On explique à chaque enfant qui possède un animal de compagnie qu’il est du devoir du propriétaire de ne pas le faire souffrir inutilement si son état ne présente aucune perspective d’amélioration. Et cela inclut le douloureux passage chez le vétérinaire pour faire euthanasier son animal bien-aimé afin de lui offrir une mort clémente. Un geste de compassion. Un geste humain.
Pour les humains, la «même» situation est éthiquement beaucoup plus difficile. C’est ce que montre un livre qui vient de paraître sur le thème de l’euthanasie, écrit par le journaliste Karl Lüönd. Et c’est aussi ce qui ressort des discussions qui ont lieu régulièrement en Suisse et à l’étranger lorsqu’il est question d’euthanasie, même si ces débats revêtent tous un caractère particulier en regard de cette question: pourquoi refuserait-on à des personnes majeures ce qui est considéré comme «humain» pour tout animal?
Des éthiciens comme Ruth Baumann-Hölzle, 64 ans, directrice de l’institut de la fondation Dialog Ethik, se posent une tout autre question. Si le suicide assisté en fin de vie devenait quasiment normal, les personnes qui ne souhaitent pas le faire risqueraient-elles de subir une pression de la part de la société et de leurs proches pour ne plus avoir le droit de continuer à vivre, car elles deviennent un fardeau pour tous? C’est la raison pour laquelle une personne qui souhaite un suicide assisté doit également être en mesure de prendre elle-même le médicament mortel. Et de le faire de sa propre main.
L’offre en Suisse répond à une forte demande internationale
Même s’il n’existe pas de solution universelle à ce dilemme éthique, la Suisse est unique dans sa manière d’aborder le sujet: plusieurs organisations, actuellement sept, permettent aux malades chroniques de mettre fin à leurs jours de manière responsable. La pionnière est aussi l’organisation d’euthanasie la plus connue: Exit, fondée il y a 40 ans aujourd’hui. Et comme la Suisse est unique en son genre, mais que le besoin de mourir de manière autonome est grand au niveau international, on se retrouve parfois sur une liste d’attente chez Exit. La Suisse est devenue, du moins en anglais, un synonyme de suicide. «Going the Swiss way» (partir de la manière suisse) signifie le suicide dans les pays anglo-saxons.
Bien entendu, la création d’une organisation sur un thème éthique aussi sensible que l’euthanasie ne s’est pas faite sans controverses majeures. Ces dernières se poursuivent d’ailleurs encore aujourd’hui en Suisse et, plus encore, à l’étranger. Ainsi, en 2011, des opposants ont tenté d’interdire l’euthanasie et le tourisme de la mort au moyen de deux initiatives populaires dans le canton de Zurich. Toutes deux ont été clairement balayées. Les Zurichois se sont prononcés à 78,4% et 84,5% en faveur du suicide assisté.
L’initiative personnelle et une particularité de notre Code pénal ont rendu l’euthanasie assistée possible
Si l’euthanasie est devenue possible en Suisse dès 1982, c’est d’une part grâce à l’article 115 du Code pénal. Il stipule que l’assistance au suicide n’est punie que si elle est «motivée par un mobile égoïste». Si ce n’est pas le cas, l’aidant ne peut pas être puni. Par «motifs égoïstes», on entend notamment qu’aucune raison commerciale ne doit être mise en avant par l’aidant. Cet état de fait suscite régulièrement le mécontentement, par exemple sur la question de savoir combien d’argent une organisation d’aide au suicide peut exiger. C’est pourquoi les coûts d’Exit sont expliqués de manière transparente depuis le début.
La Suisse doit la création d’Exit à l’activisme de l’ex-enseignante et retraitée Hedwig Zürcher (1905-1999), comme le décrit Karl Lüönd. Dans un article de journal, elle découvre pour la première fois les efforts déployés en Angleterre et en Écosse pour aider les personnes très âgées et gravement malades à mettre fin à leurs jours. Elle en ressort avec une conviction absolue et passe une annonce dans trois quotidiens suisses, dans laquelle elle demande aux personnes favorables à l’euthanasie de se manifester. Elle croule sous les lettres, et lors de la première réunion des intéressés, le 3 avril 1982, la salle louée est trop petite. Ce soir-là, 69 personnes s’inscrivent sur la liste. Exit était née. L’association nouvellement créée est la première à introduire les directives anticipées en Suisse. Cette offre convainc de nombreuses personnes. Quelques semaines plus tard, Exit compte déjà plus de 1000 adhérents. Un chiffre qui s’élève aujourd’hui à 130'000 membres.
«Selbstbestimmt bis zuletzt», livre spécialisé sur l’histoire de l’euthanasie en Suisse, Karl Lüönd, NZZ Libro Verlag, 315 pages, 36 francs.