C’est un jeudi matin pluvieux, aussi grisâtre que les immeubles du quartier populaire yverdonnois des Moulins. Une zone un peu chaude, à en croire l’épicier du marché qui porte le nom du lieu, et qui a subi un braquage (raté) à main armée le dimanche 26 mai.
D’après François L., ce n’était pas une première: il dit avoir été en proie à au moins une dizaine de vols ou tentatives de vol, en quelque vingt-cinq ans d’exploitation du magasin. Le Ministère public vaudois, interrogé à ce propos, n’a pas été «en mesure de confirmer le nombre de braquages dont la victime aurait fait l’objet par le passé», mais ne réfute pas le fait qu’il y a un passif. Du côté de la municipalité yverdonnoise, exhortée à agir par François L., et contactée mercredi par Blick, c’est le silence radio.
Soit. Nous nous sommes rendus aux Moulins, comme on dit dans le coin, quatre jours après les faits pour prendre la température. Alors, ce quartier, est-ce qu’il craint vraiment? Qu’en disent ses habitants? Spoiler: si c’est n’est pas non plus le Bronx, certains riverains nous livrent leurs inquiétudes, notamment quant au deal de drogues, qui serait monnaie courante.
«Désormais, je ferme la porte à clef»
Il est passé dix heures, les rues de la cité thermale sont presque désertes, une fois la gare traversée. Premier arrêt: la scène du crime.
À l’épicerie des Moulins, nichée au milieu du quartier, tout semble calme et ordinaire, de prime abord. François L. est derrière son comptoir, à côté de l’entrée. Il est encore sous le choc: «La police m’a recontacté mercredi. Ils n’ont toujours pas retrouvé le voyou, sauf erreur. Mais, du côté de la municipalité, rien.»
À sa caisse, une habituée du petit magasin achète des cigarettes. Pour la quinquagénaire, qui vit sans le quartier depuis longtemps, «ces derniers temps, c’est devenu n’importe quoi. Ces histoires de braquage, ça fait peur!» Elle habite plus exactement à l’Avenue Kiener, à un ou deux pâtés de maisons de l’épicerie.
Elle raconte: «Hier soir, un homme est venu toquer à ma porte, soi-disant pour récupérer des meubles… Chez moi! Comme je ne savais pas de quoi il parlait, je me suis dit que c’est peut-être une technique de cambrioleur. J’avoue que je ne me sens plus très en sécurité dans ce quartier. Désormais, je ferme la porte à clef même quand je sors juste faire une petite course, ce que je ne faisais pas avant…»
«Toutes sortes de drogues»
Devant l’échoppe de François se tient Louane*, la petite vingtaine. Elle vit elle aussi dans le quartier. Alors, ça craint, les Moulins, quand on est une jeune femme? «Moi, je trouve que ça va, je laisse encore la porte de mon appartement ouverte quand je sors, des fois (rires). Après, si on parle d’Yverdon dans son ensemble, c’est vrai que ça peut être un peu compliqué, des fois.»
Ça veut dire quoi, compliqué? «Personnellement, c’est à la gare que je me sens le moins en sécurité. Ici, c’est plus calme, même s’il y a du deal, surtout sous le pont au bout de la rue. Mais autrement, je n’ai jamais eu de problèmes.» D’après elle, «il y a des gens qui fument des joints» sous le Viaduc d’Yverdon une fois la nuit tombée. Que des joints? «Je pense qu’il y a toutes sortes de drogues et de consommateurs qui traînent là-bas…»
Un peu plus loin, au coin de l’épicerie, Kevin* fume une cigarette, avec son petit chien Kiki au bout de la laisse. Il accepte de discuter deux minutes. «C’est vrai que les Moulins sont réputés pour être un peu un quartier à problèmes, d’après ce que je vois et entends. Enfin, surtout pour la drogue: il y a pas mal de consommateurs qui vivent ici, donc les dealers traînent aussi par là. Je ne sais pas si le deal, c’est lié aux histoires de vols, mais ce n’est pas impossible, pour moi.»
Peu avant midi, on se rend donc sous ce fameux viaduc à drogue. Il y a un petit terrain de basket pour enfants, c’est tout. A cette heure, le lieu est désert — mais des traces de festivités sont bel et bien encore visibles. Pas de seringues, d’après nos observations. Mais des débris de verre, des goulots de bouteilles de vin arrachés, des mégots et des emballages alimentaires vides ornent le sol.
«Jamais eu de problèmes»
Sur le chemin du retour, on croise un couple de retraités du quartier, Jeanne et Jacques*. Oui, ils ont entendu parler du braquage de dimanche. Et ça les a plus que surpris: «Nous ne nous sommes jamais sentis en danger ici, au contraire! On habite dans un grand immeuble, il y a des gens de plein de nationalités différentes, et nous n’avons jamais eu de problèmes. Au contraire, on trouve que les gens ici sont très sympas.»
Dernier arrêt: la rue d’Orbe, à une petite dizaine de minutes à pied de l’épicerie des Moulins. Azaan* tient lui aussi une petite échoppe au coin de la rue — SSKR Alimentation. Il connaît François L., il sait ce qu'il s'est passé dimanche.
Il confie: «Je n’ai encore jamais été cambriolé, mais parions que ça va vite arriver. C’est vrai que cette histoire aux Moulins m’a pas mal inquiété. Vers la rue d’Orbe, j’ai l’impression que c’est plus tranquille. Mais je vois quand même de plus en plus de jeunes et de gens qui ressemblent à des dealers traîner dans le coin le soir.»
Les noms ont été modifiés à la demande des intervenants.