Face à l’augmentation des cas de Covid-19, rien ne bouge en Suisse – du moins dans l’immédiat. C’est ce que nous ont prouvé les dernières semaines. Les écoles annoncent de nombreux foyers d’infections, le personnel soignant est à bout de souffle, de nombreux services de soins intensifs sont pratiquement pleins – mais une étrange sérénité règne dans le monde politique. L’attitude du ministre de la santé est, par exemple, frappante. Il déclarait lundi dernier: «Il n’est pas nécessaire de prendre une décision avant vendredi».
Le débat sur la règle des 2G s’est prolongé pendant plusieurs semaines avant que le Conseil fédéral ne décide finalement de nouvelles mesures vendredi. Il a choisi l’option la moins contraignante. La Confédération veut maîtriser la situation avec la 2G, les masques, les tests et le télétravail obligatoire. Ailleurs en Europe, le confinement a fait son retour et les fêtes de fin d’année sont annulées.
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La Suisse poursuit son chemin, mais pas sans essuyer quelques critiques. Blick s’est entretenu cette semaine avec des responsables de la Confédération, des cantons et des autorités sanitaires. Il en ressort clairement que l’inquiétude règne en coulisses. Un conseiller d’Etat estime que le Conseil fédéral n’est pas à la hauteur de sa tâche. Les propositions concrètes manquent. Il se contente de proposer plusieurs variantes aux cantons. La population aussi fait part de sa frustration sur les réseaux sociaux.
Pointer du doigt le fédéralisme
Non seulement notre pays fait preuve d’une indéniable lenteur dans la prise de décisions, mais il est également à la traîne en ce qui concerne l’administration du booster et la vaccination des enfants. Face à la vague d’infection au variant Omicron qui déferle sur l’Europe, les spécialistes mettent en garde contre une «pandémie en pleine pandémie». Les hôpitaux sont dangereusement pleins.
La Suisse – habituellement une élève modèle dans toutes les disciplines possibles – ne semble pas écouter l’avis des experts quant à la gestion de la pandémie. Les autorités doutent, hésitent, tergiversent. Mais comment est-ce possible?
Il faut regarder du côté du fédéralisme pour trouver des réponses. Dans les phases difficiles, ce système incite la Confédération et les cantons à se rejeter mutuellement la responsabilité. Fin novembre, les cantons s’agaçaient du manque de mesures à l’échelle nationale malgré l’augmentation du nombre de cas. Après la découverte du variant Omicron – et deux jours après la votation sur la loi Covid du 28 novembre – le Conseil fédéral a tout à coup voulu introduire des mesures pour l’ensemble du pays. Les cantons ont réagi avec défi. Certains ont même refusé de renforcer au niveau national des mesures qu’ils avaient eux-mêmes déjà introduites. De son côté, Alain Berset a souligné à plusieurs reprises ces derniers jours que les capacités hospitalières étaient du ressort des cantons.
Tout cela montre clairement que dans le fédéralisme, il est facile de transférer le problème au suivant. Personne ne se sent compétent, mais personne ne veut céder le pouvoir.
De nombreux facteurs
Mais une deuxième épée de Damoclès pèse sur le Conseil fédéral: la démocratie directe. Après le taux de non inattendu de 40% lors de la première votation sur la loi Covid en juin, il ne voulait pas fournir de nouvelles munitions aux opposants aux mesures. Il n’est donc pas étonnant que la Confédération ait attendu les votations pour prendre des mesures plus drastiques.
Cette hésitation est également due à la majorité bourgeoise du Parlement, qui aime s’immiscer dans la lutte contre la pandémie depuis la tribune. Que ce soit parce que la commission de la santé publique s’oppose à l’obligation de porter un masque ou parce que le plus grand parti, l’UDC, refuse presque tout durcissement. Si le Conseil fédéral va trop vite, le Parlement ne va pas apprécier.
Le credo sur lequel la Confédération et les cantons se sont mis d’accord a également un effet de frein dans la lutte contre la pandémie. Dès que tous ceux qui le souhaitent seront vaccinés, la priorité sera d’éviter une surcharge des hôpitaux. Ce principe directeur ouvre une marge de manœuvre, et d’indécision, considérable au Conseil fédéral. Les hôpitaux sont-ils surchargés lorsque le personnel est à bout de souffle? Lorsque des opérations doivent être reportées? Quand il n’y a plus de lit disponible?
«La lenteur n’est pas toujours une mauvaise chose»
Mais aucun gouvernement ne fait toujours tout rapidement et correctement en même temps. La situation épidémiologique évolue de jour en jour. Le champion du monde de la vaccination, le Portugal, confinera partiellement à nouveau début 2022 alors que l’élève modèle, le Danemark, lutte désespérément contre le variant Omicron.
A cela s’ajoute le fait que le Conseil fédéral réussit à entraîner la majeure partie de la population dans son sillage. C’est ce que révèlent les résultats d’un nouveau sondage réalisé par l’institut Link pour le compte du SonntagsBlick: 68% des personnes interrogées se prononcent en faveur de la règle des 2G et 80% sont formellement contre un confinement. Petit à petit, les opinions s’alignent. Un conseiller d’Etat le formule ainsi: «La lenteur n’est pas toujours une mauvaise chose». Ainsi, la décision de renoncer au vaccin d’Astrazeneca et d’attendre les vaccins à ARNm s’est avérée, a posteriori, stratégique. De même, la décision de ne pas allonger l’intervalle entre les doses du vaccin, et ce malgré la pression politique, a fait ses preuves.
Et la Suisse n’est pas toujours à la traîne. Swissmedic, l’autorité locale de contrôle des produits thérapeutiques, a donné son autorisation pour le premier vaccin à ARNm en décembre 2020, en avance sur l’Europe continentale. Swissmedic a également agi rapidement pour la vaccination des enfants. L’UE a eu besoin de 38 jours pour examiner les données des entreprises qui proposent le vaccin. Swissmedic a donné son feu vert 21 jours après l’arrivée des demandes.
Mais il est évident qu’avec l’arrivée du variant Omicron, la Suisse est confrontée à un nouveau danger. Si la lenteur n’est pas toujours une mauvaise chose, il va quand même falloir se presser un peu. C’est ce que suggère la situation à Londres par exemple. Plus de la moitié des nouveaux cas de coronavirus sont dus au variant Omicron. Seul l’avenir pourra dire si la stratégie de la Suisse permettra de surmonter cette nouvelle épreuve.
(Adaptation par Jessica Chautems)