2 centimes par concombre!
Les agriculteurs ne gagnent presque rien sur les légumes de saison

Dans les magasins, un concombre coûte 1,80 franc. Mais les agriculteurs ne reçoivent pratiquement rien de ce prix de vente, comme le montre une étude.
Publié: 17.10.2022 à 06:00 heures
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Dernière mise à jour: 17.10.2022 à 10:18 heures
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Lorsque les clients achètent des légumes suisses, beaucoup pensent soutenir les agriculteurs locaux.
Photo: Keystone
Camilla Alabor

Saisonnier, régional, local: Migros et Coop aiment faire de la publicité pour les légumes frais suisses. Lorsque les clients achètent des produits locaux, ils pensent soutenir les agriculteurs de la région.

Mais une étude de la Fédération romande des consommateurs, qui passe au crible la politique des prix de la Coop et de la Migros, dresse un tableau bien différent. Elle montre que pour les légumes, seule la plus petite partie du prix de vente revient aux agriculteurs locaux.

Seulement 2 centimes gagnés par concombre

Sur un concombre qui coûte en moyenne 1,80 franc dans les magasins, un agriculteur suisse gagne tout juste quelques centimes après déduction de tous les frais. En 2021, il lui restait en moyenne 13 centimes. Et en 2022, ce n'est plus que 2 centimes en raison de l'augmentation des prix du carburant et des engrais!

C'est très peu d'argent. Surtout si l'on considère que sans les agriculteurs, il n'y aurait pas de concombres à acheter. Les auteurs de l'étude pensent que cette injustice perdure à cause des marges élevées de la Migros et de Coop. «Il n'est pas possible que les agriculteurs prennent tous les risques, mais qu'ils ne gagnent presque rien sur leurs produits», commente Sophie Michaud Gigon, conseillère nationale des Verts et directrice de la Fédération romande des consommateurs.

Cette politicienne vaudoise renvoie aux résultats de l'étude selon lesquels les coûts de production d'un concombre qui coûte 1,80 franc à Migros s'élèvent à 96 centimes. Les coûts intermédiaires, comme le transport, s'élèvent à 28 centimes; le revenu net de l'agriculteur est donc bien de 2 centimes. Les 54 centimes qui restent? Ils devraient revenir au géant orange.

Mais la marge sur ces 54 centimes n'est pas claire. Migros doit également faire face à des coûts, tels que les salaires du personnel de vente. Le détaillant n'a pas fourni d'informations à ce sujet aux auteurs de l'étude.

Marges des supermarchés pourtant modestes

Interrogé par Blick, le géant orange est resté muet sur ce sujet. «Comme toute autre entreprise, nous ne communiquons pas les marges sur les différents articles», répond un porte-parole. Le détaillant ajoute toutefois une remarque: «Nous ne pourrions pas nous permettre des marges exagérément élevées au vu de la situation de concurrence acharnée dans le commerce de détail.» La marge bénéficiaire de Migros, d'environ 2%, serait modeste. De plus, elle entretiendrait des «relations de partenariat» avec les agriculteurs.

Coop répond de la même manière. En tant que coopérative, elle réalise un bénéfice de 1,8 centime par franc de chiffre d'affaires, indique l'entreprise. C'est peu par rapport aux entreprises à but lucratif. Et d'ajouter: «En raison de la forte concurrence, on ne donne en principe pas d'informations sur les marges des différents produits.» Les fournisseurs de Coop reçoivent un «prix équitable et conforme au marché».

Une chose est sûre: grâce à leur pouvoir sur le marché, les grands distributeurs sont assis sur la plus grande marge de manœuvre. «La plupart des exploitations leur vendent 80 à 90% de leurs salades, tomates et concombres», explique le maraîcher Urs F., qui souhaite rester anonyme par crainte de représailles. Le «partenariat» que Migros et Coop prétendent entretenir avec les producteurs locaux est, selon Urs F., une «pure façade».

Un exemple: lorsque Urs F. a cherché à s'entretenir avec le représentant de la filiale locale de Coop en raison de l'explosion des coûts du carburant et des engrais, afin de discuter d'une adaptation des prix, il s'est carrément fait rembarrer. «Leur réponse a été brève: 'Si vous avez des coûts plus élevés, ce n'est pas notre problème'», déplore-t-il.

Légumes de saison suisses plus chers que les produits importés

L'étude contient une autre conclusion surprenante: les clients paient des prix plus élevés pour les légumes de saison suisses que pour les produits importés. Cela s'explique notamment par la protection douanière.

Lorsque les tomates sont de saison en Suisse, les tomates étrangères ne peuvent être importées que de manière limitée. Cela permet aux agriculteurs suisses de demander des prix plus élevés pendant cette période. Ils compensent ainsi le faible revenu qu'ils perçoivent le reste de l'année.

Mais une autre partie des prix plus élevés, selon la conclusion des auteurs de l'étude, s'explique par les marges excessives de Migros et Coop. Les entreprises profitent de la volonté des consommateurs d'acheter des légumes indigènes - et appliquent des marges plus grandes sur les prix. Les détaillants ne veulent pas non plus s'exprimer en détail sur ce point.

Un manque de transparence à améliorer

La protectrice des consommateurs Sophie Michaud Gigon le déplore et critique le manque de transparence qui règne. «Les perdants de la situation actuelle sont les agriculteurs et les consommateurs», assène-t-elle. La politicienne vaudoise demande à la Confédération d'instaurer la transparence autour de la politique des prix et des marges des détaillants. Elle se réfère à la France, où les paysans ont imposé il y a des années déjà une surveillance du marché par l'Etat.

La Verte n'est pas seule à critiquer ces pratiques. La commission de l'économie du Conseil des Etats s'est penchée cette semaine sur les conséquences négatives de la concentration du marché dans le commerce de détail et demande au Conseil fédéral un rapport à ce sujet. L'objectif doit être d'augmenter «la transparence dans la prise de décision pour les prix».

C'est bien ce que demandent les défenseurs des consommateurs. Le maraîcher Urs F. s'en réjouit également. Il est cependant sceptique quant à la capacité des détaillants à fournir des informations sur leurs marges. Mais il conclut: «N'importe quelle alternative serait mieux que ce que nous avons aujourd'hui.»

(Adaptation par Lliana Doudot)

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