Cela ressemble déjà à une victoire écrasante. Lorsque les Suisses se rendront aux urnes le 28 novembre, il y a de fortes chances qu'ils cochent en majorité la case du «oui» pour l'initiative populaire sur les soins. Selon les sondages, le texte de loi peut espérer un soutien important. Qui plus est, samedi, 5000 travailleurs de la santé ont manifesté une nouvelle fois pour un vote favorable et de meilleures conditions de travail.
Bien que le projet la précède, la pandémie a notablement contribué à mettre en lumière les conditions de travail précaires de cette branche, qui par ailleurs ne se sent pas suffisamment soutenue.
Mais est-ce vraiment le cas? Quelle est la situation des infirmières et infirmiers en Suisse? Qu'en est-il véritablement des conditions de travail? Blick prend le pouls du secteur.
Pas assez de bras
Au total, environ 185'600 personnes ont travaillé dans le secteur des soins en 2019, soit plus que celles employées dans l’agriculture par exemple. Environ la moitié des soignants travaillent dans les hôpitaux et les cliniques, un peu plus d’un tiers dans les maisons de retraite et de soins, et les 17% restants dans les services d'aide et soins à domicile.
Ils et elles ne sont pas assez. En septembre de cette année, 5761 postes étaient ouverts, selon la «SonntagsZeitung» – c'est plus que jamais auparavant. Et il est difficile de les occuper. La plupart des entreprises ont du mal à trouver du personnel qualifié, beaucoup ont recours aux agences de recrutement. Plus la spécialisation demandée pour un poste est élevée, plus il est difficile de trouver des travailleurs qualifiés. Telle est la conclusion d’un rapport de l’Observatoire suisse de la santé (Obsan).
Ce dernier prédit par ailleurs que la pénurie ne va que s’accentuer, car la population vieillit et augmente. D’ici 2050, le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans doublera probablement, pour atteindre plus d’un million. Dont une grande partie aura besoin de soins. Pour seules les maisons de retraite et de soins, l’Obsan suppose un besoin de 35'000 emplois supplémentaires en 2035.
Hautement qualifiés et qualifiées
«Les soins infirmiers sont une profession bien plus complexe que ce que beaucoup de gens ne pensent», déclare Katharina Fierz, directrice de l’Institut des soins infirmiers de l’Université des sciences appliquées de Zurich. Elle donne un exemple: «Les patients alités développent rapidement des escarres qui peuvent devenir très dangereuses.» Pour reconnaître le changement de la peau comme un indice, une formation spécifique est nécessaire: «On ne remarque les bons soins que lorsqu’ils font défaut», déclare-t-elle.
Heureusement pour nous tous, le personnel de soins et d'accompagnement, qui comprend les infirmiers et infirmières ainsi que toutes les autres professions du corps de métier, est généralement bien qualifié: 49% de ces travailleurs ont suivi une formation tertiaire, c'est à dire en haute école, 32% une formation professionnelle, et seuls 19% n'ont pas suivi de formation poussée.
Les diplômés de hautes écoles sont surtout demandés dans les hôpitaux: actuellement, environ 70% du personnel de soin et d'accompagnement y est «diplômé», alors qu'il s'agit de 42 % dans les soins à domicile, et dans les maisons de retraite d'un peu moins d’un tiers. L’Obsan part du principe que 43 400 nouveaux «diplômés» et «diplômées» seront nécessaires d’ici 2029.
Ce sont des femmes…
La profession reste une profession féminine. Dans les hôpitaux, 84% sont des femmes, et dans les foyers, ce chiffre atteint 87%. Le phénomène du temps partiel est probablement aussi lié à cela. En moyenne, une infirmière travaille 70% du temps dans un hôpital. Si elle est employée dans une maison de retraite ou de soins, elle travaille un peu plus, 73%. Et un peu moins, 60%, dans les soins à domicile.
…qui viennent de l’étranger
Les personnes hautement qualifiées sont souvent recrutées à l’étranger. «La Suisse se trouve dans le luxe de pouvoir recruter dans les pays voisins ayant la même langue», explique Michael Simon, professeur de sciences infirmières à l’Université de Bâle. Dans toute la Suisse, un tiers des infirmiers et infirmières ont obtenu leur diplôme à l’étranger. La Suisse romande étant la région la plus dépendante de ses voisins, avec un diplôme sur deux provenant de l’étranger.
Michael Simon est loin d’être certain que la Suisse pourra, à long terme, combler ses lacunes en matière de personnel par du personnel étranger. Car il y a une pénurie de personnel qualifié dans toute l’Europe. «La compétition européenne va certainement devenir encore plus difficile».
Sous-payés et sous-payées...
A première vue, les salaires ne semblent pas si mauvais: 7400 francs pour un poste à plein temps d’infirmier.ère.s diplômé.e.s – c’est le salaire médian. Cela signifie que la moitié des infirmières gagnent moins, l’autre moitié plus.
Mais si vous regardez d’autres secteurs, il s’avère que ce n’est pas tant que cela. Certains diplômés et diplômées des formations de commerce gagnent rapidement plus après leur apprentissage qu’une femme qui travaille comme infirmière dans une maison de retraite depuis 20 ans. Dans le secteur des services financiers, le salaire médian est de 9200 francs. Dans le commerce de détail, en revanche, il n’est que de 4800 – mais aucunes hautes études ne sont nécessaires. «Par rapport au fait que plusieurs années d’études supérieures sont nécessaires et que la profession exige beaucoup de responsabilités et de flexibilité personnelle, les salaires sont trop bas», déclare le chercheur en sciences infirmières.
…surtaxés et surtaxées
Il n’est donc pas étonnant que de nombreuses infirmières et infirmiers quittent la profession. Environ 40% ont démissionné, avec ou sans diplôme. «Les taux de démission sont relativement élevés depuis des années», explique le professeur. Et le salaire n'en est même pas la raison principale. Selon lui, c’est plutôt la charge de travail élevée et la pression chronique due au manque constant de personnel qui sont entre autres en cause. 50% des personnes interrogées ont déclaré que la période de repos légale de onze heures entre deux équipes ne peut être respectée plusieurs fois par mois. Même ceux qui ne travaillent qu’à 80% ont rarement deux jours de congé d’affilée. Et même dans ce cas, ils doivent être disponibles sur appel.
Tout cela est préjudiciable pour la santé du personnel soignant. Les douleurs dorsales et articulaires, les problèmes de sommeil et même l’anxiété ne sont pas rares dans cette profession. Dans l’enquête d’Unia, une personne sur trois a déclaré avoir déjà été en congé maladie pendant plus d’un mois à cause de son travail.
Notre société vieillissante ne peut se permettre de rendre ses soignants malades, en refusant d'adapter leur condition à la conjoncture actuelle. Des améliorations des conditions de travail sont nécessaires rapidement. Le vote du 28 novembre permettra de savoir si cela se fera avec l’initiative ou le contre-projet.
(Adaptation par Daniella Gorbunova)