La nouvelle a eu l'effet d'un coup de tonnerre: fin août, le ministre de l'Énergie Albert Rösti a annoncé que le Conseil fédéral voulait lever l'interdiction technologique en matière de politique énergétique. Le gouvernement national souhaite ainsi ouvrir la voie à de nouvelles centrales nucléaires – sept ans après que le peuple suisse a rejeté l'énergie nucléaire dans les urnes.
Cette annonce a déclenché de vives réactions. «Renverser l'interdiction des centrales nucléaires? Pas avec nous!», estiment par exemple les Vert-e-s, qui récoltent déjà des signatures pour un référendum.
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En revanche, Economiesuisse, salue la décision du Conseil fédéral. «L'interdiction technologique devrait être levée et la construction de nouvelles centrales nucléaires autorisée», écrit l'organisation faîtière de l'économie dans un communiqué. Mais tous les représentants de l'économie ne sont pas d'accord avec ce positionnement. Même le secteur de l'électricité lui-même est divisé.
Alpiq en particulier – la deuxième plus grande entreprise d'électricité du pays après Axpo – ne veut pas soutenir la position d'Economiesuisse en faveur des centrales nucléaires. Le groupe, qui pèse 9 milliards de francs, va donc quitter l'association économique faîtière à la fin de l'année, comme le montrent les recherches de Blick.
Concentration sur les énergies renouvelables
Alpiq confirme son départ. L'entreprise ne souhaite toutefois pas commenter publiquement si cela est lié à la position d'Economiesuisse sur la construction de nouvelles centrales nucléaires. Une porte-parole se contente d'indiquer: «Nous souhaitons nous concentrer davantage sur la collaboration au sein des associations professionnelles.»
Lorsqu'on lui demande de quelles associations spécialisées il s'agit, le groupe écrit: «Alpiq est par exemple membre et siège au conseil d'administration d'AEE Suisse, l'association faîtière de l'économie pour les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique.»
Ce changement de priorités en dit long. AEE Suisse critique vivement le tournant du Conseil fédéral en matière de centrales nucléaires. Simon Dalhäuser, responsable de la communication, déclare à Blick: «Le débat en cours sur l'approvisionnement énergétique de la Suisse, déclenché par l'initiative 'Blackout' et le contre-projet indirect du Conseil fédéral, alimente inutilement l'incertitude dans le secteur de l'énergie et ne mène à rien.»
Simon Dalhäuser rappelle que le 9 juin 2024, les électeurs se sont prononcés à près de 70% en faveur de la sécurité d'approvisionnement avec des énergies renouvelables. La grande majorité des Suisses a ainsi confirmé une troisième fois la transformation du système énergétique, après l'acceptation de la «Stratégie énergétique 2050» en 2017 et le oui à la «Loi sur le climat» en 2023.
Les annonces de Rösti sont contreproductives, selon AEE Suisse
Le conseiller fédéral Albert Rösti et Economiesuisse avances que la situation aurait massivement changé depuis 2017 – avec pour mots clés: guerre en Ukraine et crise énergétique. Cependant, ces arguments ne convainquent pas AEE Suisse. L'association est convaincue que l'approvisionnement énergétique de la Suisse peut être assuré même sans nouvelles centrales nucléaires.
«La transformation du système énergétique est en plein essor», déclare Simon Dalhäuser. Il faut maintenant faire preuve de «leadership» pour maintenir ce changement sur les rails: «Le secteur de l'énergie, mais aussi toutes les entreprises, les investisseurs, les particuliers et les communes, ainsi que les nombreux apprentis et étudiants qui ont commencé leur formation, ont maintenant besoin de sécurité en matière de planification et d'investissement». Selon lui, le débat actuel provoque exactement le contraire.
Alpiq garde sa ligne de conduite
La direction d'Alpiq s'était exprimée presque dans les mêmes termes par le passé. «Nous ferions mieux de consacrer notre énergie à d'autres discussions plutôt qu'à des débats sur de nouvelles centrales nucléaires», a déclaré le président du conseil d'administration Johannes Teyssen en 2022 dans une interview avec la «NZZ am Sonntag».
La CEO Antje Kanngiesser a également rejeté à plusieurs reprises l'idée de nouvelles centrales nucléaires. Au printemps dernier, avant la votation sur la nouvelle loi sur l'électricité, elle a en outre déclaré lors d'une interview télévisée que l'énergie nucléaire n'était pas une source d'énergie alternative d'avenir, car dans le monde entier, «plus aucun investisseur» ne donnerait son argent pour des centrales nucléaires si les pouvoirs publics n'en assumaient pas le risque.
Au vu de ces déclarations, il est logique qu'Alpiq se détourne maintenant d'Economiesuisse. Ce qu'il faut plutôt expliquer, c'est pourquoi d'autres géants de l'énergie comme Axpo et FMB n'en font pas de même avec l'association économique. Leurs dirigeants avaient également déclaré par le passé qu'ils ne voyaient pas d'avenir dans l'énergie nucléaire.
Quels sont les objectifs d'Axpo?
Le CEO d'Axpo, Christoph Brand, a déclaré il y a quelques mois seulement que la construction de nouvelles centrales nucléaires n'était pas rentable financièrement pour les groupes électriques. «La rentabilité de nouvelles centrales nucléaires de la génération actuelle n'est pas assurée en Suisse», a-t-il déclaré dans une interview accordée à la plateforme sectorielle Energate.
Or, on apprend aujourd'hui qu'Axpo – contrairement à Alpiq – salue la levée controversée de l'interdiction technologique. Comment cela s'accorde-t-il?
L'entreprise n'y voit pourtant aucune contradiction. «La levée de l'interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires ne signifie pas que de nouvelles centrales nucléaires seraient nécessairement construites», déclare un porte-parole. Selon lui, de nombreuses questions restent en suspens. «Du point de vue de la gestion d'entreprise d'un investisseur comme Axpo, les risques financiers, réglementaires et politiques seraient trop élevés en l'état actuel des choses.»
La formulation peut être interprétée comme suit: Axpo peut envisager la construction de nouvelles centrales nucléaires – pour autant que les risques financiers qui y sont liés soient assumés par les pouvoirs publics.
Economiesuisse regrette le retrait d'Alpiq
Economiesuisse est donc convaincue que sa «position en faveur de l'ouverture technologique» est largement soutenue, tant par le secteur de l'électricité que par l'industrie. L'association regrette le départ d'Alpiq. Ses responsables soulignent toutefois qu'ils poursuivront le travail «avec Axpo et FMB» ainsi qu'avec l'industrie «à plein régime».
Alexander Keberle, responsable du dossier énergie, constate: «Nous devons plus que doubler notre production d'électricité d'ici 2050 pour que la Suisse se porte bien à long terme et que les objectifs climatiques soient réalisables». Pour cela, il faut une étroite collaboration entre le secteur de l'électricité et les consommateurs d'électricité, que l'on représente «presque tous».
Ce n'est pas la première fois qu'Economiesuisse marche sur des oeufs lorsqu'il s'agit de débattre sur l'énergie nucléaire. En 2017 déjà, lorsque les électeurs ont décidé de sortir du nucléaire, l'association a eu du mal à aborder le sujet. L'économie étant divisée, elle avait alors renoncé à donner un mot d'ordre pour la votation, ce qui lui avait valu de vives critiques.