Sordide, l’affaire avait ému toute la Suisse au début de l’année 2018. Elle est désormais jugée. En première instance, le Tribunal pénal de l’arrondissement de la Broye a rendu son verdict à Granges-Paccot (FR) ce mercredi en fin d’après-midi. Richard G., 25 ans aujourd’hui, est condamné à la prison à vie — qui permet une éventuelle libération conditionnelle après 15 ans — pour l’assassinat de son amie d’enfance Samantha, 19 ans. Il est aussi reconnu coupable d’actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance et de pornographie dure, mais également de délit et contravention contre la loi fédérale sur les stupéfiants.
Pour mémoire, Samantha avait été retrouvée morte le 17 janvier 2018 par des promeneurs dans une roselière sur la rive sud du lac de Neuchâtel, à Cheyres (FR), nue de la taille aux pieds, ligotée avec des serre-câbles aux poignets, aux genoux et aux chevilles et blessée à la tête. Son soutien-gorge était coupé net sur le devant.
Notre récit du procès
Corps retrouvé après deux mois
Elle avait disparu depuis le 22 novembre 2017, date de sa funeste dernière rencontre avec Richard G., avec qui elle était amie depuis leur adolescence au Lignon, quartier populaire de Genève, et avec qui elle avait monté des «combines» pour se faire de l’argent. Dans les 48 heures, son tueur, qui travaillait comme aide-cuisinier et logeait dans un restaurant non loin du lieu de la macabre découverte, était arrêté. Il était passé rapidement aux aveux (retrouvez notre récit détaillé de l’affaire et du procès de lundi ici).
Après l’audience de lundi, les cinq juges devaient qualifier la peine et en fixer la durée. Assassinat, meurtre ou homicide involontaire? Le Ministère public et l’avocat des parties plaignantes, Giorgio Campa, ont poussé pour l’enfermement à vie d’un froid assassin machiavélique. Telmo Vicente, avocat de la défense, a lui plaidé l’homicide involontaire et en faveur d’une durée de réclusion moins longue pour un jeune homme perdu, isolé, et en proie à des addictions qui souhaite suivre une formation de designer d’intérieur en prison (et donc en sortir pour exercer ce nouveau métier).
Trois zones d’ombre
Pour rendre son verdict, le Tribunal a dû se construire une intime conviction basée sur un faisceau d’indices sur trois zones d’ombre. Zones d’ombre qui s’expliquent notamment par l’absence de témoins et l’état de décomposition du corps de Samantha, retrouvé deux mois après sa mort et partiellement mangé par des animaux sauvages.
1. Pourquoi a-t-il tué Samantha?
Premièrement, Richard G. avait-il l’intention de tuer son amie d’enfance? Deux versions s’affrontent et se mélangent au mobile du crime comme à la cause de la mort. Lundi, lors du procès, le tueur a soutenu qu’il avait l’intention d’assommer Samantha avec son maillet en plastique afin d’avoir une discussion avec elle après coup. Discussion qui aurait dû porter — ou a porté? — sur une histoire de faux héritage. Entre mai 2016 et novembre 2017, Samantha avait demandé de l’argent à Richard G., pour régler les formalités liées à une somme de 1,3 million qu’elle devait toucher à la suite du décès de sa mère.
Elle lui avait promis un tiers de la somme avant de lui avouer qu’elle ne toucherait que 500 francs symboliques. Sa mère est encore en vie aujourd’hui. C’est notamment sur cette base que Telmo Vicente a plaidé l’homicide involontaire.
Mais pour le procureur général adjoint de l’Etat de Fribourg, Raphaël Bourquin, remettant en doute la crédibilité des dires de l’homme désormais qualifié d’assassin, qui a changé sa version des événements à plusieurs reprises, cette hypothèse ne tient pas: la dernière trace d’échange au sujet du faux héritage remonte à plus de quatre mois avant le soir du drame. A ses yeux, Richard G. aurait en réalité exécuté Samantha parce qu’elle l’avait éconduit après qu’il lui avait régulièrement fait des avances avec insistance — lui confiant au passage fantasmer sur les pieds des femmes — et proposé d’emménager avec lui à plusieurs reprises.
Attirée dans un piège
Nul doute dans l’esprit de Raphaël Bourquin: Richard G. avait bien l’intention de prendre la vie de la jeune Samantha ce soir-là après l’avoir «appâtée» dans son «piège» avec «une histoire de shit à transporter». De son côté, un argument massue: les enquêteurs ont retrouvé dans la chambre du tueur un plan de l’endroit où il comptait l’emmener, avec l’heure d’arrivée du train de la future victime, mais sans heure de départ. Et, surtout, Richard G. s’était muni d’un maillet et de serre-câbles, qu’il avait emporté avec lui sur les lieux.
Comme rappelé lors de l’audience de lundi, la préméditation ne figure pas, en droit suisse, dans la définition de l’assassinat, mais «l’absence particulière de scrupules», oui. Notamment si le mobile, le but ou la façon d’agir sont «particulièrement odieux». Pour le procureur, l’égoïsme, la détermination et la froideur d’exécution pèsent aussi lourd dans cette balance.
Le Tribunal, par la voix de sa présidente Sonia Bulliard Grosset, a considéré mercredi que le mobile de l’héritage était «assez peu crédible», soulignant que les déclarations de Richard G., à ce sujet comme à d’autres, sont loin d’être claires et «en contradiction totale» avec le déroulement des faits. Notamment parce que leur dernier échange à ce propos remonte à plusieurs mois avant leur rendez-vous.
Pour le Tribunal, bien qu’il ne puisse être établi avec certitude, le mobile le plus probable est celui des avances sexuelles, même si Samantha ne les a pas toujours clairement repoussées. Dans les deux cas, «il s’agirait de motifs tout à fait futiles», a conclu la présidente, pour qui le tueur a fait preuve d’un grand irrespect pour la vie et l’intégrité de Samantha. Eléments qui justifient en partie la qualification de l’acte. Le Tribunal a également retenu la préméditation et l’intention: «Evidemment que vous avez voulu la violence», a tranché Sonia Bulliard Grosset.
2. Comment est-elle morte?
C’est là qu’une autre zone d’ombre prend de l’ampleur. Celle de la cause exacte de la mort. Les légistes n’ont pas pu la définir, mais le coup porté à la tête n’a pas été fatal. Reste deux options: la noyade — au moment où Samantha, assommée, tombe dans un cri de douleur — ou l’hypothermie.
Telmo Vicente, avocat de Richard G., a appelé le tribunal à retenir la noyade. Option la plus favorable à son client: cela voudrait dire que Samantha est décédée plus rapidement, alors que son bourreau se tenait au-dessus de son corps, les pieds dans l’eau et qu’il était en train de l’attacher. Et, surtout, cela attesterait de l’acte involontaire. L’avocat a en outre précisé devant la cour qu’aucune lésion sur le corps de la jeune adulte ne relevait de l’hypothermie.
Mais le procureur penche pour la thèse de la lente agonie et de l’hypothermie, notamment parce qu’un riverain dit avoir entendu un appel au secours vers 1h30 du matin, soit plus de deux heures après l’arrivée de Samantha à Cheyres. Pour lui, elle était donc encore en vie après avoir été sortie de l’eau et traînée sur plus de 50 mètres. Une hypothèse évidemment plus accablante pour Richard G.: elle aurait donc été en train de mourir de froid lorsqu’il décide de l’abandonner dans une roselière à l’abri des regards, espérant, selon Giorgio Campa, avocat des parties plaignantes, réaliser le crime parfait. Après l’avoir frappée, il n’a jamais vérifié si elle respirait.
Pour les mêmes raisons qu’avancées par le Ministère public et se basant sur les premières déclarations de Richard G., qui ont évolué au cours de la procédure, selon lesquelles Samantha était encore vivante lorsqu’il l’a abandonnée, le Tribunal retient la mort par hypothermie.
3. A-t-elle subi des actes d’ordre sexuel?
Et puis, une dernière question restait en suspens à l’issue de l’audience: Richard G. a-t-il commis des actes sexuels sur Samantha alors qu’elle était inconsciente ou déjà morte? Richard G. nie et son avocat a rappelé qu’aucune trace de l’ADN de son client n’a été retrouvée sur Samantha.
Foutaises, pour Raphaël Bourquin. Le corps déshabillé — de la taille aux pieds — de Samantha et les avances de Richard G. sont deux des éléments qu’il tient pour preuves. L’hypothèse du procureur? Econduit une nouvelle fois ce soir-là, Richard G., dont l’excitation n’avait fait qu’augmenter au fil des messages échangés avec Samantha au sujet de ses pieds, se devait d’assouvir ses fantasmes. Avant de la religoter, de la laisser à son terrible sort et de continuer sa vie comme si de rien n’était. Jusqu’à la découverte du corps le 17 janvier 2018 et son arrestation deux jours plus tard.
Pour le Tribunal, un faisceau d’indices convergents pointe dans la même direction. Richard G. avait «une envie pressante de concrétiser ses avances». Le fait que la victime ait été rattachée de la même manière après avoir été déshabillée vient appuyer cette version des faits.
«Toutes les cases de l’assassinat sont cochées»
Les actes de Richard G. «cochent toutes les cases» de l’assassinat, a conclu la présidente. Un motif futile, la préméditation et des agissements «particulièrement odieux». Richard G. a frappé Samantha à la tête par-derrière alors qu’elle avait tourné les talons après avoir senti le piège, puis l’a attachée méticuleusement, l’a traînée sur plus de 50 mètres, l’a détachée, l’a déshabillée, a profité de son incapacité à résister pour assouvir ses pulsions sexuelles, l’a rattachée puis l’a déposée dans les roseaux, la laissant mourir dans d’atroces circonstances. En résumé: absence de scrupules, mobile futile, pur égoïsme, grande cruauté, acte inhumain, pas le moindre égard pour la vie d’autrui et une maîtrise de soi déconcertante pour mener à bien des desseins morbides préparés soigneusement. Le Tribunal ne retient aucune circonstance atténuante.
Richard G., par la voix de son avocat, a annoncé vouloir faire appel. Objectif: contester la qualification de ses actes, la durée de la peine et la condamnation pour actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance. «Mon client sait qu’il mérite une peine privative de liberté, mais elle est trop lourde, a expliqué à Blick Telmo Vicente. On se doit de faire appel: il est jeune et des zones d’ombre subsistent. Nous maintenons nos positions sur ces points. D’autre part, si le rapport d’experts parle de risque de récidive, il ne l’a pas quantifié.»