Ce dispositif, qui permet une surveillance individuelle et continue des malades, pose certaines questions sur la notion de consentement et de protection des données.
«L’adversaire d’une vraie liberté est un désir excessif de sécurité», a dit le poète Jean de La Fontaine, il y a plus de trois siècles, dans le Loup et le Chien. En 1668, au moment de sa première parution, la fable de l’homme de lettres parisien vient remettre en question notre rapport à la liberté et à la servitude. Débat sensible, déjà à l’époque.
Ce rapport contrarié continue de ponctuer le débat public 354 ans plus tard. Protection des données, liberté d’expressions… Il ne manque pas d’angle d’attaque pour triturer la chose sensible. Sensible également, les données médicales. Celles de patientes et patients qui, parfois, sont scrutés par le corps médical au-delà d’un monitorage évident. Ça pourrait être le futur. Et pourtant, elle sera actrice du présent. «Elle», c’est la sécurité.
«Pour la sécurité des patients»
Dans les Unités de Soins intermédiaires et Soins continus de Médecine générale du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), à Lausanne, on comprend rapidement que l’existence d’un être est profondément frangible. Ici, une surveillance étroite permet d'assurer la sécurité de malades de gravité moyenne.
Signaux sonores monotones, courbes de couleurs imparfaites, chiffres abstraits — pour nous autres, philistins mécréants du serment d’Hippocrate. À gauche, un statif de perfusion. À droite, les effets personnels d’une vieille femme. En haut, une sphère. Noire. Brillante. Une caméra de surveillance 360. Dans une chambre d’hôpital, somme toute emprunte à une vie privée toute relative.
En 2020, peu avant une pandémie mondiale venue blesser le corps soignant, l’hôpital universitaire vaudois a décidé de rénover ses unités de soins intermédiaires et soins continus. En sus à une nouvelle décoration mauve soutenue qui rappelle les meilleurs cabinets dentaires des moins bonnes métropoles, la direction médicale des lieux a décidé, «pour la sécurité des patients», de placer une caméra de surveillance au-dessus de chacun des lits, apprend Blick.
Sécurité ou intrusion?
Sécurité de la patientèle ou véritable intrusion? En contactant le service de sécurité du CHUV, notre demande d’interview est immédiatement réexpédiée sur le bureau de Jeanne-Pascale Simon, co-cheffe de l'Unité des affaires juridiques de l’établissement. À la limite du légal, donc?
La juriste spécialisée se défend: «Selon le type de pathologies concernées, ou de leur état clinique qui nécessite le maintien d’une surveillance rapprochée, comme les patients séjournant aux Soins intermédiaires, ceux-ci peuvent être dans un espace isolé ou dans une chambre à trois ou seuls, non visibles par le personnel. Dans ce type de situations, une surveillance est assurée au moyen d’une caméra qui ne fait que transmettre en direct les images au desk. Il n’y a aucun enregistrement de ces images ou du son et rien n’est conservé. Il ne s’agit donc pas d’une collecte de données personnelles au sens de la loi.»
À 72 kilomètres de là, à Genève, dans le bureau de notre chroniqueur Nicolas Capt, avocat spécialisé dans les technologies de l’information, on reste circonspect. «Au-delà de l'aspect légal, il serait, à mon sens, important que le CHUV signale à ses patients qu’ils sont filmés, explique le défenseur. À la suite de cette information, la personne surveillée qui serait mal à l’aise devrait, toujours selon moi, se sentir légitimée à solliciter l'arrêt de la caméra, en signant par exemple une décharge. Mais, si la collecte et le traitement ne reposent pas sur l’élément justificatif du consentement, rien ne semble obliger le corps médical à accéder juridiquement à cette demande.»
Contacté ultérieurement, le centre hospitalier assure que les visiteurs sont informés de la présence de caméra par le biais d’un «grand» pictogramme, à l’entrée du service. Les patientes et patients, bien souvent inconscients dans ce genre d’unité de soins aigus, peineront, alors, à en être informés. Encore plus à s’y opposer.
Quid du consentement? Au niveau fédéral, comme cantonal, contrairement à ce qui peut se dire, le consentement n’est pas le seul motif pour permettre une collecte de données sensibles. Elle peut se faire si l’accomplissement d’une tâche définie dans une loi l’exige. Pour Nicolas Capt, le CHUV doit probablement s’appuyer sur cette condition. Avec un certain cynisme tout à fait plaisant, il prévient toutefois: «Il reste à savoir s’il existe une véritable plus-value à la surveillance continue des patients. En d’autres termes, est-ce que c’est absolument nécessaire à la délivrance des soins?»
La surveillance vidéo des patients répond aux critères des directives suisses de reconnaissance des unités de soins intermédiaires, se défend le CHUV. Celles-ci sont «élaborées et adoptées par une Commission ad hoc, regroupant des membres des diverses sociétés médicales impliquées dans les soins intermédiaires», ajoute l'établissement. Elles sont contenues dans un document, qui explique que «tout patient dans une unité de soins continus doit faire l'objet d'un surveillance en permanence avec contact visuel».
La directive énonce expressément que le contact visuel peut tout aussi bien être établi au moyen d'une solution technique. «La surveillance vidéo de certains patients hospitalisés aux soins intermédiaires n'est pas une particularité du CHUV», précise l'établissement à Blick. Elle serait pratiquée dans «tous les hôpitaux de Suisse où l'architecture des lieux ne permet pas un contact visuel de tous les patients depuis le poste de surveillance central».
La surveillance vidéo des patients répond aux critères des directives suisses de reconnaissance des unités de soins intermédiaires, se défend le CHUV. Celles-ci sont «élaborées et adoptées par une Commission ad hoc, regroupant des membres des diverses sociétés médicales impliquées dans les soins intermédiaires», ajoute l'établissement. Elles sont contenues dans un document, qui explique que «tout patient dans une unité de soins continus doit faire l'objet d'un surveillance en permanence avec contact visuel».
La directive énonce expressément que le contact visuel peut tout aussi bien être établi au moyen d'une solution technique. «La surveillance vidéo de certains patients hospitalisés aux soins intermédiaires n'est pas une particularité du CHUV», précise l'établissement à Blick. Elle serait pratiquée dans «tous les hôpitaux de Suisse où l'architecture des lieux ne permet pas un contact visuel de tous les patients depuis le poste de surveillance central».
Fuites de données et patientèle lésée
En terre vaudoise, l’Unité des affaires juridiques de l’hôpital estime que ce dispositif n’est pas «plus intrusif que la présence physique d’un soignant, voire moins!» Dans les hautes sphères du CHUV, chaque installation d’une surveillance médicale par caméra fait l’objet d’une évaluation des bénéfices attendus et de sa nécessité, explique Jeanne-Pascale Simon. Une question est aussi particulièrement abordée: les modalités techniques d’un tel dispositif. Elle assure, ceci étant, que celui-ci est utilisé «toujours sans enregistrement ni conservation des images».
Et si un tiers déclenchait l’enregistrement? L’avocat au Barreau genevois regrette le discours un tantinet candide de l’Unité des affaires juridiques: «En informatique, je crois que rien n’est impossible. Il n’est donc pas exclu que l’hôpital se fasse pirater ses données. Et cela s’avérerait délicat, car, les fichiers constitueraient des données doublement sensibles, étant rattachées à des données médicales, mais aussi à des images potentiellement intimes ou dégradantes.»
Cependant, si cela venait à se produire, hormis une perte de crédibilité conséquente, le CHUV ne risque pas grand-chose d'un point de vue légal et la personne lésée ne peut pas espérer beaucoup plus que des excuses, prévient encore Nicolas Capt, avant d'ajouter qu’il juge cette réalité «assez faiblarde». «C'est un peu comme si notre loi sur la sécurité routière interdisait de griller un feu rouge, mais sans produire le PV qui va avec...»