Si vous avez la petite trentaine, Facebook n’est probablement qu’un souvenir d’adolescence qui prend la poussière virtuelle au fond de votre téléphone. Si vous avez 70 ans, vous publiez peut-être à l’instant la première photo (d’une longue série quotidienne) de tarte à la rhubarbe, ponctuée d’un: «Mon péché mignon! LOL». Le réseau social de Mark Zuckerberg est votre préféré.
Trêve de piques intergénérationnelles. La plateforme bleue où l’on a tout plein d’amis a fêté ses 20 ans dimanche 4 février. Lancée à l’origine par le milliardaire et des acolytes pour leurs camarades de l’Université de Harvard, Facebook s’est ouvert au monde en 2006.
Une révolution devenue ringarde? Un tournant radical dans nos comportements sociaux? L’expert Blaise Reymondin, spécialiste en marketing numérique au sein du collectif Blaise & Bruno, basé à Pully (VD), répond à nos questions.
Blaise Reymondin, Facebook naissait en 2004. Sommes-nous toujours les mêmes humains depuis?
Ce qui a changé, c’est qu’on sait qu’on peut communiquer à grande échelle en tant qu’individus. Facebook a été le réseau précurseur pour faire de chacun de nous un média en puissance. La parole s’est démocratisée. À la grande époque de Facebook, en 2010-2015, c’était très enthousiasmant et porteur d’espoir.
De l’espoir, carrément?
Alors que seuls les médias classiques décidaient de qui avait voix au chapitre, soudainement, quelqu’un disait ou photographiait quelque chose et cela pouvait faire le tour du monde. On a vu tous les mauvais côtés, les déconvenues. Mais on ne peut pas revenir en arrière. On a ouvert la boîte de Pandore.
Comment Facebook a changé nos rapports sociaux? Sommes-nous désormais plus à l’aise en ligne?
Les gens passent tellement d’heures dessus que ça ne peut pas être neutre. Auparavant, chacun avait un nombre «humain» de connaissances, on comptait ses amis «sur les doigts de la main». Facebook nous permet d’échanger avec des centaines de relations, même si ça n’est pas très profond. Ce réseau permet avant tout de dialoguer avec des gens que l'on connaît réellement. Sur Instagram par exemple, on suit plus facilement des influenceurs, des médias, des comptes sous pseudonymes.
Facebook est le seul à conserver cette notion de «vrais» amis?
Facebook était le premier réseau social à rencontrer un succès à l’échelle globale en reproduisant principalement les relations que nous avons déjà dans la vraie vie. Dans les grandes années, nous étions plusieurs milliards d’utilisateurs actifs et nous savions que notre réseau réel était là, à portée de clic, réceptif à ce que l’on avait à dire.
Mais cela a changé…
LinkedIn est sans doute le seul à avoir conservé ce statut: on sait que l'on peut toucher la quasi-intégralité de nos connaissances, ceux de la «vraie vie». Mais sur ce dernier, l’angle est sérieux, professionnel. Le grand succès de Facebook, c’est donc de pouvoir toucher nos communautés existantes, et c’est ce qu’ils tentent de transposer aujourd’hui à WhatsApp, via les statuts. Même si WhatsApp n’est pas à proprement dit un réseau social.
Comment expliquer cette migration de la plateforme vers un public plus âgé?
Facebook a très peu changé en vingt ans, c’est un réseau plus conservateur que les autres qui convient sans doute à des utilisateurs plus âgés, moins enclins à des nouveautés qui peuvent déstabiliser. Facebook était leur premier réseau social et ils n’ont pas envie de tisser des liens ailleurs, sur un autre réseau.
Autrement dit, ces personnes se sentent sur Facebook comme à la maison.
Facebook est en ce sens rassurant, car il ne les a pas perdus en route. Les seniors sont aussi à l’aise dans cet entre-soi et s’éclatent même sur Facebook, en étant moins exposés aux critiques des plus jeunes. Meta (ndlr: la multinationale fondée par Mark Zuckerberg, qui comprend Facebook, Instagram, WhatsApp et Oculus VR) l’a bien compris. Le mieux à faire pour eux c’est de ne pas toucher à Facebook.