Daniel Jositsch, les universités suisses sont occupées en raison de la guerre à Gaza. Comment jugez-vous cela en tant que professeur d'université?
Je ne considère pas forcément cela comme un professeur, mais comme un spécialiste de la politique de sécurité. Dans un État de droit comme la Suisse, il n'y a aucune légitimité pour des actions illégales. En outre, je trouve consternante la demande de rompre tout contact avec les universités israéliennes. Comme si les chercheurs avaient une responsabilité vis-à-vis de la politique! Et puis la partialité: comment peut-on demander la fin de la guerre de Gaza sans dire un mot sur les atrocités du Hamas et les otages israéliens? En outre, tout cela est simplement copié sur les Etats-Unis et la France. Tout sauf original.
Les universités sont des lieux de débat social. Les soixante-huitards aussi ont occupé des universités. En quoi cela est-il différent?
Je n'ai vécu mai 1968 qu'après coup. Mais je pense qu'à l'époque, les revendications politiques étaient menées avec beaucoup plus de substance. Dans ce sens, je suis aussi un peu déçu par le manque de substance des protestations actuelles.
En tant que pénaliste et homme politique, vous avez à faire avec le droit. D'où vient votre fascination pour celui-ci? Avez-vous voulu devenir juriste très tôt?
Assez tôt. Je dirais à l'âge de douze ans.
Sur Daniel Jositsch
Y avait-il un modèle dans votre famille?
Non, non. Le droit et l'injustice, l'engagement pour la justice: j'ai trouvé cela fascinant. C'était l'époque du procès de Stammheim et Otto Schily, le futur ministre allemand de l'Intérieur m'avait impressionné. Un homme qui défendait les terroristes tout en se démarquant d'eux.
D'où la spécialisation en droit pénal?
Pas encore à douze ans! Plus tard, c'était plutôt lié au fait que j'avais un très bon professeur de droit pénal. Le droit pénal est le lieu où l'on se trouve quasiment au milieu de tragédies humaines, sans être soi-même concerné. Il a quelque chose d'humain.
Cette idée de l'humain joue-t-elle aussi un rôle lorsque vous légiférez au Conseil des États et que vous durcissez par exemple le droit pénal?
Au Parlement, j'essaie la plupart du temps d'empêcher l'élaboration d'un nouveau droit pénal. Si j'ai appris quelque chose dans la pratique, c'est qu'on ne peut pas changer le monde avec le droit pénal. C'est comme dans l'éducation des enfants. Il faut un moment où vous devez dire: maintenant, c'est la fessée. Mais on n'éduque pas les enfants uniquement avec des punitions. Mais même au Parlement, nous commettons toujours l'erreur de dire: maintenant que nous avons créé une norme pénale, c'est bon. Mais ce n'est pas le cas.
Actuellement, le Parlement discute du fait que le meurtre ne doit plus être prescrit. Votre parti veut que le meurtre reste prescriptible.
Contrairement à moi. Je pense que c'est une idée totalement mauvaise.
Pourquoi?
Imaginez un peu la situation: un enfant est assassiné, au bout de 30 ans, il y a prescription. Au bout de 31 ans, quelqu'un vient et avoue: «c'est moi.» Pensez-vous sérieusement que les parents vont dire: «Oui, bien, une punition ne sert plus à rien maintenant...»? Certains crimes, tels que le meurtre devraient être imprescriptibles, parce que, sentimentalement, la société ne les laisse pas prescrire. Et soyons honnêtes: il suffit qu'un tel cas se présente pour que le Parlement introduise brusquement l'imprescriptibilité. Toute autre option provoquerait vagues de protestation que vous ne pouvez même pas imaginer. Je pense donc que nous pouvons l'introduire maintenant.
Vous pensez que le Parlement réagit surtout à la pression publique?
Oui, tout le monde veut être le premier. C'est ce qui m'a le plus ébranlé durant mon mandat au Parlement. A peine trouve-t-on quelque part au Yémen un morceau de munition «Made in Switzerland» que de nombreux parlementaires se précipitent pour crier que ce n'est pas possible, que nous devons absolument interdire l'exportation d'armes. Quelques années plus tard, les mêmes personnes viennent demander que l'on autorise la réexportation d'armes vers l'Ukraine malgré la neutralité de la Suisse.
A cause de la pression de l'opinion publique.
Oui, mais j'attends d'un parlementaire qu'il soit capable de résister à une certaine pression publique. Qu'il réfléchisse un peu à la direction à prendre et qu'il tienne le cap. Prenez le débat sur la neutralité. Si j'avais dit il y a trois ans qu'il fallait réfléchir à la neutralité, j'aurais été passé au goudron et aux plumes. Aujourd'hui, après l'attaque russe contre l'Ukraine, beaucoup trouvent la neutralité un peu problématique.
La Suisse, le Conseil fédéral sont-ils allés trop loin dans la question de l'Ukraine?
On peut prendre position, mais on peut le faire de différentes manières. Je pense que dans ce cas, le gouvernement national est allé un peu trop loin, surtout en ce qui concerne les sanctions.
N'aurions-nous pas dû adopter les sanctions de l'UE?
En principe, nous ne devrions reprendre que les sanctions de l'ONU, si tant est que nous le fassions. Je pense que ce que la Suisse fait actuellement avec ce sommet pour la paix (ndlr: prévu les 15 et 16 juin au Bürgenstock) est excellent. C'est peut-être le premier pas vers la paix. Mais je suis fermement convaincu que les chances de voir la Russie participer d'une manière ou d'une autre auraient été bien plus grandes si la Suisse s'était vraiment montrée neutre. C'est dommage.
Une attitude aussi neutre n'aurait pas été comprise par une grande partie de la population. En mars 2022, des personnes ont manifesté sur la Place fédérale à ce sujet.
Que la population prenne des décisions plus situationnelles et se laisse influencer par les médias, je le comprends. Mais que le Parlement fasse cela, je trouve cela tout simplement mauvais. En tant que parlementaire, vous devez résister à la pression, sinon vous n'êtes pas fait pour ce travail.
Le populisme est présent sur toutes les lèvres. Le ressentez-vous dans un domaine politique en particulier?
Oui, sur l'Europe. Diaboliser la Cour de justice européenne, ou dénigrer des traités qui n'existent pas encore, je trouve cela populiste. J'étais déjà très déçu en 2018 de la manière dont on a enterré l'accord-cadre.
Trouvez-vous que le comportement des syndicats est aujourd'hui populiste?
Je trouve que la manière dont les syndicats se comportent actuellement par rapport aux négociations avec l'UE n'est pas correcte.
Eh bien, les syndicats essaient d'en tirer le maximum. Et ils peuvent le faire parce qu'ils savent qu'un accord avec l'Europe n'est pas possible sans eux.
Regardez, la question est de savoir si l'on prend des responsabilités dans cet État. Je n'aurais en principe aucun problème avec la position des syndicats. Le problème, c'est que la direction du PS a jusqu'à présent fait sienne la position des syndicats. Mais nous ne sommes pas juste le bras politique et parlementaire des syndicats. En tant que parti non membre de l'UDC au Conseil fédéral, on a au contraire la responsabilité d'accompagner la question européenne de la manière la plus bienveillante possible.
La dernière direction du PS sous Christian Levrat était très proche des syndicats. Avez-vous l'espoir que Mattea Meyer et Cédric Wermuth soient plus enclins à céder sur la question européenne?
Non, je ne le pense pas. Nous verrons bien. Il faut se montrer optimiste.