Le concessionnaire automobile Ferdi Gusani est désespéré. En effet, son commerce de voitures d'occasion de luxe, FS Car-Point, est menacé de disparition sur son site actuel, en raison d'une dispute absurde avec ses voisins à cause de quelques mètres d'asphalte. Concrètement: le jeune homme de 32 ans n'a plus le droit de conduire ses voitures sur le terrain de sa propre entreprise à Menznau (LU). Si un véhicule de luxe y est vendu, le client doit l'évacuer par hélicoptère. Ou alors, il doit s'attendre à une amende salée s'il veut emprunter la route.
Il faut dire que le site se trouve tout au bout d'une impasse. Le seul moyen d'accéder aux voitures vendues est d'emprunter une route privée. Et c'est là que se trouve le problème. En effet, un voisin a obtenu une interdiction judiciaire de circuler sur une partie de la route dont il est propriétaire. Une nouvelle particulièrement amère pour Ferdi: l'interdiction ne s'applique qu'à lui alors que les autres voisins peuvent continuer à utiliser la route!
2000 francs d'amende par passage
Pour un vendeur de voitures d'occasion, cette situation est désastreuse. «Où vais-je garer mes voitures?», demande Ferdi, désespéré.
L'interdiction ne s'applique que sur un tronçon de chemin d'à peine six mètres, comme le montre une inspection sur place. Un panneau mentionne: «Il est interdit à toute personne non autorisée de circuler sur ce terrain. Sont exclus les visiteurs, les propriétaires et les locataires ainsi que les fournisseurs des immeubles 1, 3, 5, 7 et 9.» La société FS Car-Point occupe le numéro 11.
Aucun employé de l'entreprise ne peut y passer en voiture, en camion ou en moto. «Les infractions sont punies d'une amende pouvant aller jusqu'à 2000 francs», poursuit le panneau. La zone industrielle abrite également les pompiers et l'atelier de la commune de Menznau. Les clients de Ferdi, sa femme et lui-même, ont déjà écopé d'amendes de près de 1400 francs. «Nous sommes photographiés et dénoncés», poursuit-il.
Trop de trafic, trop de bruit?
L'hypothèse du concessionnaire automobile est que les voisins veulent le faire fuir afin de récupérer son terrain. «J'ai appris que plusieurs voisins avaient participé aux enchères pour le terrain et avaient même proposé une offre plus élevée. Mais j'ai obtenu l'adjudication pour 700'000 francs, parce que je m'y intéressais depuis longtemps. L'interdiction de circuler est une vengeance.»
Blick s'est renseigné auprès de l'initiateur de l'interdiction de circuler. Il s'agit du directeur de l'entreprise située sur le terrain où se trouve le panneau d'interdiction, Manuel Bürkli. Interrogé par Blick, il précise que ses motivations pour l'interdiction sont justifiées. Il explique: «Nous ne nous sentions tout simplement plus à l'aise avec le trafic important généré par le concessionnaire automobile et les véhicules sont bruyants. Un voisin nous a fait remarquer que nous pouvions obtenir une interdiction parce que nous sommes propriétaires d'un petit bout de rue. C'est ce que nous avons fait.»
Il y avait certes eu auparavant un garage Subaru au même endroit, puis un garage Mazda et Citroën, mais ces derniers n'ont jamais attiré l'attention. Contrairement à l'entreprise de Ferdi Gusani, FS Car-Point. Manuel Bürkli veut faire passer le message: «Monsieur Gusani doit trouver un domaine d'activité qui ne génère pas de trafic. Sinon, qu'il nous vende le terrain et mette ses voitures ailleurs. Il aurait dû se rendre compte qu'il achetait un terrain sans droit de passage.» Toutes les négociations visant à faire payer le droit de passage ont jusqu'à présent échoué.
Le propriétaire décide qui peut passer
Un tribunal peut-il approuver une telle restriction qui ne s'applique qu'à un seul riverain? «Oui, cela correspond à la loi suisse, répond l'avocat André Kuhn. Le propriétaire peut très bien exclure le concessionnaire automobile du droit de passage. Il a le droit de décider qui utilise sa rue et qui ne l'utilise pas.»
L'expert poursuit: «Un propriétaire de rue privée, ou même un riverain avec une propriété adjacente, peut déposer une demande d'interdiction judiciaire. Si le juge l'approuve, tous ceux qui passent malgré l'interdiction sont punissables. Seront punis tous ceux que le requérant aura dénoncés.»
La personne exclue du droit de passage peut-elle toutefois s'y opposer? «Oui, il peut demander au juge un droit de passage. S'il peut démontrer qu'il est impérativement tributaire de l'utilisation de la route privée, le juge inscrit au registre foncier ce qu'on appelle une servitude.» Il est également courant que de l'argent soit demandé pour l'utilisation d'une route privée. «Finalement, le propriétaire d'une route privée doit également prendre en charge son entretien.» Il est donc bien possible que le litige routier de Menznau devienne lui aussi un cas pour les juristes.