La semaine prochaine, Noel Quinn deviendra le nouveau président du conseil d'administration de la deuxième plus grande banque privée suisse après UBS. Son élection à la plus haute instance dirigeante de Julius Bär semble assurée. Le britannique d'origine irlandaise a travaillé pendant plus de 37 ans pour la grande banque HSBC. Sir Noel – le roi Charles III l'a récemment anobli – maîtrise à la perfection le secteur des affaires commerciales, c'est-à-dire les services bancaires pour les entreprises.
En revanche, il ne connaît pas le Private Banking, secteur au sein duquel Julius Bär est actif, et encore moins la Suisse. Il a été attiré à Zurich par des chasseurs de têtes et la banque a volontiers augmenté sa rémunération pour faciliter son transfert de Londres vers la Suisse. Il gagnera environ deux fois plus que son prédécesseur Romeo Lacher, un Suisse qui s’est heurté au scandale impliquant l'entrepreneur René Benko, aujourd’hui emprisonné.
Un défi linguistique pour un banquier international
Noel Quinn est sans aucun doute un poids lourd de la scène bancaire euro-asiatique. Mais s'il s’avère être un bon dirigeant pour Julius Bär – et s'il justifie son salaire –, ce sont les portefeuilles des actionnaires qui en seront la preuve. «Le problème, c'est que Noel Quinn ne parle presque pas un mot d'allemand et ne peut pas s'exprimer dans une autre langue nationale», souligne un observateur.
Pour de nombreux managers qui évoluent dans les hautes sphères des grandes entreprises suisses, la méconnaissance d'une langue nationale n'est pas forcément un problème. Mais pour un banquier, c'est une toute autre histoire – en particulier pour le futur président du conseil d'administration de Julius Bär.
Il va prendre la tête d'une banque qui, en raison de nombreux échecs et incidents, est en contact permanent avec l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA). La procédure concernant l'affaire Benko vient à peine de commencer. Dans un tel contexte, une communication aussi fluide que possible, tant à l'oral qu'à l'écrit, est essentielle.
Une densité de dirigeants étrangers embarrassante pour les banques
Colm Kelleher, le président du conseil d'administration d’UBS d’origine irlandaise, fait face aux mêmes problèmes. Lorsqu'il s'agit, comme c'est le cas en ce moment, d’essayer de convaincre les politiciens comme la population suisse de l'impact négatif qu’aurait une régulation trop stricte de la grande banque, la maîtrise d’une langue nationale serait précieuse.
Limiter le lobbying d’UBS au sein des cercles anglo-saxons ne suffit pas. A ce titre, il est significatif qu’UBS ait envoyé Markus Ronner, suisse d’origine et membre de la direction, participer à l'émission «Arena» de la télévision suisse alémanique en lieu et place de Colm Kelleher. Le fait les banques suisses soient de plus en plus dirigées par des banquiers d’origine étrangère est quelque peu gênant pour un pays qui a en quelque sorte inventé le private banking.
Toutefois, avoir des liens forts avec la Suisse est moins important pour d'autres entreprises. Le conseil d'administration de Nestlé est, par exemple, dirigé depuis des années par un Belge, Paul Bulcke. Il a récemment été naturalisé et a nommé Laurent Freixe, un Français, à la tête du plus grand conglomérat alimentaire du monde. Dans la direction comptant 18 membres, seuls deux sont suisses.
Une proportion jamais aussi élevée
Le dernier rapport Schilling, qui analyse la composition des directions des 100 plus grandes entreprises suisses, conclut que la proportion d'étrangers dans les directions des entreprises n'a jamais été aussi élevée qu'en 2025. Aujourd'hui, 49% des membres des directions des entreprises n'ont pas de passeport suisse.
En ce qui concerne les nouvelles embauches, la proportion d'étrangers est encore plus élevée: selon le rapport, elle atteint aujourd’hui 63%. Cependant, ce chiffre masque la chute importante de la représentation des Suisses au cœur des grandes entreprises du pays, précisément celles qui pèsent le plus lourd et avec le plus grand nombre d'employés. Dans les cinq premières entreprises de l'indice SMI, les PDG et les présidents du conseil d'administration viennent de l'étranger: c'est le cas de Nestlé, Roche, Novartis, Zurich et Richemont.
Ermotti et Voser, les derniers Suisses à la tête des géants
Les deux seules entreprises du Top 10 avec un dirigeant suisse sont ABB, avec l’Aargovien Peter Voser, et UBS, avec le Tessinois Sergio Ermotti. La baisse de la présence suisse à la tête des grandes entreprises s’est récemment creusée: lorsque Sergio Ermotti est passé de Swiss Re à UBS, la présidence a été confiée à un Belge.
Dans le même temps, Swiss Re a remplacé son CEO suisse par un Allemand. Chez le géant du ciment Holcim, le Suisse Beat Hess a cédé la présidence à un Allemand, qui a lui-même nommé un Australien comme CEO. Swiss Life et Swisscom sont les seules entreprises du SMI à être dirigées par des Suisses que ce soit au niveau du conseil d'administration ou de la direction générale.
Direction internationale pour un marché international
Les représentants du monde économique soutiennent généralement qu'une direction internationale reflète la taille du marché local. Il est vrai, par exemple, que Nestlé réalise seulement une petite partie de son chiffre d'affaires (1 milliard de francs) en Suisse sur un total de 91 milliards dans le monde.
Par contre, c'est en Suisse que les conditions-cadres essentielles au fonctionnement de l'ensemble du groupe sont négociées. Et, dans un système de démocratie directe, le dernier mot revient aux citoyens. Cette spécificité suisse implique également le fait que les PDG s'engagent de moins en politique. Magdalena Martullo-Blocher, est une exception à la règle.