Benoît Gaillard, porte-parole de l'Union syndicale suisse
«Face à l'inflation, la Confédération nous dit: 'Vous n'avez qu'à payer!'»

Face à l'inflation, l'Union syndicale suisse demande une hausse des salaires réels de 5% pour 2024. En parallèle, Benoît Gaillard, son porte-parole, tire à boulets rouges sur la politique d'austérité du Conseil fédéral, contreproductive à ses yeux. Interview.
Publié: 10.09.2023 à 05:57 heures
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Dernière mise à jour: 10.09.2023 à 08:32 heures
«Même dans les classes moyennes, on se rend compte que ça va moins bien cette année que les précédentes», observe le candidat au Conseil national.
Photo: KEYSTONE/Jean-Christophe Bott
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Amit JuillardJournaliste Blick

Depuis 2021, le prix des courses familiales a bondi de 1300 francs, selon les calculs d’un journaliste de Blick. Nos loyers pourraient quant à eux augmenter de 15% d’ici à 2026, avertit le chef de l’Office fédéral du logement. Les primes maladie? Attendez-vous à payer entre 8 et 9% de plus dès janvier.

L’inflation étrangle de plus en plus de ménages. Pour faire face à la baisse du pouvoir d’achat, la puissante Union syndicale suisse (USS) exige des employeurs une augmentation de 5% des salaires réels en 2024. Le Conseil fédéral et ses mesures d’austérité annoncées pour l’an prochain en prennent aussi pour son grade, alors que les prévisions budgétaires sont moins mauvaises que pressenti.

S’appuyant sur un papier d’analyse de l’USS, que Blick a pu consulter en exclusivité, son porte-parole Benoît Gaillard attend de la ministre des finances libérale-radicale Karin Keller-Sutter qu’elle délie les cordons de la bourse au lieu de jouer les Picsou. Le candidat vaudois au Conseil national est remonté: «Les gens bossent dur, même de manière de plus en plus intense avec les nouvelles technologies, mais leur situation se dégrade» alors que «les caisses sont pleines», tonne-t-il.

A l’aube de la manifestation pour le pouvoir d’achat du 16 septembre à Berne, le conseiller communal socialiste lausannois déplore aussi que le Gouvernement s’attaque «à nouveau aux femmes» en voulant couper dans les rentes de veuve. Interview contradictoire parfois énervée.

Les finances de la Confédération sont saines et la pandémie a démontré que le Conseil fédéral est capable de sortir 70 milliards en un clin d’œil. C’est plutôt rare, un pays aussi bien géré. Et vous trouvez encore le moyen de vous plaindre?
C’est un fait: la Confédération a des marges de manœuvre, un endettement quasi nul en comparaison international ou d’immenses réserves. Le problème, c’est que, malgré l’existence de ces marges de manœuvre, elle veut conduire des programmes d’économies drastiques, qui vont avoir des conséquences très concrètes pour la population, alors que la situation ne l’exige pas du tout. Le bilan à mi-année qui vient d’être publié par la Confédération montre qu’il n’y a pas besoin de faire ces économies, qui ne sont pas dictées par l’état financier de la Confédération, mais par une idéologie politique.

C’est-à-dire?
La majorité de droite peint le diable sur la muraille et fait craindre des déficits pour ne jamais entreprendre des politiques ambitieuses et justifier des économies. C’est pratique. Et ensuite, on ne dépense rien voire même on coupe dans les soutiens par exemple aux transports publics, et on peut proposer des baisses d’impôts qui profitent aux entreprises ou aux personnes les plus aisées.

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«Je ne suis pas prêt à me faire taxer d’électoralisme ni de populisme»
Benoît Gaillard, candidat socialiste vaudois au Conseil national
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Mais tout de même. Nous sommes en temps de crise et les perspectives à moyen terme sont moroses, selon les prévisionnistes de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Le déficit de la Confédération prévu pour 2023 est certes passé de 4,8 milliards en début d’année à 1,5 milliard désormais, mais c’est toujours un gros déficit. N’a-t-on pas ici la preuve que les coupes budgétaires sont nécessaires?
Ces coupes ont été définies à partir de l’idée qu’on était dans une situation difficile. C’est une supercherie! En gros, on présente en début d’année 2023 un budget catastrophiquement déficitaire pour justifier des coupes à partir de 2024. Et puis, on se rend soi-disant compte, on découvre, en milieu d’année 2023 que les déficits seront finalement trois fois moins importants qu’imaginé et qu’il n’est pas exclu que nous n’ayons finalement pas de déficit du tout.

C’est plutôt une bonne nouvelle, non?
On vit une crise comme il y en a rarement eu dans ce pays. Tout augmente, mais les salaires ne suivent pas: il y a une baisse des salaires réels depuis quatre ans. Les gens bossent dur, même de manière de plus en plus intense avec les nouvelles technologies, mais leur situation se dégrade. Le Conseil fédéral devrait prendre ses responsabilités et prendre des mesures pour lutter contre ce renchérissement. Mais c’est le contraire qui se passe.

Vous niez que la situation s’est durcie pour les finances publiques ces dernières années? En 2022, les comptes se sont soldés par un déficit de 4,3 milliards.
En 2022, les finances de la Confédération ont été très impactées par les suites de la pandémie et les dépenses liées à la guerre en Ukraine. Les prévisions pour les comptes 2023 sont bien meilleures. Et la conjoncture économique actuelle est plutôt bonne. Regardez les dividendes des grandes entreprises, historiquement hauts, et les chiffres du chômage, historiquement bas. Et même si les prévisions alarmistes étaient fondées, ce dont je doute, le Conseil fédéral devrait agir pour stabiliser le pouvoir d’achat et éviter d’augmenter les charges en imposant l’austérité! Dans le contexte actuel, couper dans les rentes de veuve, la culture et les transports publics, c’est irresponsable.

Vous citez les chiffres du chômage, mais d’autres indicateurs semblent montrer une réalité économique plus sombre. Par exemple, les exportations ont baissé en juin, puis en juillet. Dans une économie comme celle de la Suisse, c’est mauvais signe et ça pourrait signifier moins de rentrées fiscales pour la Confédération.
La question centrale, c’est celle du rôle de l’Etat lorsqu’une situation économique difficile survient. Vous pouvez tirer préventivement sur le frein ou agir pour la population de ce pays. Et il ne faut pas seulement écouter les économistes! Il faut lire les médias: les journaux sont pleins de gens qui galèrent et subissent l’érosion de leur pouvoir d’achat. Je suis choqué d’un Conseil fédéral qui, face à cette réalité, poursuit dans ces mesures d’austérité alors que les prévisions budgétaires sont trois fois meilleures que prévu, comme s’il ignorait le monde extérieur.

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«Ça me retourne le ventre qu’on veuille à nouveau faire des économies dans l’AVS»
Benoît Gaillard, conseiller communal socialiste à Lausanne
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Vous vous attaquez au frein à l’endettement, un outil qui garantit l’équilibre des finances de l’Etat, très cher au Parti libéral-radical et à la droite. Mais sans des finances saines, il est justement difficile d’avoir un Etat fort qui vient en aide aux personnes dans le besoin.
Le frein à l’endettement dont on aurait réellement besoin maintenant, c’est un frein à l’endettement des ménages. De plus en plus de gens doivent s’endetter pour faire face à des dépenses imprévues de dentiste ou pour leur voiture. Mais pour répondre à votre question, oui, on connaît le discours, que vous résumez très bien. On vous dit qu’il ne faut pas trop dépenser pour pouvoir garder la capacité à dépenser, hypothétiquement, plus tard. Et à chaque fois qu’il faut agir financièrement pour résoudre un problème, on vous explique que ce n’est pas possible, qu’il ne faut pas dépenser cet argent parce que sinon on ne pourra plus le dépenser ailleurs. La logique perverse du frein à l’endettement est un frein à l’action politique face à des crises telles que celle du pouvoir d’achat.

Vous parlez de coupes «aberrantes» et «toxiques» pour la population. Y en a-t-il une qui vous retourne particulièrement le ventre?
Ça me retourne le ventre qu’on veuille à nouveau faire des économies dans l’AVS. Et où va-t-on couper? Dans les rentes de veuve. Donc, après la réforme AVS21 (ndlr: qui augmente l’âge de la retraite des femmes à 65 ans), on s’attaque à nouveau aux femmes. Mais les autres coupes sont tout aussi choquantes. Couper dans la culture alors que c’est l’un des domaines qui a le plus de peine à se relever de la pandémie, c’est incompréhensible. Et puis, pour les coupes dans les transports publics, qui condamnent les entreprises à augmenter les prix des billets, je n’ai pas besoin de vous faire un dessin.

Vous bouillonnez!
Comment peut-on penser que c’est la bonne chose à faire, en pleine crise du pouvoir d’achat et à l’aune des défis climatiques? Dans la population, personne ne peut comprendre de telles mesures. En fait, la seule chose que la Berne fédérale et les employeurs disent aux gens durant cette période d’inflation, c’est: «Vous n’avez qu’à payer! Vous n’avez qu’à payer plus pour vos primes, payer plus pour les transports publics, payer plus pour votre loyer, pour votre alimentation. On ne fera rien.»

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«On pourrait attendre du Conseil fédéral qu’il invite la branche de la grande distribution à une table et essaie de faire pression pour que le prix de certains produits soit modéré»
Benoît Gaillard, porte-parole de l'Union syndicale suisse
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La population est frappée de plein fouet par l’inflation. Que propose concrètement l’USS pour aider les ménages? La politique de l’arrosoir?
Nous demandons une hausse des salaires réels de 5% en 2024, un salaire minimum à 4500 francs et une 13e rente AVS, à travers notre initiative. Aujourd’hui, les entreprises dégagent à nouveau du profit. Beaucoup d’économistes, et pas seulement de gauche, disent d’ailleurs qu’une bonne partie de l’inflation est due à la reconstitution des profits des entreprises. Donc en réalité, les caisses sont bien pleines. Mais on nous dit: «Désolé, pour les salaires, ça ne suffira pas.»

Face à l’inflation, la France plafonne les prix de 5000 produits alimentaires et de première nécessité. Et si on faisait la même chose en Suisse?
En Suisse, il y a une certaine opacité autour des marges des distributeurs. On peut craindre qu’elles soient conséquentes puisque les producteurs gagnent moins et les consommateurs paient davantage. On pourrait attendre du Conseil fédéral qu’il invite la branche de la grande distribution à une table et essaie de faire pression pour que le prix de certains produits soit modéré. Mais pour l’instant Monsieur Parmelin (ndlr: ministre UDC de l’économie) ne fait pas grand-chose.

Dernière question. Vous ruez dans les brancards, attaquez la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter, figure de proue du Parti libéral-radical, votre principal adversaire lors de ces élections fédérales. Vous faites de l’électoralisme?
Aujourd’hui, on ne peut pas ouvrir un média sans que ça parle de la crise du pouvoir d’achat. On ne peut pas ouvrir un journal sans que ça parle des prix de l’énergie. On ne peut pas allumer une radio sans que ça parle des primes maladie. On ne peut pas allumer la télé sans que ça parle de l’augmentation des loyers. On est face à une dégradation du niveau de vie d’une proportion de la population sans précédent dans une histoire récente.

Ce ne sont pas uniquement les classes populaires les plus pauvres qui sont touchées. Même dans les classes moyennes, on se rend compte que ça va moins bien cette année que les précédentes. Et que ça ira moins bien l’année prochaine. C’est un poison pour la Suisse. Je peux entendre qu’on ait d’autres solutions pour lutter contre la baisse du pouvoir d’achat. Mais je ne suis pas prêt à me faire taxer d’électoralisme ni de populisme. La gravité de la situation appelle toutes les forces à faire des propositions, dire le contraire serait nier la réalité.

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