Est-ce la fin d’une genferei, qui a conduit 750 personnes à renoncer à la profession d’avocat en douze ans? L'École d’avocature de Genève (ECAV), qui n’existe qu’au bout du Léman, a ouvert ses portes en février 2011. Avec la promesse initiale de réduire le taux d’échecs définitifs à l’examen du brevet d’avocat — ultime étape à passer pour pouvoir exercer la profession en Suisse. Une fausse bonne idée qui n’a pas tenu sa promesse, en plus de coûter cher à la collectivité, selon le député Skender Salihi.
L’élu du Mouvement citoyens genevois (MCG) a déposé, le dimanche 21 janvier, un projet de loi pour supprimer ce cursus rendu obligatoire pour l'examen du barreau après un stage d'avocat – en théorie accessible directement après un Bachelor en Droit. «Au profit d’un master en droit en professions judiciaires», à l’image des autres cantons, prévoit le texte, que nous avons pu consulter.
Contacté, Skender Salihi tonne, au bout du fil: «L’ECAV n'est pas véritablement professionnalisante et fait l'objet de débats constants, même parmi les avocats. Chaque année, après cinq à six ans d'études de droit, des personnes se retrouvent au chômage ou à l'hospice.» Un double échec aux examens de l’École signifie en effet que le candidat ou la candidate peut définitivement tirer une croix sur la profession d’avocat.
Deux tiers d’échecs en septembre
On l’a dit, à l’origine, cette formation inspirée du système français était censée réduire l’hécatombe à l’examen du «barreau». Avant la mise en place de l’École, entre mai 2005 et novembre 2007, par exemple, l’examen qui permet d’exercer la profession d’avocat présentait un taux d’échec définitif de 6,6 %.
Ce pourcentage a-t-il baissé, depuis la naissance de cette formation supplémentaire? Rien n’est moins sûr, selon le dépositaire du texte — où on peut lire que le taux d’échec en dernière tentative à la session d’examens de l’ECAV de septembre 2023 était de… 66,67%. Ainsi, au final, «on observe un déplacement [des] 50% d’échecs de l’ancien examen du barreau vers les examens de l’ECAV».
Des finances trop opaques?
Tout cela pour un budget de «1,5 million, dont 500'000 francs pèsent sur le porte-monnaie de l'État, s’indigne Skender Salihi. C'est d'autant plus étonnant, lorsqu'on remarque les incohérences flagrantes entre les budgets et rapports financiers de l'Université de Genève (UNIGE), et les chiffres indiqués par le Conseil d'État. Cette situation n'est pas justifiée!»
Explications: longtemps, l’ECAV n’a rendu ni de rapport de gestion, ni de rapport d’activité. Ce qui a donné lieu à «une situation financière gantée d’opacité», allègue le texte déposé. Les comptes de la structure ont cependant été intégrés dans les rapports financiers de l’UNIGE en 2021, après dix ans d’existence.
Ce qui n’aurait pas rendu la situation plus limpide, d’après le politicien, qui relève des «incohérences» à répétition. «En 2015, le Conseil d’État indiquait des dépenses s’élevant à 565'000 francs. Le budget de l’Université de Genève indique quant à lui 486'503 francs. Le rapport financier de cette année n’indique rien. Dans sa réponse à [une question qui lui était adressée par un député] le Conseil d’État indique pourtant des dépenses de 1'279'330 francs. Il existe ainsi une différence, selon les sources, pouvant s’élever jusqu’à 792'827 francs.»
Chère et pas reconnue par Bologne
En parlant de chiffres, la somme que doivent débourser les étudiants qui s’inscrivent au cursus est, elle aussi, problématique, argue le projet de loi. Les frais d’inscription s’élèvent à 3’500 francs per capita (avec exonération possible sous conditions), sans compter l’achat des livres.
«C’est sept fois plus que la taxe universitaire ordinaire. Et pour un diplôme qui n'est même pas reconnu au-delà des frontières de Genève!», souligne le député dépositaire. Une somme qui peut pousser certaines personnes à s’endetter pour accéder à la formation.
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Autre problème: «Malgré sa traduction trompeuse de Certificate of avanced studies in legal professions ou CAS en professions judiciaires – un titre de formation continue reconnu, l’ECAV se trouve en réalité être hors du système de Bologne», argue le projet de loi. Dans lequel on peut également lire qu' «en 2020, le rectorat soulignait précisément que l’ECAV n’est ‘pas une formation continue, mais plutôt la continuation des Diplômes d’études approfondies (DEA), aujourd’hui disparus’».
Une grogne qui monte depuis des mois
Ce n’est pas la première fois que l’ECAV est sous le feu des critiques. Une pétition déposée par 153 étudiants en juin 2023, relayée par un article du «GHI» quelques mois plus tard, a déjà remis en cause le bien-fondé de ce cursus.
Les raisons du courroux des étudiants étaient alors peu ou prou les mêmes que celles énumérées dans le projet de loi. À savoir: des frais d’écolage trop onéreux pour un cursus qui «ne raccourcit pas systématiquement de six mois la durée du stage qui s’effectue dans une étude d’avocat», peut-on lire dans l’hebdomadaire.
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Et puis des critères de réussite jugés opaques. «Le barème de correction ne tient pas compte des contraintes imposées pour certains examens», avance le coauteur de la pétition, Baptiste Gold, face à nos confrères. Le jeune diplômé de l'ECAV déplore également «le manque de clarté des objectifs légaux et réglementaires de la formation dispensée par l’école».
Face à ces critiques, Yvan Jeanneret, président de l’Ecole d’avocature, déclare: «L’ECAV ne peut malheureusement assurer la réussite de tous, l’échec, source de frustration légitime, faisant partie de toute formation. Une équipe d’enseignants, dont la quasi-totalité sont des praticiens chevronnés et investis, dispense chaque année un enseignement de grande qualité afin de s’assurer que les futurs avocats disposent d’un niveau de compétence à la hauteur des responsabilités qui leur incomberont. A savoir, permettre aux justiciables d’avoir accès à la Justice, accompagnés de personnes qui sont capables de le faire.»