Elle voulait devenir journaliste, enseignante ou hôtesse de l'air. Et être heureuse, d'une manière ou d'une autre: Fatima Bennani* avait de nombreux rêves. Mais se maintenir elle et ses enfants à flot avec un travail mal payé et vivre dans l'inquiétude permanente quant à son droit de séjour n'en faisait certainement pas partie.
Il y a 15 ans, Fatima Bennani a suivi son partenaire de l'époque en Suisse. Ils se sont mariés et ont eu deux filles. La quarantenaire a ainsi appris l'allemand. Mais leur relation amoureuse s'est petit à petit effritée. En 2018, le divorce est prononcé.
Lorsque Fatima Bennani évoque les raisons, elle demande à sa fille cadette de six ans de quitter la pièce l'espace d'un instant. «J'ai été victime de violence domestique», dit-elle à voix basse.
Après le divorce, elle s'occupe des enfants, cherche un emploi via un centre de placement, travaille à temps partiel avec des interruptions. Mais l'argent ne suffit jamais pour joindre les deux bouts, alors elle touche l'aide sociale en complément : 66'000 francs au total en cinq ans — un peu plus de 1000 francs par mois.
Autorisation de séjour non renouvelée
Mais cette aide est la cause d'un autre problème auquel elle doit actuellement faire face: après douze ans en Suisse, l'office des migrations lui a refusé en 2019 la prolongation de son autorisation de séjour et veut l'expulser du pays. Un choc pour Fatima Bennani : «J'avais l'impression d'être une mauvaise mère, une criminelle — parce que j'avais besoin d'aide.»
Cette histoire n'est pas un cas isolé. En Suisse, le droit migratoire et le droit social sont étroitement liés. Si la perception de l'aide sociale par des migrants dépasse un certain montant — généralement 20'000 francs —, les services sociaux sont tenus de le signaler aux autorités migratoires. Le fait de toucher l'aide sociale peut être interprété comme un signe d'intégration insuffisante et l'autorisation de séjour peut donc être retirée aux personnes concernées.
Beaucoup de migrants renoncent à l'aide sociale
Depuis une adaptation de la loi sur les étrangers et l'intégration en 2019, il est en outre légal de rétrograder le permis d'établissement en permis de séjour en cas de perception de l'aide sociale - même pour les personnes vivant en Suisse depuis plus de 15 ans.
Et cela a un effet dissuasif: par peur des conséquences négatives en matière de droit de migration, de nombreux migrants ne font pas appel à l'aide sociale, même lorsqu'ils se trouvent dans une situation de grande détresse. De nombreuses familles glissent ainsi souvent sous le seuil de pauvreté.
«La pauvreté n'est pas un crime»
Si l'on en croit la politicienne socialiste Samira Marti, cette situation devrait bientôt appartenir au passé.
Son initiative parlementaire «La pauvreté n'est pas un crime» demande qu'il ne soit plus possible de révoquer le permis de séjour ou d'établissement des personnes qui vivent en Suisse depuis plus de dix ans et qui bénéficient de l'aide sociale. Le projet sera discuté la semaine prochaine sous la coupole fédérale dans le cadre de la session d'automne.
Les bénéficiaires étrangers de l'aide sociale ciblés?
L'avocat Marc Spescha estime lui aussi qu'il est urgent de découpler le droit de l'immigration et le droit social. Il fait partie des experts les plus renommés dans le domaine du droit de la migration.
Selon lui, ces dernières années ont été marquées par un durcissement de l'attitude des services des migrations à l'égard des bénéficiaires étrangers de l'aide sociale.
Il est particulièrement choquant que les personnes concernées soient souvent des personnes dans des situations de travail et de vie extrêmement précaires, pour lesquelles il suffit de peu de choses pour qu'elles se retrouvent dans une situation financière difficile.
«Ce sont souvent des femmes sur lesquelles pèse la responsabilité principale des tâches éducatives et du travail rémunéré, car elles ont souvent des maris qui luttent contre des problèmes de santé ou qui sont enclins à la violence domestique», explique l'avocat.
Selon lui, les autorités ne se rendent pas compte de la réalité de la vie de ces personnes précaires. Et pour preuve: «le manque de ressources en termes de formation, le fait que beaucoup travaillent dans le secteur des bas salaires et ne sont pas rémunérés de manière adéquate pour cela et tombent ainsi plus rapidement dans la pauvreté professionnelle, ou les enfants et les proches à charge ne sont souvent pas considérés comme des circonstances atténuantes.»
Régine Schweizer, directrice du bureau de l'Association des services cantonaux de migration, s'inscrit en faux contre cette affirmation: des critères tels que les obligations de prise en charge, l'état de santé ou le degré de responsabilité personnelle pour expliquer la dépendance à l'aide sociale seraient pris en compte dans les décisions des services de migration.
«En outre, avant un éventuel retrait de l'autorisation, des mesures moins sévères sont à chaque fois prises, comme la conclusion de conventions d'intégration ou des avertissements, affirme Régine Schweizer. Et les autorités cantonales des migrations examinent toujours individuellement et soigneusement les conséquences en matière de droit des étrangers en cas de dépendance importante à l'aide sociale.»
Un «déficit d'intégration» selon l'office des migrations
Fatima Bennani a vécu les choses différemment. L'office des migrations n'a pas montré de cœur à son égard, dit-elle. Dans la décision de renvoi, il était dit qu'elle n'exerçait pas d'activité professionnelle permettant de subvenir à ses besoins, alors qu'elle n'était pas en incapacité de travail et que la prise en charge de ses enfants ne l'empêchait pas de travailler.
L'office a en outre argumenté que son recours l'aide sociale et le déficit d'intégration qui en résulte pèsent nettement plus lourd que ses intérêts privés — et ceux de ses enfants — à rester en Suisse. Quant aux éventuelles difficultés liées à son retour dans son pays d'origine, elles sont de son ressort.
Recours couronné de succès
Fatima Bennani affirme avoir été très affectée par la décision des services de migration. Il était hors de question pour elle de retourner dans son pays de naissance: «cela aurait détruit la vie de mes filles.» Avec l'aide de son avocat Marc Spescha, elle a fait recours contre son expulsion — avec succès: son autorisation de séjour a été prolongée.
Aujourd'hui, cette mère célibataire ne touche plus d'aide sociale. Non pas parce qu'elle n'en a plus besoin— son travail dans une chaîne de fast-food ne lui rapporte que 2200 francs les bons mois. Mais parce que cela lui évite au moins tout le stress engendré par l'office des migrations. Elle dit qu'elle ne se sentirait vraiment en sécurité qu'avec un passeport suisse.
Une situation «indigne de notre pays»
La famille vit dans un appartement de deux pièces, la mère et les filles doivent se partager la chambre à coucher. Aux yeux de l'avocat Marc Spescha, c'est une preuve d'indigence — non pas pour Fatima Bennani, mais pour la Suisse: «Le fait que l'on se focalise sur ces personnes et qu'on les couvre de menaces est indigne de notre pays.»
* Nom modifié
(Adaptation par Quentin Durig)