Pierre Paganini, le confident
«En juillet, Roger s'est rendu compte que ça n'allait pas le faire»

Pierre Paganini est bien davantage qu'un préparateur physique: il a suivi Roger Federer partout durant 22 ans. Dans une interview accordée à Blick, il évoque le corps, le cœur et l'âme de l'icône du tennis, dont il a été un confident pendant toutes ces années.
Publié: 19.09.2022 à 10:24 heures
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Dernière mise à jour: 19.09.2022 à 11:23 heures
Ils ont travaillé ensemble pendant des décennies : Federer et Paganini (à g.) en 2003 lors d'un entraînement à Allschwil.
Emanuel Gisi

Pierre Paganini, quand avez-vous pressenti que Roger Federer ne reviendrait pas sur le circuit?
Parmi son cercle restreint, après toutes ces années, on sait comment Roger réfléchit. Cette annonce n'arrive pas par hasard comme ça un beau jour de septembre.

C'est-à-dire?
En juillet, Roger a commencé à combiner les différents éléments de l'entraînement en vue d'un retour. Il a remarqué qu'il lui fallait fournir des efforts très importants, même pour une intensité relativement faible.

La retraite était-elle la seule issue?
Ce n'est pas à moi de juger. J'ai été l'un de ses entraîneurs pendant 22 ans, ce fut un privilège incroyable. Je peux m'estimer heureux d'avoir travaillé avec cet athlète et homme exceptionnel. Mais si vous me demandez mon avis, je pense que c'est une décision intelligente. Il ne s'agit pas seulement du genou.

Après tout, il a déjà 41 ans...
Roger a joué énormément de matches au cours de sa carrière et son corps a été extrêmement sollicité. Ces dernières années, il a dû fournir un effort incroyable pour être présent au niveau mondial. Imaginez le nombre d'entraînements effectués jusqu'à cet âge de 41 ans! Pour moi, c'est un miracle de l'avoir vu à ce niveau ces cinq dernières années.

Il y a quelques mois, Federer avait déjà évoqué le fait qu'il ne s'agissait pas seulement de son retour sur le circuit, mais aussi de pouvoir vivre les prochaines décennies en bonne santé...
C'est la raison pour laquelle je trouve cette décision si sage. Tu peux te retirer du circuit ATP, mais tu veux peut-être quand même continuer à vivre ta passion pour le tennis. Le retrait de Roger est aussi un soulagement pour moi. Nous ne voulions pas qu'il se blesse à nouveau et que cela lui laisse des problèmes physiques dans sa vie de tous les jours. Dans le sport de haut niveau, il faut aller jusqu'au bout de ses limites à l'entraînement, mais aussi savoir décider quand c'est trop.

Comment s'est déroulé l'échange au cours des derniers mois? Vous a-t-il aussi demandé conseil à vous ou aux autres entraîneurs?
Il ne faut pas s'imaginer une grande réunion où l'on parle de la santé de Roger. La décision d'arrêter est très personnelle pour un joueur de tennis. Nous, les entraîneurs, sommes des accompagnants. Certes, nous avions des discussions quotidiennes, nous lui donnions des feedbacks... Mais à un moment donné, c'était à lui de prendre cette décision.

Pierre Paganini et Severin Lüthi ont été des proches et amis de Federer.
Photo: Blick Sport

Qu'avez-vous ressenti lorsque la retraite a été évoquée?
C'était un moment très émotionnel. Nous en discutions calmement, mais nous sentions que chaque instant était incroyablement émotionnel. C'est une décision qu'un joueur, par définition, ne prend pas dix fois dans sa vie, mais une seule. C'est là que les émotions entrent en jeu et que l'on se rappelle que derrière le joueur de tennis se cache un être humain. Roger a les émotions à fleur de peau et il peut les afficher. C'est beau.

Ces émotions, il les montrait aussi sur le court...
C'est l'une de ses forces: Federer a toujours été en tant que joueur ce qu'il est en tant qu'être humain. Chez lui, ce n'est pas le joueur qui joue — c'est l'être humain. On le ressentait à chaque entraînement.

Au cours de sa carrière, Roger Federer n'a cessé de repousser les limites.
Il a toujours joué comme si les limites n'existaient pas. Mais au fond de lui, il avait toujours ses limites à l'esprit. Je pense qu'il savait qu'il se rapprochait de plus en plus de cette limite.

Mais tout avait l'air si facile...
C'est d'autant plus fou quand on sait l'effort que cela représentait à l'entraînement. Il m'arrivait d'arriver à l'entraînement et de rester bouche bée devant l'énergie qu'il y consacrait.

Comment Federer a-t-il changé au cours des dernières années?
J'ai le privilège de le connaître depuis qu'il a 14 ans. Bien sûr, il a gagné en maturité depuis, mais l'homme est toujours le même. Il a toujours eu les mêmes qualités de cœur.

Que reste-t-il de votre collaboration?
L'amitié. Quand un homme comme Roger t'accorde sa confiance, c'est le plus grand privilège que tu puisses avoir. Cela s'est développé petit à petit au cours des 22 années que nous avons passées ensemble. Je me réjouis de notre amitié après sa carrière.

Le duo à l'entraînement, en 2003.
Photo: Keystone

Quelle est la plus grande qualité de Federer en dehors du court?
Sa spontanéité. Un type comme lui, tu ne le rencontres qu'une seule fois. Tu peux mettre devant lui n'importe quel individu sur cette planète, Federer s'intéressera sincèrement à lui et fera en sorte qu'il se sente bien. Il est honnête et curieux. Roger est toujours sincère à 100%.

Que lui souhaitez-vous maintenant?
Je pense que sa deuxième moitié de vie sera au moins aussi belle que la première. C'est une personne qui a encore beaucoup à dire. Je me réjouis de son avenir. Il va montrer ce qu'il a dans le ventre.

Qu'est-ce qu'il a dans le ventre?
Il est intelligent. Il sait écouter. Il a une qualité incroyable, celle d'être autocritique. C'est une force énorme: être à la fois convaincu de soi en tant qu'être humain mais rester objectif dans son autocritique. Mais il y a encore une chose...

Oui?
Dans ces moments d'émotion, je pense à sa famille. A ses parents Robert et Lynette et à sa femme Mirka. Sans eux, Roger ne serait pas là où il est aujourd'hui. Quand je vois à quel point il est naturel, je me dis parfois: avec les parents qu'il a, c'est en quelque sorte logique.

Permettez-nous de vous poser une dernière question sportive: pensez-vous qu'il pourra jouer à la Laver Cup?
Il le décidera probablement au dernier moment. Il s'est entraîné de manière à avoir le maximum d'informations possibles, à savoir si c'est une bonne idée ou non. Je suis impatient de connaître sa décision.

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