Un homme conduit son épouse aux urgences. Cette dernière a ressenti une vive douleur dans la poitrine. À l’entrée de l’hôpital, la femme est immédiatement accueillie par le personnel soignant. À cause des mesures contre le Covid, son époux doit attendre à l’extérieur. Au bout de quelques minutes, il commence à s’agiter et à paniquer. Il ne cesse de taper sur les vitres de la zone des urgences, essayant de s’y introduire violemment. Lorsqu’une soignante tente de le calmer, il s’emporte.
Carmen Vonmont, experte en soins d’urgence à l’hôpital universitaire de Zurich (USZ), raconte cet épisode à Blick. «Avant le Covid, il y avait déjà régulièrement des agressions envers le personnel de santé», se souvient-elle. Au début de la crise, la situation s’est brièvement améliorée, sans doute parce qu’un nombre limité de personnes avait accès à l’hôpital à cause des rigoureuses mesures sanitaires. «Mais depuis que les mesures ont été assouplies, nous constatons une augmentation constante des cas d’agressions.»
Une des causes principales d’abandon de la profession
Les déclarations d’agressions internes ont augmenté de 120% en 2021 par rapport à 2020. «Nous devons intervenir en moyenne trois ou quatre fois par jour», confirme Maximilian Grob, chef de service adjoint du service de sécurité de l’USZ.
Dans 60% des cas, les agresseurs sont des hommes. La plupart du temps, il ne s’agit «que» d’insultes ou d’injures. Mais le personnel de santé doit aussi faire face à des agressions physiques. Les médecins et les soignants sont griffés, poussés, frappés, saisis, et on leur crache même dessus. Dans certains cas, le personnel est blessé au point de nécessiter des soins médicaux. Les patients ou les proches qui en viennent aux mains font ensuite face à des poursuites judiciaires.
Ariane Kaufmann, médecin cadre aux urgences de l’USZ, a déjà été mordue par des patients. «En plus de la charge de travail déjà élevée, nous en voyons des vertes et des pas mûres au service des urgences. Nous ne nous laissons pas faire et nous ne prenons pas tout au sérieux, sinon notre travail serait encore plus épuisant.»
L’agressivité à l’égard du personnel est une des causes principales d’abandon de la profession. «Le problème est dévastateur pour notre profession. La pénurie de personnel s’aggrave chaque jour, et les agressions sur le lieu de travail n’aident bien sûr pas à rendre ce que nous faisons attrayant aux yeux de potentielles nouvelles recrues, se désole Pierre-André Wagner de l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI). Nous nous faisons énormément de souci.»
L’alcool et les drogues jouent un rôle
L’USZ est loin d’être le seul à être confronté à ce problème. D’autres services d’urgence suisses vivent des expériences concordantes. «Nous avons chaque année un nombre à deux chiffres d’agressions graves. Parfois, nous sommes témoins de vulgarités ou de menaces jusqu’à deux à trois fois par jour», explique Robert Sieber, médecin-chef des urgences de l’hôpital cantonal de Saint-Gall. Le personnel appréhende surtout de travailler le soir et le week-end, lorsque les drogues et l’alcool n’aident pas aux situations déjà tendues.
L’année dernière, le service de sécurité de l’Hôpital de l’Île de Berne a dû être appelé 1600 fois pour maîtriser des patients agressifs. Cette année, la tendance est encore à la hausse. Mais le personnel de santé de l’hôpital n’est pas le seul à subir cette augmentation. Les collaborateurs des hôpitaux psychiatriques, des foyers, des cabinets médicaux ou des services de secours et d’aide à domicile sont également concernés.
Il n’existe pas de chiffres à l’échelle nationale sur le nombre d’agressions commises contre le personnel de santé. «Ce n’est que dans les années 2000 que l’agression est devenue un sujet de préoccupation dans les services de soins aigus, et seulement un peu plus tôt en psychiatrie», explique Dirk Richter, professeur à la Haute école spécialisée bernoise et chercheur dans le domaine de l’agression. Pendant longtemps, les hôpitaux n’ont pas pris les mesures de prévention nécessaires, raison pour laquelle le problème ne s’est pas amélioré, voire s’est aggravé.
«C’est justement parce que les données ne sont pas bien rassemblées qu’il est difficile de dire si l’agressivité a augmenté, et si oui dans quelle mesure», nuance Dick Richter. Tant le concept de violence que les sensibilités personnelles auraient évolué ces dernières années, et seraient devenus davantage un sujet de préoccupation. Il est donc possible que ce ne soit pas le nombre de cas qui ait augmenté, mais le nombre de signalements.
Les coronasceptiques s’emportent
Au cours des deux dernières années et demie, le Covid-19 a, en tout cas, fortement contribué à l’augmentation de l’agressivité, dit-on dans le secteur. Pendant la pandémie, de nombreux traitements ont été reportés, ce qui cause à présent un «embouteillage». Le service des urgences de l’USZ est conçu pour traiter 20’000 cas par an. Actuellement, le personnel en gère plus du double. Tout le monde ne comprend pas forcément les temps d’attente qui en résultent aux urgences, et ce sont alors les soignants qui subissent cette colère et cette frustration.
«Nous faisons chaque jour de notre mieux. J’aimerais que la population comprenne que nous devons faire un tri entre les cas aigus et les cas moins graves», pointe l’infirmière des urgences Carmen Vonmont. À l’impatience s’ajoute le fait que des personnes n’ont pas pu accompagner leurs proches aux urgences en raison du Covid. «Dans ces cas-là, la peur et l’anxiété peuvent conduire à un comportement agressif», poursuit-elle.
Et le fossé entre les partisans et les sceptiques des mesures Covid fait également des étincelles dans les services d’urgence. À ce sujet, la Fédération des médecins suisses (FMH) déclare: «Les attitudes 'pour' ou 'contre' les mesures sanitaires étaient – et sont – parfois liées à de fortes émotions, ces avis sont parfois défendus avec une grande véhémence.»
(Adaptation par Lliana Doudot)