Le 16 mars, un groupe d'Erythréens et d'Erythréennes a écrit au ministre de la Justice Beat Jans. Ils s'étaient réunis pour attirer l'attention sur la répression de leurs compatriotes critiques à l'égard du régime, pour dénoncer les tentatives de division de la part du gouvernement et pour exprimer leur inquiétude face aux violations des droits de l'homme dans leur pays. C'est pour ces raisons que le collectif demandait un entretien avec Beat Jans, peut-on lire dans une lettre que Blick s'est procurée.
Le 24 mars, puis le 31 mars, des groupes érythréens en sont venus aux mains, respectivement à Genève et à Gerlafingen (SO). La police est intervenue avec des canons à eau et des gaz lacrymogènes pour empêcher les opposants au régime, armés de pierres et de matraques, de s'attaquer à une fête organisée par leurs partisans.
Les deux parties n'étaient pas intéressées par une désescalade, a constaté la police soleuroise.
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Des espions pour le régime en Suisse?
Auparavant, il n'y avait jamais eu d'affrontements violents entre Erythréens dans le canton, selon le porte-parole Bruno Gribi. Dans le canton de Zurich, les partisans et les critiques du président Isayas Afewerki s'étaient déjà affrontés en septembre. Après les émeutes, les politiciens ont exigé des mesures pour lutter contre les partisans de la dictature.
Ceux-ci ont alors collecté de l'argent pour le gouvernement d'Asmara lors de soi-disant festivals culturels, ont espionné les opposants au régime, les ont mis sous pression et les ont provoqués, comme le déplorent les opposants. Lors des festivals, les partisans d'Isayas Afewerki diffusent en outre des messages de haine contre leurs adversaires – comme dimanche dernier à Gerlafingen.
En outre, des espions bénéficiant de l'immunité diplomatique seraient actifs en Suisse pour le dictateur. Dans la lettre adressée au conseiller fédéral Beat Jans, il est même dit que ses agents entrent dans le pays en tant que «faux réfugiés» afin d'infiltrer la communauté érythréenne en Suisse. Au cours des deux dernières années, le régime érythréen a intensifié ses activités dans le pays.
Manque de compréhension
En se montrant violents à plusieurs reprises, les opposants d'Isayas Afewerki ont perdu la sympathie d'une partie de la population suisse. Souvent par manque de compréhension pour leurs revendications. Le conseiller communal lausannois Samson Yemane était notamment venu expliquer l'origine de la problématique érythréenne au micro de Blick.
«Beaucoup de mes compatriotes se sentent impuissants», explique aussi Okbaab Tesfamariam, porte-parole de l'Association suisse des médias érythréens, qui s'engage pour l'intégration et les besoins des Erythréens en fuite. Il souligne que le gouvernement d'Asmara organise des événements de propagande sous les yeux de ses compatriotes réfugiés et appelle à la violence contre les opposants: «Nous ressentons la répression de la dictature érythréenne jusque ici en Suisse.» Les membres de l'association des médias seraient également régulièrement menacés lorsqu'ils s'exposent en public.
L'opposition a plusieurs fois mis en garde contre les amis du régime
Okbaab Tesfamariam regrette que certains opposants au régime n'hésitent pas à recourir à la violence. Il s'agit toutefois d'une petite minorité. Il constate en même temps que les autorités sont restées inactives, bien qu'on leur ait signalé à plusieurs reprises que les festivals culturels représentaient un danger. Dès l'été 2022, l'opposition avait écrit aux députés cantonaux de la justice et de la police, au Secrétariat d'Etat aux migrations ainsi qu'à la ministre de la justice de l'époque, Karin Keller-Sutter, pour attirer leur attention sur le problème.
Les corps de police compétents avaient également été contactés et ont depuis été régulièrement informés des manifestations à venir. L'offre de collaborer avec les autorités de sécurité et de mettre à disposition des personnes de contact de la diaspora existe. Seulement, «il se passe très peu de choses, voire rien du tout», critique Okbaab Tesfamariam.
Pourquoi Beat Jans n'a-t-il pas répondu?
L'espoir de voir la situation s'améliorer s'amenuise avec le nouveau ministre de la justice et la lettre qui lui a été adressée. Jusqu'à présent, Beat Jans n'aurait pas répondu – bien qu'il ait souligné publiquement à plusieurs reprises ces derniers jours que le conflit au sein de la diaspora érythréenne le préoccupait et qu'il ait demandé: «Arrêtez de régler vos conflits politiques en Suisse!»
Comme l'a indiqué le Département de la justice (DFJP) à la demande de Blick, Beat Jans a chargé le Secrétariat aux migrations de réagir à cette lettre. «La réponse sera envoyée prochainement. Nous ne donnons aucune indication sur son contenu.»
Plusieurs questions restent cependant sans réponse: Quand le mandat a-t-il été confié au DFJP? pourquoi Beat Jans ne répond-il pas lui-même à la lettre? La Confédération accepte-t-elle l'offre de discussion?
La rivalité des Erythréens en Suisse s'explique par le soutien pour le régime actuel d'Asmara de ceux qui ont fui l'occupation éthiopienne il y a des décennies. Les demandeurs d'asile plus récents, en revanche, veulent échapper à la dictature d'Isayas Afeworki. De nombreux fidèles du gouvernement ont entre-temps été naturalisés en Suisse ou disposent d'un permis de séjour et ne peuvent donc pas être renvoyés.
Les cantons sont responsables
Il n'est pas clair comment des débordements comme ceux de Genève pourront être évités à l'avenir. L'Office fédéral de la police renvoie à la compétence des cantons en matière de sécurité. Le porte-parole Patrick Jean souligne que l'évolution de la situation est suivie de près, en concertation avec la population érythréenne.
Au Service de renseignement de la Confédération, on affirme que les membres de la diaspora en Suisse sont, d'après les connaissances du service, régulièrement recherchées par des agents étrangers. «Les ressortissants d'une douzaine d'Etats sont concernés», explique la porte-parole Sonja Margelist. Le service de renseignement ne s'exprime pas sur les différents groupements.