Le 25 septembre 2022, la Suisse votera sur le relèvement de l’âge de la retraite des femmes AVS à 65 ans. Le même dimanche, les Suisses se prononceront sur l’abolition partielle de l’impôt anticipé. L’initiative contre l’élevage intensif sera également soumise aux urnes.
Comme souvent, les électeurs se prononceront sur des objets sans liens apparents. Mais cette fois-ci, ils se trouvent curieusement tous les trois sur le site de l’Union suisse des paysans (USP), qui affirme que ces trois objets seraient des «piliers de stabilité centraux» pour notre pays.
«Chevalier typique»
Les agriculteurs s’engagent ainsi pour préserver leur élevage et assurer leur retraite... mais aussi pour la suppression de l’impôt anticipé sur les intérêts. Si le premier point semble logique, le second semble nettement moins couler de source: cette suppression ne leur profiterait guère.
Les connaisseurs ont donc rapidement soupçonné un deal. Le puissant président de l’USP, Markus Ritter, a d’ailleurs la réputation de passer des accords pour servir ses intérêts. Dans le cadre de ces votations, les paysans aideraient la place financière à payer l’impôt anticipé et recevraient en contrepartie un soutien pour faire barrage à l’initiative sur l’élevage.
Or, le politicien du Centre a lui-même confirmé aux journalistes de Blick l'existence d'un tel accord. Il a été passé entre l’USP et l’association économique faîtière Economiesuisse, présidée par l'Argovien Christoph Mäder. Mais cet accord n'aurait rien de surprenant: pour Markus Ritter, il est tout à fait juste que les associations économiques travaillent ensemble, coordonnent leurs campagnes «et augmentent ainsi [leurs] chances de succès». Le président de l'USP insiste sur un point: «Nous avons d’abord décidé des mots d’ordre concernant les trois projets soumis à votation le 25 septembre. Ce n’est qu’ensuite que nous avons décidé d’unir nos forces – et non l’inverse!»
Des partis pauvres
Il faut savoir que les partis reçoivent systématiquement de l’argent des fédérations lorsqu’ils font campagne dans leur sens. Mais les montants empochés ont toujours été un secret jalousement gardé. C'est grâce à plusieurs sources que Blick a pu mettre des chiffres sur ces sommes: l’UDC, le PLR et le Centre reçoivent chacun 80’000 francs de l’Union suisse des paysans pour leur campagne de votation contre l’initiative sur l’élevage intensif. Et Economiesuisse versera même 100’000 francs si un parti s’engage pour la suppression de l’impôt anticipé.
Pour comprendre ces combines, il faut aussi prendre en compte la situation financière des partis suisses: ils sont pauvres. Certes, les représentants du peuple au Palais fédéral reçoivent de l’argent de l’État. Mais aucun parti ne peut s’en servir pour faire de la politique. Outre les cotisations des membres, les dons et les frais de mandat des juges et des parlementaires, ils dépendent de l’argent des associations et des organisations.
330’000 francs chacun
Lorsqu’un parti reçoit de l’argent d’une association, la règle suivante s’applique: 75 à 80% des montants sont affectés aux campagnes de votation. Les centrales des partis conservent le reste pour rémunérer une partie de leurs collaborateurs.
Cela vaut donc la peine d’organiser plusieurs votations le même dimanche. Et le mois de septembre prochain est particulièrement favorable: selon différentes sources, les partis qui s’engagent en faveur du projet de l’AVS peuvent se réjouir d’une subvention de campagne particulièrement élevée. Il est question d’environ 150’000 francs chacun de la part de l’Union patronale suisse. L’UDC, le PLR et le Centre recevraient donc chacun 330’000 francs au total.
Les syndicats n’ont rien payé
«Mais la gauche reçoit certainement beaucoup plus d’argent des syndicats pour la lutte contre le relèvement de l’âge de la retraite», se contente-t-on de dire dans les milieux bourgeois. «Faux!», contredit le co-secrétaire général du PS Tom Cassee. «Le PS suisse finance ses campagnes de votation exclusivement par les cotisations de ses membres et les dons de personnes privées.» Les syndicats ne paient aucune activité de campagne au PS, ni rien d’autre. «Cela vaut également pour la campagne de votation du 25 septembre 2022», précise-t-il. Par ailleurs, les syndicats refusent catégoriquement les accords en coulisses.
Même son de cloche chez les Vert’libéraux. La conseillère nationale zurichoise Corina Gredig, qui s’engage depuis longtemps pour une plus grande transparence dans le financement de la politique, accuse: «Ce ne serait pas la première fois que l’Union suisse des paysans et Economiesuisse se concertent et lient entre elles des affaires qui ne sont pas pertinentes.»
Et la Vert’libérale d’ajouter: «Notre parti s’est opposé avec succès, avec d’autres, à de tels accords cachés en coulisses. Heureusement, à partir de l’année prochaine, il ne sera plus possible de faire de gros dons anonymes.» En effet, le contre-projet indirect à l’initiative sur la transparence entrera alors en vigueur. À l’avenir, les dons aux partis de 15’000 francs et plus devront être rendus publics. On ne sait pas encore exactement quand la loi entrera en vigueur en 2023. Mais elle sera effective au plus tard pour les élections d’octobre 2023. Le cas échéant, elle s’appliquera déjà à la votation du 18 juin 2023.
«Pas de problème de transparence»
Le président des Vert’libéraux, Jürg Grossen, ajoute que son parti reçoit autant d’argent d’Economiesuisse pour la campagne en faveur de l’abolition de l’impôt anticipé que les autres partis du camp des partisans – bien que les Vert’libéraux aient une position différente de celle des autres partis bourgeois en ce qui concerne l’initiative sur l’élevage intensif. De plus, le parti s’engage également pour le projet AVS, il reçoit donc 250’000 francs. Au total, les partis reçoivent donc 1,24 million. Et les associations investiront en outre elles-mêmes de l’argent dans l’issue de la votation.
Les Vert’libéraux ne condamnent pas spécialement ces accords et ces versements d’argent. Ils appellent, en revanche, à plus de transparence sur ces derniers. «Le Centre n’a aucun problème avec la transparence croissante qui donne un aperçu du financement du travail politique en Suisse», souligne Gerhard Pfister, le président du Centre.
Publication seulement en cas d’obligation
Le porte-parole d’Economiesuisse, Michael Wiesner, assure son association se conformera aux nouvelles règles lorsqu'elles seront en vigueur. Mais pour l’instant, elle ne donne aucune information sur le montant de sa participation aux frais des partis. Des informations sur la collaboration de différentes associations avec l’USP seront données le 11 août.
Jusqu’à l’été ou l’automne 2023, les citoyens ne pourront pas savoir si une association ou un parti rejette ou approuve un projet par conviction… ou si un accord lucratif en coulisses a fait pencher la balance.