Pendant des années, les grands constructeurs d’avions se sont battus pour obtenir ce contrat d’un milliard de dollars. L’armée de l’air suisse recherchait de toute urgence des successeurs pour sa flotte vieillissante de F/A-18. En juin, la ministre de la défense Viola Amherd a annoncé que le Conseil fédéral s’était décidé en faveur du jet F-35 du constructeur américain Lockheed Martin.
Néanmoins, cette annonce peine à passer. Pas tous les soumissionnaires perdants parviennent à accepter la décision. Airbus, le constructeur de l’Eurofighter, se mobilise contre le F-35. Comme le rapportent plusieurs parlementaires, l’entreprise européenne basée en Bavière tente de discréditer l’évaluation qui a précédé la décision du Conseil fédéral.
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Un document compromettant
Les politiciens ont reçu en octobre un dossier de 13 pages décortiquant le processus de sélection. Le SonntagsBlick a pu avoir accès à ces documents. Ce rapport avance: «Le processus de sélection n’est pas objectif, est basé sur des erreurs de forme et de fond, a été modifié par la suite et des informations ont été omises.»
Sur le document, aucun auteur n’est identifié et le nom d’Airbus n’apparaît pas non plus. Toutefois, les métadonnées du document PDF indiquent qu’Andreas Hauck a créé le fichier. Il est le «Director of Airborne Communications Projects» («Directeur de la communication concernant les projets aéronautiques») de chez Airbus, selon nos informations.
Le rapport ne critique pas seulement l’avion en lui-même, mais également les enjeux politiques de ce choix. Si l’achat du F-35 finit par échouer, Airbus aurait à nouveau la possibilité de proposer son Eurofighter à la Suisse.
«Cela est injustifiable du point de vue de la politique démocratique»
Récemment, un lobbyiste a exhorté en vain les parlementaires à enquêter sur la procédure de sélection au sein de la Commission de gestion (CDG). Si la commission avait effectivement lancé de telles investigations, les dommages causés à l’image du ministère de la défense et des F-35 auraient été significatifs.
«Justifié du point de vue du droit de la concurrence et injustifiable du point de vue de la politique démocratique», c’est ainsi que le politicien et juriste vert-libéral Beat Flach évalue la tactique consistant à dénigrer le processus d’évaluation. Cela ne fait qu’encourager les opposants aux nouveaux avions de combat, estime le conseiller national argovien.
Ceux-ci se mobilisent depuis longtemps déjà: des membres de la gauche collectent des signatures pour une initiative populaire dont le but est d’entrer l’interdiction d’acheter des avions américains dans la Constitution suisse.
Cette initiative semble avoir ses chances. L’année dernière, lorsque le peuple a voté pour la première fois sur l’acquisition de nouveaux avions de combat, sans mention du modèle, les partisans du jet l’ont emporté que par une petite marge de quelques milliers de voix.
«Tous les prestataires ont approuvé le processus de sélection du F-35. Il faut se demander si une partie ne respectant pas les accords ne devrait pas être exclue des futurs contrats d’armement pendant un certain temps», avance Thierry Burkart, président du PLR.
Airbus veut garantir la transparence
Airbus rejette toutes les accusations en bloc. La compagnie estime se comporter de manière correcte et en toute transparence, selon ses déclarations. «Depuis l’annonce faite en juin de cette année, nous avons reçu un nombre croissant de demandes de renseignements sur les faits et le contexte de la décision concernant l’avion de combat de la part de ministères, de journalistes et de parlementaires», explique Florian Taitsch, porte-parole d’Airbus Defence and Space.
Le document en question est une «évaluation indépendante de la situation par nos experts en aviation» et est utilisé à l’occasion d’une analyse interne. Il ne sera pas diffusé activement, mais sera proposé dans le cas de demandes spécifiques.
Florian Taitsch avance: «Nous n’influençons pas le processus politique, mais garantissons un cadre factuel et transparent afin de permettre au Parlement de prendre la meilleure décision pour la Suisse.» Cela signifie également que l’offre pour l’Eurofighter tient toujours.
Tous les soumissionnaires ont approuvé le processus
L’état d’esprit au sein du ministère de la Défense est quelque peu différent. «Dans la période précédant le choix du modèle d’avion, tous les soumissionnaires ont déclaré que le processus était juste. Ils savaient qu’un seul type d’avion allait être acheté et étaient donc prêts à accepter cette décision», détaille Renato Kalbermatten, responsable de la communication.
Le DDPS serait alors étonné d’apprendre que la décision du Conseil fédéral n’est pas acceptée par les fournisseurs, que des contre-arguments sont publiés ou qu’un lobby secret combat cette décision. Renato Kalbermatten affirme: «Si tel devait être le cas, cette façon de procéder serait très problématique et peu propice à une future coopération et porterait préjudice à l’image de ces fabricants en Suisse.»
(Adaptation: Jessica Chautems)