Il n'y a pas un jour sans vol, soupire Florim Abazi, propriétaire d'une entreprise de sécurité. «Il m'arrive d'attraper huit personnes par jour, déplore-t-il. Les voleurs de produits alimentaires sont pour la plupart des clients réguliers. Ils reviennent jusqu'à trois fois par jour, établissent une relation de confiance avec la caissière, parlent de leurs vacances. Tout cela pour ne pas être contrôlés.»
Florim Abazi ne manque pas d'anecdotes quand il raconte ce sur quoi il tombe quand il appréhende les voleurs à l'étalage. «Une femme âgée demandait à son voisinage ce dont ils avaient besoin, volait ces marchandises dans le magasin et le vendait ensuite à ses voisins!»
Il poursuit: «Récemment, j'ai pu attraper un couple. Tous deux volaient, mais ne savaient pas que l'autre le faisait aussi. La femme a envoyé son mari chercher des légumes et a ensuite mis un déodorant en spray dans la poche de son conjoint. Inversement, celui-ci a laissé un morceau de viande dans la poche de sa veste de sa femme.» Le plus étonnant? Il ne s'agissait pas de personnes dans le besoin. «Il m'arrive souvent de surprendre des personnes éduquées et aisées en train de voler, comme si c'était une maladie.»
Du beurre dans le slip
Les anecdotes se succèdent dans la bouche de notre interlocuteur. Et certaines sont cocasses. «Une fois, un homme a volé deux morceaux de beurre de cuisine et les a cachés dans son slip, s'étonne-t-il. Lors du contrôle, il a insisté sur le fait qu'il n'avait rien volé et m'a poussé.» Mais la marchandise a dû commencer à l'incommoder par la suite. Il aurait demandé à se rendre aux toilettes. «Alors, je lui ai dit: 'Oui, mais d'abord, tu vas vider ça!'» C'est ainsi que lui et son équipe l'ont attrapé, la main dans le sac.
Quid des caisses de self-checkout? Apparemment, les gens en profitent beaucoup pour «oublier» de scanner des articles. Remarque-t-il un profil particulier parmi les délinquants? «Nous avons beaucoup affaire à des jeunes, répond-il. Ils ne se sentent pas surveillés et ne scannent donc pas tout.» Mais ce ne sont pas les seuls. «Dernièrement, une ménagère a rempli tout son chariot, mais n'a entré dans le système que deux articles. Quand je l'ai interpellée, elle a soutenu qu'elle avait oublié le reste. Je me demande comment on peut être aussi effronté!»
«Je téléphone et je mâche un chewing-gum»
Florim Abazi a-t-il des astuces pour attraper les chapardeurs? «Dans mon métier, il faut avoir un flair particulier, avance-t-il. J'observe la façon dont quelqu'un entre dans le magasin. Comment marche-t-il? Fait-il des mouvements inhabituels?» Pour arrêter les voleurs, le propriétaire de l'entreprise de sécurité a une astuce particulière. «Je me comporte comme un client: je porte un panier, je téléphone et je mâche un chewing-gum. Mais si j'attrape quelqu'un, je dois attendre que la zone de caisse soit passée. Ensuite, j'interviens auprès de la personne concernée.»
La plupart sont extrêmement gênés. Certains deviennent agressifs, et d'autres s'excusent. «Mais nous ne demandons pas aux gens pourquoi ils ont volé. Je suppose que pour beaucoup, c'est surtout par nécessité», soupire-t-il.
Mais selon lui, à un moment donné, c'est inévitable: on se fait coincer. «On s'en sort une, deux ou trois fois, sans conséquence. Et puis on recommence, et c'est là qu'on se fait coincer. Une fois, j'ai surpris une femme occupant un poste de direction, elle m'a dit: 'C'est tellement facile de voler, pourquoi devrais-je payer?'» A ce moment-là, quelle sanction encoure-t-on? D'après Florim Abazi, les personnes concernées l'ignorent souvent. «Mais en plus de l'indemnité de déplacement, il y a une plainte et, la plupart du temps, une interdiction d'accès au magasin.»
Mais, bien sûr, certains chapardeurs sont très astucieux et difficiles à repérer. «Des professionnels enfilent un couvre-reins, puis une chemise par-dessus qui est une taille trop grande, détaille Florim Abazi. On ne voit alors rien. Et d'autres rembourrent leurs poches avec du papier aluminium – ce qui neutralise les alarmes. Enfin, on voit certaines personnes plonger la protection des vêtements dans des bouteilles de Coca-Cola!» Le «bip» des alarmes se fait alors toujours entendre, mais nettement moins fort.
Quel est l'intérêt des caméras?
En Suisse, les voleurs à l'étalage sont malheureusement très actifs. Florim Abazi a donc dû s'adapter. «Une nouvelle tendance consiste à remplir les sacs de vêtements coûteux et à s'enfuir ensuite en courant. S'il y a trois ou quatre portes de sortie et que nous ne sommes pas à proximité, nous avons peu de chances de les attraper. Mais avec la vidéosurveillance, nous pouvons les identifier, même si les caméras ne les dissuadent pas.» Sont-elles vraiment aussi inutiles? «Oui. De toute ma carrière, je n'ai jamais attrapé un voleur grâce à une caméra», tranche-t-il.
Les plus gros vols seraient d'ailleurs commis en interne, par le personnel. Peut-on l'expliquer? «Bien sûr! Ils voient constamment ce que les autres achètent et gagne si peu eux-mêmes...»
Mais il y a aussi des avantages: ses affaires sont florissantes. «Aujourd'hui, une petite dizaine de personnes travaillent dans mon entreprise. Nous les formons à devenir détective de magasin, on y apprend ce qui est juridiquement possible de faire. Mais l'important, c'est surtout d'avoir du flair.»
Comment les entraîne-t-il? «Je vais souvent dans un magasin avec des candidats et je fais attention à ce qu'ils remarquent chez les voleurs. Ma petite-fille semble avoir hérité de mon instinct. Il y a deux ans, alors qu'elle n'avait neuf ans et que nous étions dans le magasin, elle a désigné une femme et a dit : 'Papi, cette femme vole'. Nous l'avons alors observée et nous nous sommes arrêtés derrière la caisse. Et effectivement: tout son sac était rempli d'objets qu'elle n'avait pas payés!»