Tout commence toujours par un titre. Celui du document que les 27 représentants permanents des pays membres de l’Union européenne ont approuvé ce mardi à l'unanimité à propos de la Suisse est le suivant: «Directives relatives à la négociation de dispositions institutionnelles pour les accords UE-Suisse relatifs au marché intérieur, ainsi que pour les accords qui constituent la base de la contribution permanente de la Suisse à la cohésion de l’Union et de l’association de la Suisse aux programmes de l’Union.»
Tout est dit. Ce texte, que Blick avait pu consulter en avant-première, dit ce que les pays de l’UE sont prêts à accepter et à négocier. À chacun son mandat. Berne a le sien depuis le 8 mars. La Commission aura bientôt le sien. Le choc peut avoir lieu. Premier rendez-vous probable le 18 mars au Berlaimont, le QG bruxellois de l’exécutif communautaire, où devrait se rendre Viola Amherd, l’actuelle présidente de la Confédération.
La partie la plus dure est engagée dès le début de ce mandat de négociation de la Commission qui sera bientôt rendu public, comme l'a fait le Conseil fédéral. Elle concerne le fameux «acquis», à savoir le socle de droit européen que les pays tiers comme la Suisse doivent s’engager à reprendre s’ils veulent accéder au marché unique de 450 millions de personnes. Or là, c’est clair, l’Union estime être en position de force. Voici ce qui est recommandé pour négocier avec la Suisse:
Interprétation et application uniformes de l’acquis de l’Union
«Obligation pour les parties (donc pour la Suisse) d’interpréter et d’appliquer de manière homogène l’acquis de l’Union, dans l’ensemble du marché intérieur, y compris les dispositions relatives aux aides d’État. Cela implique que les accords avec la Suisse et les actes de l’Union auxquels ils font référence soient interprétés et appliqués conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qu’elle soit antérieure ou postérieure à la signature de l’accord correspondant.»
Reprise dynamique du droit européen
«Obligation pour les parties d’assurer l’adaptation dynamique des accords avec la Suisse relatifs au marché intérieur à l’acquis évolutif de l’Union, par le biais d’une procédure décisionnelle appropriée et d’un délai maximal pour l’adaptation de l’acquis pertinent de l’Union à l’ordre juridique suisse.»
En clair: il s’agit bien d’adapter le droit suisse aux exigences juridiques communautaires dans les domaines visés par les futurs accords bilatéraux.
Règlement des différends
«Un mécanisme efficace de règlement des différends qui préserve la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne pour interpréter le droit de l’Union. À cette fin, un tribunal arbitral indépendant devrait être mis en place pour régler les différends. Lorsque l’application des dispositions des accords fait intervenir des notions de droit de l’Union, le tribunal arbitral devrait avoir l’obligation de saisir la Cour de justice de l’Union européenne, qui prend une décision juridiquement contraignante pour le tribunal arbitral».
En clair: il y aura bien un arbitrage, mais celui-ci ne pourra pas s’imposer à la Cour de justice de l’UE qui statuera en dernier recours. De quoi faire sauter au plafond tous ceux qui, en Suisse, dénoncent l’interférence future des «juges étrangers».
Un socle juridico-politique
L’important est de bien comprendre ce qui est en jeu. Ces dispositions sont, pour la Commission européenne, des aspects institutionnels qui seront ensuite intégrés à tous les futurs accords. Il s’agit donc d’un socle juridico-politique, ou d’un carcan que lequel la Suisse et l’UE devront, ou non, tomber d’accord avant d’aller plus loin.
Dans le texte validé par les 27, cela donne: «Caractère prospectif des solutions institutionnelles: les dispositions institutionnelles établies lors de la négociation devraient s’appliquer et être identiques dans les accords existants et futurs liés au marché intérieur, sous réserve d’adaptations techniquement justifiées.»
Et pour bien se faire comprendre, l’UE ajoute: «Les négociations sur les accords permettant à la Suisse d’accéder à d’autres secteurs du marché intérieur ne devraient pas être conclues avant la conclusion des négociations sur les dispositions institutionnelles.»
Maintenant que ce document est adopté (en point A, sans vote) Viola Amherd est donc prévenue. La Suisse a beau avoir (enfin) adopté un mandat de négociation, l’Union européenne entend bien faire respecter son principe de base: c’est le droit de l’UE qui régit l’accès au marché intérieur de l’Union. Et c’est ce droit qui primera, in fine, en cas de litige.