Après avoir découvert que l’opération de son fils ne serait remboursée qu’à hauteur de 55%, Antoine, un papa genevois, ne décolère pas. Il avait pourtant souscrit une complémentaire en semi-privé censée couvrir tous les frais. De plus en plus de Genevois et de Vaudois sont touchés par ce problème.
Officiellement, les assureurs justifient ces refus de remboursement complet par une exigence de la FINMA, le gendarme des marchés financiers, qui impose une refonte de la facturation dans les cliniques privées. Médecins et assureurs avaient jusqu’à début 2025 pour s’entendre sur un modèle tarifaire.
La FINMA n'a pas voulu ça
Mais à y regarder de plus près, cet argument est bancal. D'abord, parce qu'un modèle a été créé à Genève, et accepté par trois assureurs. Ensuite, parce que la FINMA ne demande en aucun cas de lâcher les assurés.
«La FINMA n’a ni exigé ni prévu que les assureurs cessent de rembourser intégralement les prestations pour leurs clients bénéficiant d’une assurance complémentaire en semi-privé», précise Ursula Gasser, porte-parole. Elle ajoute: «Au contraire, elle souligne l'importance de protéger les assurés et envisage d'autres mesures pour renforcer cette protection.»
Protéger les assurés
Que veut réellement l'autorité de contrôle? Plus de clarté dans la facturation. «La FINMA a constaté que les factures dans le domaine des assurances complémentaires manquent souvent de transparence et entraînent parfois des coûts excessifs, développe Ursula Gasser. C'est pourquoi elle a demandé aux assureurs de revoir leurs contrats avec les prestataires de services. L'objectif de ces mesures est de garantir la protection des assurés et de s'assurer que les frais facturés sont justifiés.»
Par ailleurs, la FINMA ne valide ni ne rejette les modèles tarifaires: elle se contente d’auditer les assureurs pour s’assurer qu’ils appliquent correctement les règles. Des médecins indépendants genevois se sont donc mobilisés pour défendre les assurés lésés.
Des médecins s’unissent pour défendre les patients
Ils ont créé ASMILE, association des médecins indépendants lémaniques, présidée par le professeur Bruno Roche. «L’objectif est de prolonger la prise en charge médicale jusqu’au bout, y compris sur le plan administratif, quand les assurances ne jouent plus leur rôle», explique leur avocat, Me Axel Schmidlin.
Il poursuit: «C’est une réponse à une situation dramatique, où les patients sont abandonnés par leur assurance et ne savent pas vers qui se tourner». Comment les assurances justifient auprès de leurs clients de ne pas remplir leur part du contrat? «C’est la maladie des conditions générales, illustre l'avocat. Elles vident de substance l’objet principal du contrat.»
Oui, un modèle tarifaire existe à Genève
Les caisses maladies déplorent ainsi l'absence d'un modèle tarifaire à Genève et dans le canton de Vaud, et refusent de rembourser intégralement les patients qui se font soigner par certaines cliniques, sous ce prétexte. Or, un modèle existe bel et bien, désormais.
Il a été créé par l'Association des médecins genevois (AMGe). Trois assureurs ont été associés à son élaboration et utilisent ce modèle, respectivement depuis août, novembre et janvier dernier.
Modèle accepté par le gendarme des marchés
Il permet qu’une même intervention, pour un même type de patient, donne lieu à une facturation transparente, pour tous les médecins et les patients. Ce système a passé la rampe de la FINMA.
«Demander un modèle avec des règles de facturation était tout à fait légitime, concède Antonio Pizzoferrato, secrétaire général de l'AMGe. Pendant un ou deux ans, le système n’était pas abouti et les assureurs pouvaient dire qu’il n'était pas conforme à la FINMA. Mais ils ne peuvent plus le dire aujourd’hui. Les assureurs qui refusent de rembourser intégralement leurs clients doivent assumer que ce refus est leur choix, pas une demande de l'autorité de contrôle.»
Tournant majeur
Jusqu’ici, la CSS, l'assurance qui n'a pas voulu rembourser la totalité de l'opération du fils d'Antoine, faisait partie des caisses qui refusaient d’appliquer le modèle genevois. Mais selon nos informations, la situation évolue: la CSS serait revenue discuter avec l’AMGe.
«Elle a demandé à consulter toute la documentation en lien avec le programme de facturation. Le dialogue est rouvert», confirme Antonio Pizzoferrato. C’est un tournant discret, mais majeur, dans ce dossier.
Le vrai problème: la guerre des tarifs
Alors, comment expliquer que tous les assureurs n'aient pas déjà adopté le modèle? Pour plusieurs interlocuteurs, le vrai enjeu n’est pas la transparence, mais la baisse des prix.
«On utilise ce besoin légitime de transparence pour d’autres fins, soit baisser de 10, 20 ou 40% les honoraires des médecins indépendants, détaille le secrétaire général de l'AMGe. Or, les tarifs des praticiens n’ont pas bougé d’un centime en 15 ans à Genève.»
Et les refus de prise en charge complète exaspèrent les assurés, qui ont l'impression de payer dans le vide. «Les assureurs perdent aussi leurs équipes en interne, ils peinent à suivre. Certains patients quittent leur complémentaire, d'autres en cherchent une plus fiable», constate Me Schmidlin.
Et maintenant, que faire?
La prochaine étape est de s’opposer systématiquement aux modifications des conditions générales des assureurs, conseille Me Axel Schmidlin. C'est comme ça que les caisses font passer un changement de régime, soit ne remboursent pas intégralement certains clients, qui paient pourtant pour ça.
«A terme, il faudrait qu'une nouvelle assurance apparaisse sur le marché, espère l'homme de loi. Un acteur qui joue le jeu, avec une visibilité très claire sur ses frais administratifs. C'est-à-dire, une assurance qui ne dépense pas nos primes en courtage agressif, en publicité ou en marketing. C’est un vœu pieux, mais pas un vœu impossible. C’était comme ça, historiquement. Le système a complètement dégénéré», regrette Me Axel Schmidlin.
Une chose est sûre: le prétexte FINMA ne suffit plus. Et toute l'affaire pose une question essentielle: à quoi sert de payer pour un service que l'on ne vous rend pas?
Les assurances ont initialement proposé d'implanter des modèles tarifaires alémaniques, VVG+ et Medicalculis. Mais ils ne sont pas transposables à l'environnement genevois. «Ils aboutissent à des montants 30 à 40% plus bas que ce qui est facturé à Genève, alors qu’on a déjà des tarifs parmi les plus bas», souligne Antonio Pizzoferrato.
Outre-Sarine, les médecins sont quasi salariés des cliniques privées où ils exercent. Ces dernières négocient des 'packages' avec les assureurs, qui n'ont, la plupart du temps, qu'elles comme interlocuteur. A Genève, les médecins indépendants 'louent' un bloc opératoire à une clinique privée et il y a deux factures pour l'assurance. Celle du médecin, et celle, 'hospitalière', de la clinique, qui inclut notamment la chambre, les repas et les soins infirmiers.
Les assurances ont initialement proposé d'implanter des modèles tarifaires alémaniques, VVG+ et Medicalculis. Mais ils ne sont pas transposables à l'environnement genevois. «Ils aboutissent à des montants 30 à 40% plus bas que ce qui est facturé à Genève, alors qu’on a déjà des tarifs parmi les plus bas», souligne Antonio Pizzoferrato.
Outre-Sarine, les médecins sont quasi salariés des cliniques privées où ils exercent. Ces dernières négocient des 'packages' avec les assureurs, qui n'ont, la plupart du temps, qu'elles comme interlocuteur. A Genève, les médecins indépendants 'louent' un bloc opératoire à une clinique privée et il y a deux factures pour l'assurance. Celle du médecin, et celle, 'hospitalière', de la clinique, qui inclut notamment la chambre, les repas et les soins infirmiers.