Le 29 décembre 2022, Ueli Maurer et Karin Keller-Sutter se sont parlés pour la dernière fois au téléphone avant que le conseiller fédéral de l'Union démocratique du centre (UDC) ne quitte ses fonctions et ne transmette le département des finances à son successeur. «Credit Suisse est stable», avait assuré Ueli Maurer à la ministre de la Justice de l'époque. Nous le savons aujourd'hui: plus qu'un euphémisme, c'était une erreur.
La dure réalité est qu'après les fêtes de Noël, la grande banque était au bord du gouffre. Le jour même de la conversation téléphonique, l'Autorité de surveillance des marchés financiers (Finma) a demandé à Credit Suisse de se préparer à une vente d'ici début janvier.
Ueli Maurer n'avait pas confiance en ses collègues
En tant que ministre des Finances, le conseiller fédéral UDC était au courant de tous les détails pertinents dès l'automne 2022. Il était au courant qu'un château de cartes se dressait sur la Paradeplatz zurichoise et qu'il risquait de s'effondrer au moindre coup de vent. En réalité, tous les scénarios, de la vente à la liquidation, avaient été préparés et imaginés en coulisses. Le destin de la banque était entre ses mains.
Le ministre semblait alors avoir décidé que le mieux était que le moins de gens possible soient au courant. Vis-à-vis de ses collègues, Ueli Maurer faisait la sourde oreille quant à l'état de la banque. Il n'informait que de manière lacunaire, quand il le faisait. Il y avait une raison à cela, du moins du point de vue d'Ueli Maurer: à l'époque de la pandémie de Covid-19, des informations importantes avaient toujours été rendues publiques. dans le cas de Credit Suisse, chaque fuite et chaque rumeur autour de la grande banque aurait pu être le coup de grâce.
Mais dans ces conditions, le Conseil fédéral ne pouvait assumer sa responsabilité de direction que de manière limitée. La commission d'enquête parlementaire (CEP) est arrivée à la conclusion que la politique d'information du conseiller fédéral UDC laissait alors «à désirer». Lorsque Credit Suisse s'est embrasé en octobre 2022, les informations sur la fuite des dizaines de milliards de francs n'étaient que sommaires.
Ce n'est que le 2 novembre que la situation du groupe bancaire a été abordé en détail lors d'une réunion du Conseil fédéral. Deux jours plus tard, Ueli Maurer a annulé une séance spéciale annoncée à la dernière minute, puis le flux d'informations s'est à nouveau ralenti.
Ne rien dire à Karin Keller-Sutter
Le manque d'informations a été particulièrement ressenti par Karin Keller-Sutter: dans le cadre du transfert du département, elle a tout juste eu deux entretiens téléphoniques et une seule rencontre physique avec Ueli Maurer. Au cours de celle-ci, elle n'a reçu aucun document écrit de sa part sur la situation du Credit Suisse.
Le rapport de la CEP révèle cela aussi: Ueli Maurer a empêché dans certains cas que des hauts fonctionnaires ou des autorités de surveillance informent Karin Keller-Sutter de la situation Ueli Maurer l'a nié devant la CEP. Selon lui, Karin Keller-Sutter n'aurait pas été suffisamment disponible pour organiser un vrai rendez-vous.
Pour le reste aussi, Ueli Maurer a préféré faire cavalier seul, comme le montre le rapport de la CEP. Il y avait certes des comités de crise, mais indépendamment de ceux-ci - et parfois en les contournant - le ministre a rencontré plusieurs fois en petit comité Thomas Jordan, alors président de la Banque nationale, et Axel Lehmann, président du conseil d'administration du Credit Suisse. Rien n'a été consigné dans le procès-verbal et aucune information potentiellement pertinente n'est parvenue aux autorités de surveillance de la Confédération.
Hostile à la surveillance, amical envers les banques
Dès l'entrée en fonction d'Ueli Maurer, le lobbying des banques contre le régime strict du too big to fail, mis en place par Evelyne Widmer-Schlumpf, a pris de l'ampleur. La nouvelle réglementation devait empêcher que les faillites de banques d'importance systémique ne menacent les économies nationales.
Du point de vue de l'autorité de surveillance des marchés financiers, les critiques à l'encontre de la réglementation se sont multipliées et la pression politique sur l'autorité a augmenté suite à des interventions au Parlement. Cela a retardé la réglementation et, selon la Finma, les arguments des banques ont été davantage entendus qu'auparavant au sein du Département des finances.
Toutefois, Ueli Maurer n'a pas fait cavalier seul dans ce domaine. Il s'est fait aider, voire guider, par le Parlement.