Militantisme ou politique?
Face aux activistes climatiques, les Verts doivent choisir leur camp

Pour la première fois ce mardi soir, le président des Verts, Balthasar Glättli, a condamné les blocages d’autoroute de la part de Renovate Switzerland. Un changement de stratégie nécessaire pour les écologistes, à la peine à un an des élections fédérales.
Publié: 27.10.2022 à 10:04 heures
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Dernière mise à jour: 27.10.2022 à 19:51 heures
Les militants de Renovate Switzerland multiplient les actions cet automne. Les Verts disent les «comprendre».
Photo: Renovate Switzerland
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Depuis ses débuts en Suisse romande, Blick a écrit plus de 25’000 articles. Aucun d’entre eux n’a eu une telle audience que celui publié lundi, dans lequel nous vous contions la mésaventure de scientifiques laissés collés sur le béton d’un garage allemand. Inutile de vous en faire le récit, vous l’avez sans doute lu. De BFM TV à Brut en passant par Europe 1, toute la presse francophone en a parlé.

D’une certaine manière, les activistes ont réussi leur coup. Qu’ils bloquent des autoroutes, badigeonnent des toiles ou se collent partout où ils peuvent, tout le monde ne parle que d’eux. Si l’on parvenait à convertir la grogne populaire des automobilistes bloqués par Renovate Switzerland en énergie, voilà longtemps que le spectre de la pénurie serait écarté.

En perte de 1,5 point

Le réchauffement climatique est sur toutes les bouches, sur une base quotidienne. Et dire que certains pensaient naïvement, en 2019, que le sujet serait passé de mode quatre ans plus tard... Voilà qui devrait plaire aux Verts, non? Pas si vite — raisonner ainsi ne serait pas seulement un raccourci, mais une erreur: si les Suisses votaient aujourd’hui, les écologistes seraient les grands perdants, selon le sondage SSR publié ce mercredi.

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Certes, beaucoup de choses peuvent se produire en un an, et la baisse des Verts reste dans la marge d’erreur. Mais, davantage que l’arithmétique, la chute des Verts mise en parallèle avec la progression de leurs «cousins» Vert'libéraux prouve bien que le parti fait face à un problème stratégique. Il est clair: leur proximité, pour ne pas dire parenté, avec les militants.

Avec leur discours ambigu sur la désobéissance civile, les Verts encouragent la confusion entre activisme et action politique. Ils se retrouvent aussi bloqués que les conducteurs à l’entrée de l’autoroute de Crissier, ce mardi.

Vous n'êtes pas convaincu par cette thèse de l'autogoal? Il vous suffit d'aller lire quelques-uns des milliers (!) de commentaires consécutifs à notre article: «Qu’ils continuent à se coller partout! Plus il y aura d’actions dans ce genre, plus les gens en auront marre! Plus personne n’aura envie d’adhérer à leur cause. Déjà que là, on n’a plus envie du tout.»

Seulement des «boomers» qui craignent pour leurs «libertés»? Les Verts auraient tort de le croire, malgré le facteur «bulle de filtre» toujours présent des réseaux sociaux.

Has been, Greta Thunberg?

Ce serait du moins ignorer que le climat, politique cette fois, a changé depuis 2019. Et cela n’a pas échappé à un élu UDC, toujours sur notre page Facebook: «Ce qui est bien, c’est que les gens n'en auront bientôt plus rien à faire du réchauffement climatique.» Une jubilation au grand jour. Comme si la science était un programme politique, et qu’elle avait perdu en se collant au froid béton de l’Autostadt, le musée en face du siège de Volkswagen.

Oubliées les marches pour le climat? Has been, Greta Thunberg? À droite, on jubile. Pour le PLR, ce n’est pas la planète qui brûle, mais la «flamme libérale». À l’UDC, on brandit le spectre d’un effondrement du pays si la «folie climatique» de la gauche venait à l’emporter l’automne prochain.

Face à ce feu nourri, les écologistes ne peuvent même pas compter sur les socialistes. «La seule chose que les Verts ont obtenue, à Berne, c’est l’interdiction du foie gras», ironisait cette semaine un «camarade» sur notre site. Tacle. Violent. La phrase a beau être prononcée sur fond de lutte entre les deux formations de gauche pour leur représentation respective au Conseil fédéral, elle appuie là où cela fait mal: sur le bilan politique des Verts.

Verts prêts à «se remettre en question»

Car, portés jusqu'à la porte du gouvernement par la fameuse vague verte, les écologistes avaient été priés par les partis établis de confirmer en 2023 avant de briguer quoi que ce soit. Autant dire que les Verts ne jouent rien de moins, l'automne prochain, que leur envergure politique pour les prochaines années. Le parti ne s’y est pas trompé, ayant déjà baptisé ces fédérales les «élections du climat».

La campagne est lancée très tôt, puisque toutes les formations ont marqué le coup ce week-end, à J-365. Les attaques sont déjà vives. Philippe Nantermod n'est jamais le dernier pour les bons mots: «Je suis un antidécroissant absolu: je combats le modèle du col roulé et du chauffage à 17 degré, le modèle de société défendu par les Verts», glisse le Valaisan à Blick dans une «balle perdue» alors qu'il s'expliquait initialement sur sa casquette.

Les Verts, justement, se sont bien gardés d'annoncer qu'ils voulaient éviter de s'en prendre une dans douze mois. Mais, si les objectifs sont élevés (devenir le 3e parti du pays et siéger au Conseil fédéral), on sent bien que la formation traverse une phase compliquée. «Nous sommes prêts à élaborer des compromis et aussi à nous remettre parfois en question», a reconnu le président du parti, Balthasar Glättli. Une rhétorique plutôt prudente pour un lancement de campagne.

«En se collant aux autoroutes, on n’aide pas du tout la cause!»

Mais le Zurichois a gardé sa phrase la plus marquante pour ce mardi. Ils ne visent pas le PLR, mais ce qu'on croyait être son propre camp, les activistes du climat: «En se collant aux autoroutes, on n’aide pas du tout la cause!» Tiens, voilà que les Verts se rendent compte que si autant de Suisses ont glissé une liste écologiste dans l’urne voici trois ans, c’est parce que le parti avait réussi à ratisser large, bien au-delà de sa base historique.

Enfin, les Verts saisissent que les «Monsieur et Madame Tout le monde», souvent nouveaux électeurs, n'avaient pas voté pour des actions qui les entravent au quotidien au lieu de leur offrir des perspectives et de l’espoir. Il y en a, pourtant: dans les communes et les cantons, les plans climatiques se mettent en place. Tout comme le récent contre-projet à l'initiative glaciers, alors que le climat est toujours — autre enseignement du sondage —, de très loin, la première préoccupation des Suisses.

On sait depuis longtemps que la lutte contre le réchauffement climatique est l’exemple ultime du dilemme du prisonnier. Théorisé voilà plus de 70 ans par le mathématicien américain Albert W. Tucker, il évoque une situation où deux acteurs ont intérêt à coopérer, mais comme ils ont trop peur de se faire trahir par l’autre («J’éteins ma lumière, mais les Chinois…»), ils prennent par conséquent la décision la moins rationnelle — en l’occurrence de continuer à consommer, malgré la menace.

Ce fameux «délai prédateur» avait été évoqué à Blick par la scientifique de l’Université de Lausanne Julia Steinberger, qui a apporté son soutien à ses malheureux congénères d’Allemagne. Voir des sommités désemparées au point de passer 42 heures au froid et dans le noir, sous la moquerie généralisée, est triste. Mais s'ils veulent vraiment s'en solidariser, les Verts doivent trouver le moyen d’y répondre politiquement, plutôt que d'encourager les blocages d'autoroute. Ils ont un an.

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