Assassinat de Samantha
Le récit bouleversant d'une grand-mère qui a perdu le goût de vivre

Le 15 septembre, l'assassin de Samantha a été condamné en première instance à la prison à vie. Irène, la grand-mère de la victime, peut enfin commencer son processus de deuil. Immersion dans un cocon familial lézardé par l'émotion.
Publié: 03.10.2021 à 06:06 heures
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Dernière mise à jour: 05.10.2021 à 10:54 heures
«Samantha était très serviable, c’est ça qui l’a perdue», regrette Irène.
Photo: Dom Smaz
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Amit JuillardJournaliste Blick

Dans sa garde-robe, il ne reste presque plus que le noir du deuil. La joie a claqué la porte de ce petit appartement du Lignon qui se referme derrière moi. Mais Irène m’accueille avec sa douceur bienveillante. Son petit chien n’aboie pas. Les murs violets du salon — rempli de bibelots en tout genre — n’ont jamais été totalement repeints. «Vous voyez, c’est une catastrophe, déplore la grand-mère de Samantha. J’ai laissé tel quel. J’ai la moitié de la peinture qui est faite, l’autre qui n’est pas faite. Samantha me peignait mon salon depuis trois jours. Elle devait revenir ce jour-là. Mais elle avait disparu. C’est là que la souffrance a commencé.» C’était le 23 novembre 2017.

C'est dans ce salon qu'Irène a appris la mort de sa petite-fille.
Photo: Dom Smaz

Presque quatre ans plus tard, assise sur la méridienne du canapé en cuir blanc, Irène voit ses yeux se mouiller à nouveau. Sa petite-fille adorée — son «trésor», son «bébé» — n’est jamais revenue de son rendez-vous avec Richard G., son ami d’enfance devenu son assassin, condamné à la prison à vie le 15 septembre dernier par le Tribunal de la Broye. Elle avait 19 ans. Samantha a été retrouvée morte, ligotée, à moitié nue, une jambe partiellement dévorée par des bêtes dans un marécage à Cheyres, sur la rive fribourgeoise du lac de Neuchâtel deux mois après sa disparition par des promeneurs.

Pretty Little Liars et repas de midi

Depuis, Christina, sa mère, est détruite. Elle n’a pas pu assister au procès. Et aujourd’hui, elle est partie s’installer en Italie. Plus possible de vivre dans cette cité populaire genevoise où habite aussi la famille de Richard G. Trop de souvenirs. Trop de larmes.

Irène, elle, affronte. Se bat. Pour sa petite-fille disparue, avec qui elle a partagé tant de moments de complicité. «C’était mon premier petit-enfant. Elle était très souvent chez moi. C’était aussi chez elle ici. Depuis toute petite, elle venait manger à midi parce que sa mère travaillait. Nous étions très proches, elle me confiait aussi beaucoup de choses. Ensemble, nous regardions des séries, comme Pretty Little Liars. Après sa mort, je me suis un peu forcée à terminer de la regarder. C’était dur.»

Irène apprend sa mort de la bouche de la police dans ce même salon. «Ils m’ont invitée à m’asseoir, mais je n’ai pas voulu. J’étais tellement sous l’émotion que je n’ai pas capté. Au moment où ils m’ont dit 'nous avons retrouvé votre petite-fille sur une plage', ça a été un moment de soulagement. Tout est allé vite dans ma tête. Je me suis dit qu’elle avait vraiment fait une fugue, qu’elle était à Rimini… Ce n’est qu’ensuite que j’ai entendu la fin de leur phrase: '… malheureusement décédée'. Là, j’ai fait une crise de nerfs, je ne me rappelle plus bien de ce qui s’est passé.»

«J’ai cru la voir descendre d’un tram»

Le corps en putréfaction restera plusieurs semaines chez les légistes. La grand-mère de Samantha perd pied. «Quelque part, j’ai fait un déni, je me suis dit 'c’est pas elle, ils se sont trompés d’ADN'. Quand le téléphone sonnait, je pensais réellement qu’elle cherchait à me joindre. Ça sonnait à la porte, je me disais que c’était Samantha qui venait me rendre visite. Une fois, j’étais je ne sais plus où et je l’ai vue descendre d’un tram. J’ai couru vers elle, mais ce n’était pas elle. C’est impossible à accepter à 100%.»

Après quatre ans d'enfer, Irène se relève peu à peu.
Photo: Dom Smaz

Encore aujourd’hui, Irène ne veut pas y croire. «Je sais qu’elle est décédée, je ne suis plus dans le déni, je ne deviens pas folle, mais elle sonnerait à la porte que je ne serais pas étonnée. D’ailleurs quand je vais sur sa tombe, je me dis toujours qu’elle n’est pas là. Pendant quatre ans, j’ai vécu tant bien que mal.»

Une psychologue l’a suivie. «J’ai pris des antidépresseurs et je prends encore un somnifère chaque jour, je ne dors plus. Je ne voulais presque pas bouger de chez moi pour qu’il ne m’arrive rien avant le procès. C’est une douleur… C’est… C’est quelque chose qui va marquer plusieurs générations de la famille. C’est quelque chose qui détruit. Tout le monde est touché.»

«Il n’y a plus de Noël chez moi»

La mère de Samantha a tenté de s’ôter plusieurs fois la vie. Ses deux cousins sont eux aussi encore très affectés. «Je ne peux plus emmener le plus petit au cimetière. L’assassin ne m’a pas seulement enlevé Samantha, mais aussi ma fille, qui a dû partir vivre ailleurs. Et j’ai fait le vide autour de moi, j’ai perdu des tas d’amis. Beaucoup de gens me fuient. Ils ne veulent pas d’un trouble-fête. Je comprends, d’un côté. Ce n’est même pas de leur faute, ils ne savent pas quoi dire. Ils ne prononcent jamais son nom. Mais moi, j’ai besoin qu’on me parle de Samantha…»

Par moments, elle pose ses mains sur ses épaules, bras croisés, comme pour protéger son cœur meurtri à jamais. Le manque est quotidien. «Il n’y a plus de Noël chez moi. Je ne peux pas. Il manquerait quelqu’un à sa place. Elle mettait toujours la table, elle était très serviable. C’est ça qui l’a perdue.»

Comme son tueur, Samantha a grandi dans le quartier populaire du Lignon.
Photo: Dom Smaz

Selon les faits retenus par la juge, Samantha s’était rendue à Cheyres pour aider Richard G., 21 ans à l’époque, à transporter du shit. Ensemble, ils avaient durant leur adolescence monté des «combines» pour se faire de l’argent, note l’acte d’accusation. Mais ce soir-là, selon la version estimée la plus plausible par le tribunal de première instance, il lui avait tendu un piège pour l’exécuter après qu’elle l’avait éconduit.

Instants de recueillement

«Avant le procès, j’étais angoissée. Mais finalement je l’ai vécu relativement sereinement parce que j’ai vu que la présidente s’adressait d’une manière vraiment objective et directe à l’assassin. Le seul moment où j’ai craqué, c’est lors de la lecture du jugement. En entendant ce qu’il a fait, l’horreur de la chose, je me suis effondrée. J’ai dit: 'qu’est-ce qu’il a fait à mon bébé? Je n’étais pas là, elle a dû appeler au secours…' Je ne pouvais plus faire de déni sur la façon dont elle est morte de froid, laissée à son sort nue et ligotée après avoir subi des abus sexuels. C’est le pire qu’on pouvait imaginer.» Heureusement pour elle, glisse Irène, elle n’a pas vu le visage de Richard G., caché de sa vue par un poteau durant l’audience.

Samantha est souvent venue pour manger des fruits de mer dans cette salle à manger.
Photo: Dom Smaz

«Vous fumez?», me demande Irène. Il est temps de faire une pause. L’atmosphère devenait lourde. «Ça fait du bien de parler, d’évacuer, mais c’est dur. Je vais faire du café.» Dom Smaz, le photographe qui m’accompagne, prendra du sucre et un peu de CBD. Comme moi, il me le confiera après coup, il n’est pas à son aise devant tant de détresse. Il a mal pour Irène et toute sa famille.

Quelques instants plus tard, elle ramène des photos de Samantha encadrées. L’occasion pour nous trois de nous recueillir l’espace de quelques minutes devant deux autres portraits de la victime, posé sur le meuble du salon, gardé par la flamme d’une bougie et les ailes de petits angelots blancs. Le silence enveloppe la pièce. «Ça m’aide de garder ces cadres. Surtout celui-ci parce qu’elle était comme ça avant sa disparition. Elle était jolie. Elle avait des yeux extraordinaires. Ils n’étaient pas bleus, c’était un vert presque amande. Avec des petites paillettes d’or dedans.»

Irène, dans moment de recueillement.
Photo: Dom Smaz

«Samantha n’a pas pu faire appel, elle»

Irène laisse échapper un premier rire, nostalgique. «Elle était tellement ravissante, tellement soignée. Elle était attachante. Elle faisait du baby-sitting et allait aussi tenir compagnie au grand-père des enfants dans une maison de retraite une fois par semaine quand il mangeait. Un jour, quand elle est venue ici, elle m’a dit 'en tout cas tu sais mamie, je te laisserai jamais aller dans un home'. Ça la rendait triste de les voir manger seuls. Elle avait beaucoup d’empathie. C’est pour ça qu’elle est allée à Cheyres ce soir-là. Elle voulait aider Richard G. Des fois, encore aujourd’hui, je parle à Samantha et je lui demande: 'Pourquoi t’as pris ce train?'»

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Irène chérit les portraits de Samantha.
Photo: Dom Smaz

Ses cordes vocales tremblent aussi de rage parfois. «Il ne lui a pas donné de sursis. Il l’a condamnée à mort. Il a maintenant été condamné à vie. Très bien. Mais vous savez combien de temps il va rester en prison?» Irène se révolte contre le Code pénal qui permet une libération conditionnelle après 15 ans lorsqu’un criminel est condamné à la prison à perpétuité en Suisse. «Ça n’est pas acceptable. C’est comme une trahison. Et il compte faire appel et pourrait donc voir sa peine diminuée. Il faut changer le Code pénal. Il faudrait qu’il soit enfermé pour un minimum de 20 ans fermes. S’il sort, je crains qu’il ne recommence. Ma petite-fille n’a pas pu faire appel de son sort, elle. Je ne veux pas qu’il meure mais qu’il paie sévèrement.» Son avocat, Giorgio Campá, fera tout pour que ce jugement soit confirmé (lire encadré ci-dessous).

Giorgio Campá: «Je n’ai pas peur du procès en appel»

Après la victoire en première instance, la partie plaignante se prépare déjà pour le procès en appel. «Nous allons naturellement demander la confirmation de la condamnation à vie, qui est la seule condamnation envisageable, indique Giorgio Campá, avocat de la mère et la grand-mère de Samantha. Ce d’autant que la peine maximale prévue par le Code pénal pour les personnes déclarées responsables est totalement insuffisante au regard des règles sur la libération conditionnelle.»

Malgré les zones d’ombre sur lesquelles la défense ne manquera pas de jouer encore une fois pour tenter d’obtenir une peine réduite pour Richard G., l’homme de loi est serein. «Je n’ai pas de crainte parce que la motivation du jugement est solide. Le dossier du Ministère public est totalement accablant et parfaitement constitué. Il ne faut pas oublier que l’auteur a avoué l’essentiel des faits et n’a nié que l’inavouable, soit d’avoir assouvi ses fantasmes les plus infâmes sur sa victime. Les premiers juges l’ont parfaitement compris et ont jugé avec justice, sans faillir.» Ce sera au Tribunal cantonal de Fribourg de confirmer ou non la décision du Tribunal de l’arrondissement de La Broye. La date de l’audience n’est pas encore connue.

Giorgio Campá (à droite, ici en 2018) se prépare pour le deuxième procès.
KEYSTONE/SALVATORE DI NOLFI

Après la victoire en première instance, la partie plaignante se prépare déjà pour le procès en appel. «Nous allons naturellement demander la confirmation de la condamnation à vie, qui est la seule condamnation envisageable, indique Giorgio Campá, avocat de la mère et la grand-mère de Samantha. Ce d’autant que la peine maximale prévue par le Code pénal pour les personnes déclarées responsables est totalement insuffisante au regard des règles sur la libération conditionnelle.»

Malgré les zones d’ombre sur lesquelles la défense ne manquera pas de jouer encore une fois pour tenter d’obtenir une peine réduite pour Richard G., l’homme de loi est serein. «Je n’ai pas de crainte parce que la motivation du jugement est solide. Le dossier du Ministère public est totalement accablant et parfaitement constitué. Il ne faut pas oublier que l’auteur a avoué l’essentiel des faits et n’a nié que l’inavouable, soit d’avoir assouvi ses fantasmes les plus infâmes sur sa victime. Les premiers juges l’ont parfaitement compris et ont jugé avec justice, sans faillir.» Ce sera au Tribunal cantonal de Fribourg de confirmer ou non la décision du Tribunal de l’arrondissement de La Broye. La date de l’audience n’est pas encore connue.

La couleur reviendra dans l’armoire

Malgré tout, ce premier verdict va aider Irène sur son chemin du deuil, vers davantage de légèreté. «Aujourd’hui, je suis soulagée qu’on ait retrouvé l’assassin, qu’on l’ait jugé, qu’on ait dit ce qu’il est. Ce qu’il a fait a été reconnu.» Petit à petit, la vie va reprendre le dessus. «J’arrive par moments à regarder un film, à rigoler. Mais je me demande des fois pourquoi ça n’est pas moi qui suis au cimetière à sa place. J’ai envie de rien. Je n’ai pas de projets. Et puis, je m’interdis de manger certains plats qu’elle aimait, comme les fruits de mer. Pourquoi y aurais-je droit alors qu’elle n’y a plus droit? Ça me fait trop mal.»

Dans les semaines à venir, elle pliera à nouveau des étoffes de couleur avant de les ranger dans son armoire. «J’ai promis que j’enlevais le noir après le procès. Il faut que je rachète de la couleur! (rires) Je vais essayer parce que ça ne va pas comme ça, ça sert à rien. Et Samantha n’aurait peut-être pas voulu me voir comme ça.»

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