La Suisse se déchire sur la prévoyance vieillesse. Au cœur du débat? Un projet de relèvement de l'âge de la retraite des femmes. La gauche et les syndicats s'y opposent fermement. En effet, les femmes se trouvent déjà dans le rouge en matière de prévoyance vieillesse. Elles ne touchent en moyenne que la moitié de ce que les hommes perçoivent du deuxième pilier. Et pas seulement – mais aussi – parce qu'elles sont moins payées pour le même travail. Elles travaillent plus souvent de manière flexible, c'est-à-dire comme indépendantes, à temps partiel ou sur appel.
Mais qu'est-ce que ça signifie? Une nouvelle étude de Swissstaffing, l'association suisse des services de l'emploi, fournit des chiffres, déterminés sur la base des statistiques de la Confédération. Résultat: en Suisse, 26% des personnes actives tirent leur revenu d'une relation de travail flexible, et 63% d'entre elles sont des femmes. En d'autres termes, cela signifie qu'une femme active sur trois en Suisse n'a pas un emploi à plein temps et à durée indéterminée, mais travaille en tant que «flexworker».
Ce n'est pas étonnant. Ce mode de travail leur donne une plus grande marge de manœuvre, par exemple pour la garde des enfants. Cette dernière est encore souvent assumée dans une plus grande partie par les femmes, fait que la pandémie a bien mis en évidence. Un mode de travail qui a un gros hic. «La protection sociale est lamentable», se désole Eveline Müller, une comptable argovienne. Elle travaille à temps partiel pour deux employeurs: à 20% chez un opticien et à 20% chez une fiduciaire. Jusqu'à il y a deux ans, elle avait même trois emplois. «Je n'avais pas le choix, poursuit Eveline Müller. Après mon divorce, j'ai dû prendre ce que je pouvais.»
Ses emplois ne rapportent pas de grosses sommes - et pratiquement rien pour la caisse de pension. Son emploi chez l'agent fiduciaire ne lui rapporte que 35 francs par mois pour son capital vieillesse. Et son salaire annuel chez l'opticien est inférieur au seuil légal de 24'885 francs. Elle n'obtient donc aucune cotisation de prévoyance.
Or, la rente LPP moyenne des hommes s'élève à près de 3000 francs. Et celle des femmes, la moitié moins en moyenne. Eveline Müller atteint les 500 francs par mois. «Ce serait nettement plus si mes deux emplois étaient additionnés pour le calcul des versements dans le deuxième pilier!» Mais ce ne sera pas le cas.
Continuer à travailler malgré la retraite
Comme la comptable n'a exercé qu'une activité lucrative irrégulière pendant son mariage, elle doit aussi faire des concessions au niveau de l'AVS. «La pilule est difficile à avaler, tonne-t-elle. Je travaillerai au moins trois ans de plus que l'âge ordinaire de la retraite. Pour des raisons financières, je ne peux pas faire autrement.»
La majorité des travailleurs flexibles sont des femmes. Elles représentent huit personnes sur dix travaillant à temps partiel avec un taux d'occupation entre 20 et 49%. Dans les taux d'occupation inférieurs à 20%, les femmes représentent 73%, et 62% parmi les personnes ayant plusieurs employeurs – comme Eveline Müller.
«Beaucoup d'entre elles ne sont pas assurées contre les risques élémentaires de la vie», s'insurge Ariane Baer, responsable de projet Économie et politique chez Swissstaffing. «Cela concerne surtout l'assurance d'indemnités journalières en cas de maladie et la prévoyance vieillesse, explique-t-elle. C'est pourquoi le risque de pauvreté à la retraite est particulièrement élevé pour les femmes.» Dans de tels cas, l'État prend le relais avec des prestations complémentaires. «Ce qui n'a aucun sens, tonne Ariane Baer. Il serait préférable de veiller à une forte protection sociale des femmes dans la vie active.»
Plus de la moitié ne sont pas assurées par la LPP
Sara Schwarz travaille comme naturopathe indépendante. Elle a son propre cabinet à Bâle et apprécie son mode de travail indépendant. «Je suis ma propre patronne et j'y mets tout mon cœur.» Mais il y a un bémol. «J'assume beaucoup de risques d'entrepreneur», nuance-t-elle. Si la naturopathe tombait malade ou avait un accident, elle ne recevrait une indemnité qu'après deux mois. Et les vacances signifient pour elle une double perte: le loyer de l'entreprise continue à courir et le revenu n'est pas versé. Et si elle se retrouvait au chômage? «Dans ce cas, je ne toucherait pas un centime. Je devrais me débrouiller seule.»
Plus de la moitié de toutes les femmes actives (57%) ne sont pas assurées par la LPP. Sara Schwarz n'a pas non plus de caisse de pension. «Je peux déjà me protéger socialement, soutient-elle. Mais ces assurances sont chères!» C'est pourquoi elle a une assurance d'indemnités journalières en cas de maladie. Toutefois, celle-ci n'intervient qu'après 60 jours. «Un délai d'attente plus court serait beaucoup plus cher», éclaire Sara Schwarz. Depuis la pandémie, les primes ont en outre fortement augmenté. Certaines caisses maladie ne proposent plus du tout de telles assurances.
Les temporaires ont un avantage
Plusieurs consœurs de Sara Schwarz ont déjà atteint l'âge de la retraite. Mais elles continuent malgré tout à travailler. «Elles n'ont financièrement pas d'autre choix, se désole la naturopathe. Et d'ici à ce que j'atteigne cet âge, le problème ne fera que s'aggraver.»
Les flexworkers peuvent améliorer quelque peu leur situation en se faisant engager par une agence de placement. «Les personnes à employeurs multiples en particulier en profitent, car elles peuvent être assurées par la LPP dès la première heure de travail sous l'égide du travail temporaire», éclaire Ariane Baer.
Un salaire annuel assuré légalement à partir de 12'548 francs, comme le prévoit la réforme LPP 21, serait encore plus efficace. Suffira-t-il à convaincre les femmes de repousser l'âge de leur retraite? La question reste en suspens. «Cela dépendra notamment de la capacité des forces réformatrices au Parlement à trouver un compromis viable pour le deuxième pilier», explique Melanie Mettler, conseillère nationale bernoise chez les Vert'libéraux.
Dans le camp du Conseil des États
La balle est maintenant dans le camp de la commission de la santé du Conseil des États. Au printemps, elle a proposé un modèle dans lequel tous les salaires seraient assurés à 85% - y compris ceux des personnes travaillant à temps partiel.
Or, il est clair que «si la commission ne se montre pas prête à résoudre le blocage de la réforme, elle le fera aussi sur le dos des travailleuses flexibles», gronde Melanie Mettler.