Alors que l'inégalité salariale est contestée
Les Romandes s'inquiètent plus de la thune que des violences et des féminicides

À l'heure où on la pense presque révolue, l'inégalité salariale est pourtant la première préoccupation de 41% des femmes romandes, d'après notre sondage. Voici ce que pense le peuple des questions d'égalité en 2023.
Publié: 14.06.2023 à 06:10 heures
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Dernière mise à jour: 14.06.2023 à 13:22 heures
L'inégalité salariale est la première préoccupation des femmes romandes. (Image d'archives: Lausanne, 2019)
Photo: freshfocus
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

On dit que l'inégalité salariale entre les hommes et les femmes s'amenuise — voire disparaît — aujourd'hui en Suisse. Une étude commandée par l'Union patronale suisse (UPS) et publiée mardi, à la veille de la grève féministe du 14 juin, avance par exemple que 99,3% des entreprises «respectent la loi sur l'égalité», et que seuls 3,3% des cas d'écart salarial entre les genres demeurent inexpliqués.

Pourtant, les inégalités économiques seraient la principale préoccupation des femmes romandes, d'après notre sondage. Les violences et les féminicides arrivent quant à eux en seconde position.

Alors que la vague violette s'apprête à déferler sur la Suisse pour la cinquième fois consécutive, Blick vous a demandé: à l'heure actuelle, quel est le plus gros problème d'inégalité entre les genres qui demeure en Suisse? Voici les résultats, expliqués et commentés par le professeur associé au Centre en études genre (CEG) de l'université de Lausanne, Sébastien Chavin, ainsi que par des politiques et des membres du collectif de la grève.

Ce sondage a été réalisé via des questionnaires en ligne, auprès du panel de l'institut de sondage MIS Trend ainsi que par l'intermédiaire des plateformes de Blick. 1'979 Romandes et Romands de plus de 18 ans y ont répondu du 24 au 31 mai 2023 (voir l'encadré méthodologique en fin d'article).

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La précarité passe avant les violences

On constate en effet que 41% de toutes les personnes interrogées estiment que l'inégalité salariale et la précarité économique des femmes est le plus gros problème qui persiste entre les genres.

Viennent ensuite les violences physiques et les féminicides — qui inquiètent en priorité 20% des sondées et des sondés. Les violences sexuelles et le harcèlement sexuel se retrouvent en troisième position.

Trois membres du collectif lausannois, Vanessa Monney, Lucile Quéré et Michela Bovolenta, nous font part de leur surprise: «Les violences physiques et les féminicides, c’est l’aspect le plus grave du patriarcat. Ce résultat est peut-être lié à une idée ou une image des violences contre les femmes que les médias contribuent à construire: celle du ‘drame’ qui ‘n’arrive qu’aux autres’.»

Cela étant, «aujourd’hui, de plus en plus de femmes se rendent compte qu’elles sont sous-payées, malgré le manque de transparence dans la politique salariale des entreprises, ajoutent les militantes. Et cela veut sans doute dire que les campagnes syndicales ont porté leurs fruits…»

Une précarité bien réelle, et multifactorielle

Mais alors, que faire de l'étude de l'Université de Saint-Gall (citée plus haut), qui stipule qu'il n'y aurait presque plus d'inégalité salariale entre les hommes et les femmes, en 2023?

Pour notre expert en études genre Sébastien Chavin, les femmes ont au contraire bien raison de s'inquiéter pour leur porte-monnaie. Car tout n'est pas si simple: selon lui, la mesure des inégalités ne doit pas s'arrêter aux fiches de paie (contrairement à ce que fait l'étude saint-galloise). «On croit parfois que la question des inégalités salariales est pratiquement réglée, parce qu’on ne prend (ndlr: souvent, dans les études) en compte que la petite différence de salaire horaire, à poste égal entre hommes et femmes — qui est bien inférieure à 10%.»

Or, si on mesure «la différence réelle de revenus entre hommes et femmes, compte tenu des différences de postes, de secteurs, et de taux d’occupation, on arrive plutôt à 35%», d'après le professeur associé.

«
«65% du temps de travail des femmes n’est pas rémunéré, contre seulement 47% de celui des hommes. Notamment lorsqu’il prend la forme du travail domestique»
Sébastien Chauvin, professeur associé au Centre en études genre (CEG)
»

D'ailleurs, ce chiffre de «différence de salaire réelle» entre les genres, on le retrouve aussi «lorsqu’on constate les inégalités des retraites, qui sont, elles, d'environ 37%». De plus, selon le spécialiste, alors que les hommes et les femmes travaillent autant, «65% du temps de travail des femmes n’est pas rémunéré, contre seulement 47% de celui des hommes. Notamment lorsqu’il prend la forme du travail domestique.»

Dernier critère que l'étude commandée par l'Union patronale suisse — qui semble dire que les inégalités économiques se dissipent véritablement aujourd'hui — ne prendrait pas en compte, c'est le fait que «les différences de patrimoine entre les hommes et les femmes, notamment au sein des couples, sont encore plus importantes que les autres écarts, avance l'académicien. Et ces différences auraient même eu tendance à augmenter dans les dernières décennies (en France, par exemple, cette inégalité a doublé depuis le début des années 2000).»

Féminisme de gauche, féminisme de droite

La conseillère nationale verte Delphine Klopfenstein Broggini n’est pas non plus surprise par le fait que l'égalité économique soit l'inquiétude numéro un des femmes. Car «c’est probablement la préoccupation la plus visible».

«
«La discrimination, c’est toujours un cocktail fait de plusieurs ingrédients»
Delphine Klopfenstein Broggini, conseillère nationale Verte
»

Elle tient néanmoins à nuancer les chiffres: «Je ne classerais pas les inégalités par ordre d’importance. C’est réducteur, parce qu'au final, les choses sont souvent liées: l’inégalité salariale peut être cumulée à plusieurs autres injustices que subissent les femmes.»

En résumé, pour la politicienne écologiste, «la discrimination, c’est toujours un cocktail fait de plusieurs ingrédients. On ne peut pas juste en isoler un et agir uniquement là-dessus.»

Du côté de la droite, le discours est un peu différent (mais pas tant, au final). Confrontée à ces résultats, la présidente des Jeunes UDC Vaud, Emmylou Ziehli-Maillard, concède que des inégalités salariales persistent dans certains secteurs économiques.

«
«Les inégalités commencent plutôt lorsque les gens fondent une famille»
Emmylou Ziehli-Maillard, présidente des jeunes UDC Vaud
»

Mais, pour elle, le nerf de la guerre, c'est plutôt la vie privée. Elle explique: «La racine de ce problème d'inégalités économiques, pour moi, c'est plutôt l’organisation familiale. Une étude zurichoise a récemment démontré qu’il n’y avait presque pas d’inégalités salariales entre les hommes et les femmes célibataires. Les inégalités commencent plutôt lorsque les gens fondent une famille. Donc je pense qu’il faut plutôt se demander quel soutien on peut apporter aux familles, dans le domaine privé, pour remédier à cela.»

Également interrogé, Jonathan Magnin, président des Jeunes UDC Genève, ne voit quant à lui pas vraiment de problème à ce que les femmes gagnent moins que leurs homologues masculins: «Cela ne me surprend pas. Dans une société libérale où la concurrence dicte les bénéfices, il est logique que les hommes prospèrent plus que les femmes, ne serait-ce qu'à l'égard de la maternité. Notons qu'il ne s'agit pas d'une injustice, mais bien d'une différence fondamentale d'intérêt.»

Le jeune agrarien avance que l'intérêt des femmes serait plutôt... de mieux concilier leur carrière avec leur vie familiale: «Ce qui m'attriste dans le féminisme d'aujourd'hui, c'est le fait d'utiliser cet écart (ndlr: salarial) pour crier à l'injustice et demander réparation, sans trouver de réelles solutions. Pourquoi ne pas poser des questions plus constructives: comment créer un système qui permette à carrière et maternité de rimer harmonieusement? Le féminisme semble pousser les femmes à se conformer à un libéralisme à la sauce étasunienne, aux dépens de leur vie de mère, en opposant carrière et grossesse…»

Méthodologie et marge d'erreur

L'étude a été menée via des questionnaires en ligne auprès du panel MIS Trend, ainsi que par l'intermédiaire des plateformes de Blick.

1'979 Romandes et Romands de 18 ans et plus y ont répondu du 24 au 31 mai 2023.

Les résultats ont été pondérés avec des critères tels que le genre, l'âge et le canton, de manière à obtenir des chiffres représentatifs. La marge d'erreur maximale est de 2.3% sur l'échantillon total.

L'étude a été menée via des questionnaires en ligne auprès du panel MIS Trend, ainsi que par l'intermédiaire des plateformes de Blick.

1'979 Romandes et Romands de 18 ans et plus y ont répondu du 24 au 31 mai 2023.

Les résultats ont été pondérés avec des critères tels que le genre, l'âge et le canton, de manière à obtenir des chiffres représentatifs. La marge d'erreur maximale est de 2.3% sur l'échantillon total.

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