’insiste, la responsabilisation. Je suis d’accord pour dire que la question des transports est délicate. Je peux imaginer une solution à base de bus privés, loués par les ultras eux-mêmes et escortés depuis l’autoroute au stade par les forces de police. S’il y a des dégâts dans les bus, ceux qui les ont réservés (les ultras eux-mêmes donc) sont responsables. Cette solution-là me semble constructive et viable.
Sinon? Les billets nominatifs ne résoudront rien concernant les problèmes en dehors des stades, j’espère que tu me l’accorderas. Quant aux peines sévères en cas de débordements, je suis d’accord avec toi. De manière ciblée et individuelle. Pour la simple et bonne raison que les sanctions collectives sont toujours injustes et contre-productives. Parce que pour moi ton raisonnement est faux, de base. Tu prônes, comme moi, l’apaisement. Mais pour y arriver, tu veux une augmentation de la répression, qui mènera selon moi à une escalade de la violence, comme récemment à Genève. Je prône le dialogue et la responsabilisation pour calmer les esprits.
Je ne parle pas seulement d'«enquillage de bières» et «d’urinage sur la voie publique» mais d’individus qui refusent purement et simplement de faire société. De gens qui, par leurs actes, ont décidé que leur toute petite personne et leur exutoire étaient plus importants que le bon fonctionnement de la collectivité. Et je te demande, Tim, au nom de quel principe devrions-nous être «de bons hôtes» avec ce genre de personnes?
Oui, je suis d’accord avec toi, le dialogue est important. Oui, les billets nominatifs ne résoudront certainement pas grand-chose en dehors des stades. Par ailleurs, la solution que tu esquisses concernant les transports est intéressante et a le mérite de ne pas coûter un centime aux contribuables. Mais, à mes yeux, la problématique qui nous occupe aujourd’hui pose une question plus large: doit-on tout faire pour que notre socle commun, nos lois et règles, s’assouplisse pour intégrer ceux qui s’y refusent ou doit-on contraindre ces derniers à entrer dans le moule, quitte à y aller au chausse-pied? J’ai personnellement mon avis.
Nos lois et nos règles ne doivent pas s’assouplir pour les ultras. Ils doivent s’y plier comme toute personne sur le territoire suisse. C’est pour cela que je dis que les sanctions individuelles doivent être appliquées, au stade comme en dehors, comme dans un bar ou n’importe où. Le fauteur de troubles est sanctionné, point.
Tu me parles de liberté, allons donc sur ce terrain: pourquoi une personne innocente devrait-elle être punie parce qu’une personne à côté d’elle a fauté? La liberté de se regrouper existe, celle de se déplacer aussi. Supporter son équipe n’est pas un crime et je considère justement que le déni démocratique est plutôt du côté des autorités depuis quelques mois… Ce sont elles qui outrepassent leurs droits et vont trop loin dans la répression.
Je reconnais volontiers que cette regrettable situation ouvre la boîte de Pandore me concernant. Jusqu’ici, je n’aurais jamais au grand jamais défendu une punition collective. Mais quand je vois les autorités — aussi fermes que des ectoplasmes — les clubs et la league se renvoyer continuellement la balle parce que personne n’ose se mettre à dos quelques centaines d’inadaptés sociaux, je ne vois pas d’autre solution.
Imaginons un cas extrême qui irait jusqu’à une interdiction de match. Certainement que l’extrême majorité des supporters qui se comporte bien trouverait cela injuste. Conséquence? Une grogne légitime se ferait entendre et cela aurait peut-être pour effet de pousser les différents acteurs à vraiment faire le ménage là où la crasse s’amoncelle depuis trop longtemps.
Tu sais, j’ai l’impression qu’il y a surtout beaucoup d’hypocrisie. Notamment de la part des clubs, qui assurent tout faire, des trémolos dans la voix, pour lutter contre les excès des ultras. Pour moi, «tout faire» ne signifie pas simplement glisser au micro que la pyrotechnie est interdite quand les volutes des fumigènes commencent à faire tousser dans les gradins. «Tout faire» serait — par exemple — empêcher que ce type d’engins pénètrent dans les stades où des familles viennent passer un bon moment et utiliser les caméras à disposition afin d’identifier les fauteurs de troubles puis de les dénoncer. J’ai le sentiment qu’on a suffisamment tourné autour du pot. Il est maintenant temps que les responsables prennent leurs… responsabilités et que l’intolérable ne soit plus toléré.
Encore une fois, je ne te suis pas dans cette généralisation que j’estime abusive. Tu sautes allègrement de la violence à la pyrotechnie, deux thèmes qui n’ont rien à voir. Qui te dit que les familles ne viennent pas aussi pour le spectacle dans les tribunes, dont fait partie la pyrotechnie?
La thèse ne tient pas: les stades n’ont jamais été aussi pleins en Super League que ces dernières saisons! Restons à Lausanne: après le match contre Servette, marqué par de la violence (que j’ai condamnée immédiatement) et beaucoup (même trop, j’avoue) de pyrotechnie, j’ai entendu de tous les côtés: les familles sont dégoûtées, elles ne vont pas revenir, le stade va être désert. Le résultat concret? Les affluences sont de 11’000, 7000 et 7000 pour les trois derniers matches à la Tuilière… Manifestement, les gens qui vont au match et voient la réalité n’ont pas peur des ultras.
Bon… Même si des familles devaient venir au stade dans le but d’admirer des fumigènes comme elles pourraient le faire avec un feu du 1er Août — ce dont je doute, cela n’en est pas moins interdit. Et je ne crois pas qu’on puisse se réjouir de l’idée (même hypothétique) qu’une chose a priori illégale draine les foules.
Dans le fond, tant mieux si les clubs remplissent toujours plus les stades payés par l’ensemble de la collectivité. Tant mieux si des gamins romands rêvent encore plus qu’hier en voyant des footballeurs du coin évoluer au plus haut niveau. Tant mieux si le football rime à nouveau avec grands engouements populaires. Mais pour que le sport roi rayonne véritablement, il faut que ceux qui l’encadrent soient à la hauteur. Ce n’est, il me semble, pas le cas aujourd’hui.
J’aime bien ta conclusion et je souscris entièrement aux dernières phrases. Un encadrement à la hauteur, c’est-à-dire à l’écoute et dans le dialogue. Bonne journée Antoine, au plaisir d’enquiller une canette avec toi (promis, on ne pissera pas dans les buissons après).