L'ancien patron de Novartis Daniel Vasella a tenté en 2013 d'échapper au paiement d'un impôt «extrêmement élevé»: il a prétendu avoir transféré son domicile de Risch (ZG) à Monaco, où l'homme n'est pas imposable. Mais l'administration fiscale zougoise a mis des bâtons dans ses roues, comme l'a récemment révélé le «SonntagsZeitung».
Le cas est certes spectaculaire, mais plutôt atypique: normalement, ce sont les cantons de Zoug, Schwytz et Nidwald, qui attirent les gros salaires et les personnes fortunées avec des taux d'imposition ultra-bas – et qui dérobent des recettes fiscales à d'autres pays et cantons.
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Des différences fiscales cantonales massives
Il ne se passe guère de semaine sans que des cadres supérieurs ou des entrepreneurs ne déménagent dans un canton à faible fiscalité. Ce n'est pas surprenant, car pour les gros salaires, les différences fiscales cantonales ont un impact considérable. L'exemple du président de la Banque nationale suisse Thomas Jordan, qui a déménagé en 2018 avec sa femme de Küsnacht (ZH) à la ville de Zoug, le montre bien.
En 2021, Thomas Jordan percevait un salaire brut de 914'700 francs. S'il avait dû payer des impôts sur cette somme à son ancien domicile, il aurait dû céder environ 255'000 francs d'impôts sur le revenu. En revanche, selon le calculateur d'impôts en ligne de l'Administration fédérale des contributions, il n'a dû verser que 175'000 francs au fisc à son nouveau domicile. Grâce à son déménagement, Thomas Jordan économise donc environ 80'000 francs d'impôts – année après année.
Des économies à six chiffres
Comparé aux cadres supérieurs de l'économie privée, c'est une somme modeste. Pour Thomas Hasler, CEO du groupe de chimie du bâtiment Sika, le déménagement en Suisse centrale a eu un impact nettement plus important: en 2021, l'homme a gagné 2,4 millions de francs bruts. S'il avait dû déclarer ce salaire à son ancien domicile de Birmensdorf (ZH), il aurait dû payer 820'000 francs d'impôts sur le revenu, selon le calculateur fiscal. Comme Thomas Hasler a déménagé à Risch (ZG) en 2018, seuls 490'000 francs sont dus. Son économie annuelle: 330'000 francs.
Philipp Rickenbacher, CEO de Julius Bär, économise même 885'000 francs d'impôts sur le revenu grâce à son déménagement. Le banquier de haut niveau avait un salaire brut de 6 millions en 2021. A son ancien domicile de Bülach (ZH), il aurait dû payer environ 2,1 millions de francs d'impôts sur le revenu, contre seulement 1,2 million à son nouveau domicile fiscal de Wollerau (SZ).
Le CEO d'UBS Ralph Hamers joue encore une fois dans une autre ligue. Le Néerlandais a rejoint la grande banque en 2020. Il ne s'est pas installé sur son lieu de travail à Zurich, mais dans la ville de Zoug. Une décision lucrative: s'il devait payer des impôts dans la ville de Zurich sur les 11 millions de francs qu'il a reçus lors de sa première année complète chez UBS, il devrait payer près de 4 millions de francs. A Zoug, en revanche, le fisc ne lui réclame que 2,2 millions de francs. En habitant à Zoug, Ralph Hamers empoche... 1'740'000 francs de plus.
Des chiffres à prendre avec précaution
Le calcul de la charge fiscale n'est cependant pas une science exacte. Les économies réalisées doivent être considérées avec prudence, car il existe de nombreuses inconnues qui peuvent influencer fortement la charge fiscale.
Ralph Hamers, par exemple, se fait verser une grande partie des onze millions de francs mentionnés sur plusieurs années. De plus, les gros salaires rachètent volontiers leur caisse de pension afin de réduire leur charge fiscale. Il est également difficile d'estimer la fortune des personnes mentionnées, qui peut également influencer considérablement la charge fiscale.
Néanmoins, le calculateur d'impôts donne une idée de l'ampleur des avantages que les gros salaires tirent de la concurrence fiscale suisse. On pourrait allonger à volonté la liste des managers et entrepreneurs connus qui ne se privent pas des avantages d'un canton à faible fiscalité.
L'élite économique se regroupe
Outre les personnes citées, les CEO d'Emmi, Glencore, Lindt & Sprüngli, la Banque Migros, Mobilezone et Swiss Life, les présidents des conseils d'administration d'Helvetia, de Raiffeisen et de Swiss Re ainsi que les copropriétaires de C&A, Metall Zug et Partners Group, sont domiciliés dans le canton de Zoug. S'y ajoutent l'héritière de Swarovski Marina Giori Lhota ou l'oligarque russe Viktor Vekselberg.
Les CEO de Dufry, Holcim, Kühne + Nagel et OC Oerlikon ont trouvé refuge dans le canton de Schwytz, tout comme les présidents d'Adecco, Dätwyler, Ems-Chemie, Georg Fischer, Sika, Sonova, Swiss Prime Site et Vaudoise, ainsi que les copropriétaires de Glencore et Manor. S'y ajoutent des entrepreneurs comme Jean-Claude Biver, Markus Blocher, Martin Ebner, Stephan Schmidheiny ainsi que des ex-banquiers comme Oswald Grübel et Urs Rohner.
De leur côté, le président d'Economiesuisse Christoph Mäder ainsi que les entrepreneurs Nayla Hayek, Michael Pieper et Alfred N. Schindler habitent à Nidwald.
Les cantons de Suisse centrale ont la cote
Cette liste est loin d'être exhaustive. Mais même ainsi, le tableau d'une forte concentration des fortunes se dessine en Suisse. Les cantons de Zoug, Schwytz et Nidwald, qui représentent à eux seuls moins de 4% de la population totale de la Suisse, abritent une grande partie de l'élite économique – et sont également très loin du reste du pays en termes de fortune nette moyenne par contribuable.
Selon une analyse récemment publiée par le Conseil fédéral, les contribuables de Zoug possèdent en moyenne 1,1 million de francs, ceux de Schwytz 1,3 million et ceux de Nidwald presque 1,5 million. Dans les cantons du Jura, de Fribourg, de Soleure et de Neuchâtel, cette valeur était inférieure à 200'000 francs. Entre 2005 et 2018, la part de fortune du 1% des Suisses les plus riches est passée de 38 à 44%, selon la même étude.
Interrogés, le président de la BNS Thomas Jordan, le CEO de Sika Thomas Hasler et le patron de Julius Baer Philipp Rickenbacher font savoir que leur déménagement en Suisse centrale n'est pas dû à des raisons fiscales. Thomas Jordan fait valoir de nouvelles conditions de vie, et Thomas Hasler le fait que le siège principal de Sika se trouve également dans le canton de Zoug. Philipp Rickenbacher souligne, quant à lui, qu'il a grandi dans le canton de Schwytz et qu'il y a des racines familiales.
Ralph Hamers, CEO de l'UBS, n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet.
(Adaptation par Lliana Doudot)