Le pape François compte bien mettre un terme aux gouffres financiers du Vatican. La corruption est une «histoire qui se répète, a déclaré le chef de l'Eglise il y a des années. Quand quelqu'un vient mettre de l'ordre, tout est à recommencer à zéro.»
Mettre de l'ordre, c'est l'objectif d'un processus qui a commencé en 2021 et qui devrait être terminé d'ici Noël. Cette semaine, le parquet du Vatican a annoncé la peine qu'il réclamait pour les dix accusés: 73 ans et un mois de prison au total.
L'ancien numéro trois est inculpé
Sur le banc des accusés, le cardinal Angelo Becciu, ancien numéro trois du Vatican. Le cardinal originaire de Sardaigne est depuis longtemps soupçonné de népotisme.
Lorsque les bâtiments des ambassades du Vatican en Egypte et à Cuba ont eu besoin de nouvelles fenêtres, la commande aurait été passée à l'atelier de menuiserie du frère du cardinal, Francesco. Et une parente aurait joué le rôle d'agent de liaison.
Selon la presse italienne, elle aurait également utilisé l'argent du Vatican pour des sacs à main de luxe. Ce genre de népotisme clérical n'est toutefois qu'une broutille en comparaison à l'opération immobilière londonienne dans laquelle le Vatican a perdu beaucoup d'argent.
Mauvais investissement, CS impliqué
Il était prévu de rénover un bâtiment de 17'000 mètres carrés, de créer 49 appartements de luxe et de les vendre pour un bénéfice confortable. Au final, le Vatican a perdu entre 139 et 189 millions d'euros. Fait marquant dans cette affaire: des dons des catholiques du monde entier auraient été détournés.
Qui a profité de cette mauvaise gestion? Quels mécanismes de contrôle ont échoué? L'argent investi Londres a en partie transité par des comptes de Credit Suisse et de la banque BSI à Lugano. La BSI n'existe plus, en 2016 l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) a décidé de dissoudre l'institution. Raison: le blanchiment d'argent.
Outre le cardinal Angelo Becciu, neuf autres personnes sont sur le banc des accusés, dont trois ont un lien avec la Suisse.
René Brülhart: ce juriste suisse s'est fait connaître au Liechtenstein comme le «James Bond des marchés financiers». Pendant huit ans, il y a dirigé la Financial Intelligence Unit et, en tant qu'expert de la lutte contre le blanchiment d'argent, il a contribué à révéler le scandale de corruption de Siemens en 2006.
En 2012, il est parti à Rome: d'abord comme directeur, puis comme président de l'autorité de surveillance financière du Vatican. En 2019, une rafle a eu lieu et le directeur de René Brülhart a été suspendu. Le Suisse a démissionné en signe de protestation. Le parquet l'accuse d'abus de pouvoir. Il demande trois ans et huit mois de prison, une interdiction temporaire d'exercer et 10'329 euros d'amende.
«Le procès a montré que l'accusation contre René Brülhart est infondée. J'ai confiance en le travail du tribunal pour clarifier l'innocence de mon client», confie à Blick l'avocat de René Brülhart.
Enrico Crasso: Ce double national italo-suisse a été pendant des années l'un des principaux partenaires de l'État pontifical pour les transactions financières. «J'ai gagné beaucoup d'argent pour le Vatican», rapportait l'ancien banquier de Credit Suisse au magazine «Zeit» en 2021. Le parquet du Vatican l'accuse, entre autres, de corruption: il demande neuf ans et neuf mois de prison, une interdiction d'exercer et une amende de 18'000 euros.
Enrico Crasso a clamé son innocence dans le «Zeit»: «Recevoir une commission n'est pas un crime. Si je gère la fortune de quelqu'un, je peux conclure des accords avec d'autres gestionnaires de fortune et placer de l'argent chez eux. En échange, je perçois une rémunération. En Suisse, c'est légal. En Italie, non.» Il espère que le tribunal lui donnera raison, livre-t-il à Blick.
Raffaele Mincione: Le gestionnaire de fonds a joué un rôle central dans l'achat de biens immobiliers à Londres. Le parquet l'accuse principalement de détournement de fonds et demande onze ans et cinq mois de prison, une interdiction d'exercer et une amende de 15'450 euros.
Selon Moneyhouse, Raffaele Mincione est domicilié à Celerina (GR) et travaille à Londres. En 2021, le Tribunal pénal fédéral a confirmé le blocage de ses comptes suisses sur lesquels se trouveraient près de 60 millions de francs.
«Le procès a montré que les accusations sont infondées. Dans nos plaidoiries, nous soulignerons les lacunes de l'accusation», explique l'avocat de Raffaele Mincione.
Une prison avec seulement deux cellules
En novembre, ce sera au tour de la défense, un jugement devrait être rendu avant la fin de l'année. Personne ne s'attend à de longues peines de prison. Par ailleurs, la prison du Vatican ne compte que deux cellules.
Ce n'est pas un hasard si la place bancaire suisse a joué un rôle central: comme l'écrit le journaliste italien Fabrizio Massaro dans un livre sur les finances du pape, l'Etat pontifical a beaucoup misé sur la Suisse depuis 1929. Lugano, Genève et Zurich étaient considérés par le Vatican comme des ports financiers sûrs. Peut-être que cela va changer.