Tout est dans le titre: avez-vous le sentiment que les mendiants qui traînent sur les pavés lausannois sont devenus plus nombreux et plus agressifs qu’auparavant? Simple impression ou réalité, Blick a vérifié dans la rue.
Ce sentiment désagréable, c’est en tout cas le postulat du Parti libéral-radical (PLR) lausannois, exprimé fin 2023. Adossée à la machine à café, notre collègue Marie raconte une anecdote qui va dans le sens du parti de droite: «Je n’arrête pas de me faire accoster par des mendiants, ces temps. J’ai l’impression qu’ils sont plus nombreux, oui, mais surtout qu’ils se gênent moins. Il y a peu, l’un d’eux m’a demandé de l’argent, puis m’a proposé, contre toute attente, de me donner lui-même 100 francs pour 'me baiser'. Ça n’a aucun sens!»
Prenons un peu de hauteur. Et appelons le municipal (exécutif) libéral-radical Pierre-Antoine Hildbrand, chargé de la Sécurité et de l’économie à Lausanne: «Il faut très rapidement rétablir l’interdiction de la mendicité dans le Canton de Vaud, assène-t-il à Blick. Les personnes sans travail et sans ressources ne doivent pas bénéficier de la liberté de circulation, et doivent être prises en charge par leur pays.»
Aux yeux de l’élu, «ce n’est pas aux contribuables lausannois de payer, ni à la population et aux touristes de supporter des comportements agressifs ou intrusifs». Il ne demande «ni plus ni moins» qu’une application similaire à la loi bâloise sur la mendicité, validée par le Tribunal fédéral, qui considère les mendiants originaires des pays européens comme étant en situation irrégulière et pouvant être expulsés.
D’accord, mais de quoi parle-t-on, au juste? Combien y a-t-il de mendiantes et de mendiants, dans la capitale olympique? Interrogées, les autorités rétorquent… qu’elles n’en ont aucune idée. Depuis que la loi cantonale sur la mendicité ne peut plus être appliquée, elles disent n’avoir plus de statistiques sur cette thématique du sans-abrisme. Le Grand Conseil vaudois devrait — à nouveau — débattre de l’application de cette loi d’ici à cet été, d’après nos informations (voir encadré).
En théorie, il y a bel et bien une loi qui interdit la mendicité à Lausanne. Mais dans la pratique, elle n’est plus vraiment appliquée depuis trois ans. Oui, c’est dur à suivre sans s’emmêler les pinceaux. Alors, faire la manche dans la capitale vaudoise, c’est interdit ou pas? On vous explique.
Après avoir été encadrée par le Règlement général de police (RGP) de 2013 jusqu’en 2018 en Ville de Lausanne, la mendicité est tombée, dès le 1er novembre 2018, sous le coup d’une loi cantonale qui l’interdit (plus ou moins explicitement). Voté de justesse au Grand Conseil il y a huit ans désormais, le texte semble poser deux principaux problèmes, qui expliquent pourquoi il n’est actuellement plus respecté.
Contraire aux droits de l’homme?
Le premier et principal souci étant: il s’est avéré, en 2021, que la loi vaudoise était inapplicable au regard du droit international. À l’origine de ce constat, un cas genevois qui a fait jurisprudence à Strasbourg.
À savoir: une mendiante interpellée à Genève avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Cette dernière a «considéré que la répression sans nuance de la mendicité n’est pas conforme au principe de proportionnalité», relayait la RTS en 2022.
«Les juges de Strasbourg ont ainsi clairement proscrit une interdiction générale. Depuis cet arrêt, les autorités vaudoises ne pouvaient plus appliquer les dispositions cantonales entrées en vigueur en novembre 2018», explicitaient également nos confrères. Depuis, le gouvernement vaudois a dû revoir sa copie, pour adapter la loi aux normes internationales.
En bref, dans la version 2.0 du texte, «la mendicité est autorisée pour autant qu’elle ne porte pas atteinte à la liberté de choix du passant. Il est prévu de sanctionner la mendicité intrusive ou agressive. Et le fait de mendier dans un certain nombre de lieux 'sensibles'», écrivaient nos confrères de «24 heures» en juillet 2023.
Le PLR boude la version soft
Alors que le texte venait d’être amendé sous pression de Strasbourg, un nouveau problème est apparu. La version remodelée n’était pas au goût du municipal (exécutif) lausannois en charge de la Police, le libéral-radical (PLR) Pierre-Antoine Hildbrand, ni de celui de son parti.
La présidente de la section vaudoise du PLR Florence Bettschart-Narbel, estimait, elle aussi, que le nouveau projet élaboré par le Conseil d’État n’était «pas abouti», en septembre 2023. En bref, elle reprochait au texte d’être trop flou quant aux lieux et aux distances où s’appliquerait concrètement l’interdiction, par exemple. Le projet était ensuite reparti en commission.
D’après nos informations, la commission vient de terminer ses travaux, à l’heure où nous écrivons ces lignes. Le sujet devrait entrer à l’ordre du jour du Parlement vaudois, et faire à nouveau débat d’ici à l’été 2024.
Pas de chiffres officiels
En attendant, du propre aveu de la Ville de Lausanne, interrogée à ce sujet, il n’y a effectivement aucun chiffre qui permette de quantifier le phénomène, puisqu’il n’est — temporairement — plus possible de le réprimer.
La Municipalité indique cependant, dans sa déclaration écrite du 4 avril 2024 en réponse à la question de l'élu libéral-radical Matthieu Carrel (qui se demandait, quelques mois plus tôt, où en était le dossier): «Depuis plusieurs mois, en l’absence de cadre légal clair, la mendicité a sensiblement augmenté, en particulier dans les centres-villes, mais pas seulement: dans les marchés, terrasses de restaurants, devant les magasins, gares, magasins et commerces», cela d’après les «nombreuses plaintes de passants, résidents ou encore propriétaires de commerces.»
En théorie, il y a bel et bien une loi qui interdit la mendicité à Lausanne. Mais dans la pratique, elle n’est plus vraiment appliquée depuis trois ans. Oui, c’est dur à suivre sans s’emmêler les pinceaux. Alors, faire la manche dans la capitale vaudoise, c’est interdit ou pas? On vous explique.
Après avoir été encadrée par le Règlement général de police (RGP) de 2013 jusqu’en 2018 en Ville de Lausanne, la mendicité est tombée, dès le 1er novembre 2018, sous le coup d’une loi cantonale qui l’interdit (plus ou moins explicitement). Voté de justesse au Grand Conseil il y a huit ans désormais, le texte semble poser deux principaux problèmes, qui expliquent pourquoi il n’est actuellement plus respecté.
Contraire aux droits de l’homme?
Le premier et principal souci étant: il s’est avéré, en 2021, que la loi vaudoise était inapplicable au regard du droit international. À l’origine de ce constat, un cas genevois qui a fait jurisprudence à Strasbourg.
À savoir: une mendiante interpellée à Genève avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Cette dernière a «considéré que la répression sans nuance de la mendicité n’est pas conforme au principe de proportionnalité», relayait la RTS en 2022.
«Les juges de Strasbourg ont ainsi clairement proscrit une interdiction générale. Depuis cet arrêt, les autorités vaudoises ne pouvaient plus appliquer les dispositions cantonales entrées en vigueur en novembre 2018», explicitaient également nos confrères. Depuis, le gouvernement vaudois a dû revoir sa copie, pour adapter la loi aux normes internationales.
En bref, dans la version 2.0 du texte, «la mendicité est autorisée pour autant qu’elle ne porte pas atteinte à la liberté de choix du passant. Il est prévu de sanctionner la mendicité intrusive ou agressive. Et le fait de mendier dans un certain nombre de lieux 'sensibles'», écrivaient nos confrères de «24 heures» en juillet 2023.
Le PLR boude la version soft
Alors que le texte venait d’être amendé sous pression de Strasbourg, un nouveau problème est apparu. La version remodelée n’était pas au goût du municipal (exécutif) lausannois en charge de la Police, le libéral-radical (PLR) Pierre-Antoine Hildbrand, ni de celui de son parti.
La présidente de la section vaudoise du PLR Florence Bettschart-Narbel, estimait, elle aussi, que le nouveau projet élaboré par le Conseil d’État n’était «pas abouti», en septembre 2023. En bref, elle reprochait au texte d’être trop flou quant aux lieux et aux distances où s’appliquerait concrètement l’interdiction, par exemple. Le projet était ensuite reparti en commission.
D’après nos informations, la commission vient de terminer ses travaux, à l’heure où nous écrivons ces lignes. Le sujet devrait entrer à l’ordre du jour du Parlement vaudois, et faire à nouveau débat d’ici à l’été 2024.
Pas de chiffres officiels
En attendant, du propre aveu de la Ville de Lausanne, interrogée à ce sujet, il n’y a effectivement aucun chiffre qui permette de quantifier le phénomène, puisqu’il n’est — temporairement — plus possible de le réprimer.
La Municipalité indique cependant, dans sa déclaration écrite du 4 avril 2024 en réponse à la question de l'élu libéral-radical Matthieu Carrel (qui se demandait, quelques mois plus tôt, où en était le dossier): «Depuis plusieurs mois, en l’absence de cadre légal clair, la mendicité a sensiblement augmenté, en particulier dans les centres-villes, mais pas seulement: dans les marchés, terrasses de restaurants, devant les magasins, gares, magasins et commerces», cela d’après les «nombreuses plaintes de passants, résidents ou encore propriétaires de commerces.»
Face au manque de données, Blick a voulu faire sa propre estimation. Un vendredi de février, deux journalistes — Daniella Gorbunova et Léo Michoud — ont établi un parcours depuis leur rédaction, à Bessières, jusqu’à la gare, avec un détour par le Flon et la Place de la Riponne.
De quoi arpenter les lieux emblématiques de la mendicité, avec deux départs différés de 30 minutes. Cette petite expérience, évidemment subjective, remet en doute le postulat des autorités… et le sentiment de notre collègue qui a subi une proposition indécente. Voici ce que Léo et Daniella ont vu (et entendu) dans les rues lausannoises.
Bessières – Place de l’Europe
Daniella, 15h50: Mon périple commence devant le magasin Aldi du Pont Bessières, juste avant 16h. Contrairement à notre collègue Marie, je ne me fais pas insulter: ce supposé haut lieu de la mendicité lausannoise est comme déserté. J’avance tout droit, en direction du Flon. En face de Globus, j’aperçois deux ou trois agents de police contrôler des personnes qui paraissent être des Roms. Voilà tout.
Léo, 16h20: Sur ce trajet, je ne croise que deux personnes qui font la manche. Le premier, assis et inactif juste avant le passage sous le grand pont. Le second, debout sur la place de l’Europe, à proximité de la rampe qui mène au métro du Flon. Pieds nus dans des tongs, malgré le froid, il erre de passant en passant pour trouver quelques sous.
«Merci, bonne journée», me lance-t-il après mon refus poli. Je m’arrête pour discuter. De grande taille, son regard est comme perdu dans le vague. Il me raconte être à la rue depuis six mois. Il est suisse et n’arriverait pas à être accepté dans les hébergements d’urgence comme la Marmotte. Pour lui, ces établissements «donnent la priorité aux Ukrainiens et aux Roumains». Notons que la Marmotte demande surtout une identification des usagers, et ne tolère aucune consommation de drogues ou d’alcool.
Place de l’Europe – Bel-Air (par le Flon)
Daniella, 16h: Il me faut arriver à la hauteur de la Migros du Flon pour me faire accoster une première fois. Un homme bedonnant avec une béquille, la bonne quarantaine, me lance un «bonjour madame» avec un accent et un ton relativement enjoué. Il me demande non pas de l’argent, mais si je peux lui acheter de la nourriture au supermarché.
Je refuse (ça fait partie de l’exercice), il retente alors sa chance d’une voix plus larmoyante cette fois — en allongeant les voyelles de son «s’il vous plaît». Lorsque je fais non de la tête une seconde fois, le miséreux lève les yeux au ciel, et puis s’en va chercher le regard d’un autre passant. Sur l’échelle de l’agressivité, on est plutôt proche du néant.
Léo, 16h30: En haut des escaliers de Bel-Air, à côté de l’arrêt de bus, on m’accoste tout en douceur, dans un français correct. «Bonjour, désolé de vous déranger, je peux vous demander quelque chose.» Je m’arrête. L’homme devant moi, assez propre sur lui, a une dégaine plutôt banale. «Je n’ai pas de travail, est-ce que vous pourriez me donner quelques francs?» Je lui dévoile ma fonction de journaliste et lui propose de nous mettre sur le côté pour discuter.
On se serre la main, avant d’aller nous installer au balcon qui donne sur l’entrée de la Fnac. Le quadragénaire me montre une photo de sa femme et ses deux enfants. Il s’appelle Adam et est moitié Roumain, moitié Polonais. Cela fait presque un an qu’il est en Suisse et sa femme vient de le rejoindre. Il m’assure être là pour bosser: «Je ne suis pas paralysé, pas malade, mais je n’ai pas de permis B. Je ne peux pas travailler, donc je demande de l’argent dans la rue.»
Je veux savoir combien il gagne par jour. «Ça dépend des gens. Certains sont gentils et m’achètent à manger, d’autres non.» Il dit s’être levé à 5h30 du matin pour commencer sa journée, de façon à faire des postulations avant de faire la manche. Ce jour-là, Adam n’a qu’un billet de dix en poche, qu’un passant lui a donné. «Mais on va acheter quoi avec ça, on ne fait rien», grogne le mendiant en évoquant les médicaments qu’il aimerait obtenir pour ses enfants.
Adam avoue que même les employeurs au noir n’ont pas voulu de lui, mais ne désespère pas: «Je fais la manche jusqu’à ce que quelqu’un m’appelle pour travailler.» Raconter les tracas de la rue n’est pas un problème. «J’aime qu’on me demande pourquoi je suis là, mais je n’aime pas agresser les gens, lâche-t-il. Je vois des mendiants, même des Suisses, qui ont souvent bu de l’alcool et sont violents.»
Bel-Air – Riponne
Daniella, 16h15: Entre Bel-Air et la Place de la Riponne, en passant par l’Église de Saint-Laurent, personne ne m’approche. Pourtant, au moins quatre personnes jonchent les pavés avec leurs baluchons de vieux tissus, leurs sacs plastiques et leur petit verre à monnaie posé au sol. Parmi ces quidams démunis, une seule femme.
J’aperçois, dans le même temps, énormément de policiers sur ce tronçon. Face à l’église de Saint-Laurent, ils contrôlent — de nouveau — des individus qui semblent être des Roms. J’ai l’impression que ces derniers, une fois relaxés, n’osent pas venir m’accoster. Comme s’ils sentaient le regard des agents, encore proches, dans leur dos.
Léo, 16h45: La Place de la Riponne est bien tranquille ce jour-là. Une intervention de police est en cours autour des toilettes publiques, prisées des personnes en situation de toxicomanie.
Entre la prise de notes et l’observation de mon environnement, je marche dans une crotte (probablement humaine…) sur le trottoir. Au-delà de ce détail peu ragoûtant, je rencontre uniquement une personne qui a un petit bol à monnaie à ses pieds, mais qui reste inactive.
Riponne – Saint-François (par la Palud)
Daniella, 16h25: À Saint-François, je vois une femme qui semble faire la manche assise par terre, seule. Elle n’interagit pas avec les passants. Tout en haut de la rue du Petit Chêne, qui mène à la gare, en revanche, un homme assis par terre tente d’attirer mon attention. Je croise son regard et m’arrête.
Lorsqu’il me demande si j’ai de la monnaie, et que je commence par refuser, il n’insiste pas. Je lui dis alors que j’aimerais bien discuter avec lui, pour un article. Il sourit et me raconte littéralement toute sa vie en deux minutes: «Je m’appelle Manu, j’ai 50 ans. Ça fait deux ans que je suis à la rue.»
Il se souvient: «J’ai pété un plomb, après plusieurs décès d’affilée dans mon entourage. J’ai tout lâché. Vous n’allez pas me croire, mais avant, j’avais un job respectable, jusqu’à faire ma grosse dépression. Maintenant, je dors à la Marmotte, ou à la Vallée de la Jeunesse, quand il fait plus chaud.» Il espère revenir «dans le système» le plus vite possible, «mais c’est difficile, de le réintégrer, une fois qu’on en est sorti».
Léo, 16h54: En partant de la Riponne, je me dirige vers la Place de la Palud. Sur la route, une jeune femme fait quelques pas pour m’accoster. Voyant que je ne compte d’abord pas lui donner d’argent, elle s’en va rapidement vers d’autres passants, visiblement déçue.
Plus bas, un quinquagénaire m’alpague. J’essaie de communiquer, mais il me fait comprendre qu’il parle exclusivement bulgare. Je lui donne tout de même un peu de monnaie. Sur le chemin pour la Place Saint-François, je croise encore trois mendiants assis dans la rue, inactifs. Deux hommes, dont un avec un petit chien, et une femme.
Place Saint-François – Gare de Lausanne
Daniella, 16h40: J’achève, comme prévu, mon parcours à la gare de Lausanne. Deux personnes assises par terre, visiblement en couple, attirent mon attention. Lui et elle ne m’adressent pas vraiment la parole en premier. Intriguée par leur dégaine et les fleurs — dans une bouteille de pet qui fait office de vase — posées à leurs pieds, je leur demande de me raconter les grandes lignes de leur histoire.
Gwendoline et Nicolas acquiescent. «On vient de Lyon. Ça fait neuf ans qu’on est ensemble, confie-t-elle. Pour nous, ce mode de vie a commencé lorsque Nico, qui travaillait dans le bâtiment, a fait un accident de travail. La descente aux enfers a été très rapide. Nous avons trois enfants, de quatre, six et huit ans. Ils sont restés en France avec leurs grands-parents.»
Revenir à la «normale»? Ce n’est pas l’envie qui manque, d’après leurs dires. «On est fatigués de vivre comme ça. Mais on ne trouve pas de travail en Suisse — on a essayé, au tout début en arrivant. Ça devient de plus en plus difficile, de dormir dans la rue: on se prend quasiment douze amendes par jour, qu’on ne paie jamais, évidemment, puisqu’on n’a rien, ce qui est absurde…»
Léo, 17h06: Enfin, direction l’éternel chantier de la gare de Lausanne, en passant par le Petit-Chêne. C’est sur ce trajet que je rencontre le plus de personnes pratiquant la mendicité. Un homme assis avec un chien tend la main à chaque passant.
Il est sans domicile fixe depuis deux semaines. Comme Adam, il vient de Roumanie et est SDF en Suisse depuis quatorze jours, avec ses deux enfants. «Je demande du travail, mais l’intérim ne me rappelle pas», m’explique-t-il. En contrebas, je croise encore deux autres hommes.
Dans les escaliers qui longent le McDonald’s, un jeune m’approche, doucement une première fois. Il a sans doute vu que je cherchais des regards. Devant mon absence de réaction, il me suit sur quelques mètres. «Hé frère!», me lance-t-il avec plus de véhémence dans la voix. Je m’éloigne de cette dernière interaction, de fait un peu plus agressive que les autres, juste avant ma ligne d’arrivée.
Notre verdict
On le répète: notre petite expérience n’a absolument rien de scientifique, et ne prétend pas se substituer au manque de statistiques officielles, qui permettraient de mesurer et d’étudier sérieusement le phénomène. Notre seul but était d’offrir un aperçu subjectif, à un moment T, de la réalité de la mendicité — parfois invisibilisée, souvent pétrie de stéréotypes. Alors, quel est le verdict?
Daniella: Lors de ma balade à travers tous ces quartiers centraux et fréquentés de Lausanne, je ne me suis explicitement faite accoster qu’une seule fois en cinquante minutes. Je peux sans aucun doute affirmer que j’ai vu plus de policiers et de policières que de mendiants agressifs. Et, que de mendiants tout court même, en fait, pendant mon parcours.
Léo: Cette expérience ne reflète certainement pas la sensation de se faire accoster tout au long de l’année. Mais elle permet de remarquer qu’en Suisse aussi la pauvreté existe dans la rue et qu’elle est visible pour qui y prête attention. Qu’on leur donne ou pas quelques sous, les sans-abri et les mendiants rencontrés ce jour-là n’étaient pas particulièrement plus agressifs que par le passé. Mais leur nombre m’a frappé. Ils étaient 14, principalement des hommes, pour une petite heure de marche.