De nos jours, lorsque son nom est évoqué, c'est souvent dans un contexte particulier. Un braqueur de banque est recherché. Lors du braquage, il portait une casquette Roger Staub (ndlr: un vêtement faisant à la fois office de casquette et de cagoule connu sous ce nom en Suisse alémanique). C'est notamment ce qu'on peut lire dans certains rapports de police. Mais l'héritage de Roger Staub n'est pas réductible à un simple couvre-chef. Il a été champion suisse de hockey sur glace et de ski nautique, il a été champion olympique de ski, il a inventé le stop ski, et il était apprécié de tous. Mais le 30 juin 1974, il y a 50 ans, sa vie s'est soudainement arrêtée, alors qu'il n'avait que 38 ans.
Pour en apprendre plus sur sa vie extraordinaire, il faut s'adresser à Lilo Staub, la veuve de Roger. Elle aussi a été une star, notamment dans les années 60, lorsqu'elle travaillait à la télévision alémanique en tant que présentatrice TV. À l'époque, les animatrices étaient considérées comme les chouchous de la nation au point qu'elles ont compté parmi les premières célébrités féminines du pays.
Aujourd'hui, Lilo Staub a 84 ans. Dans un entretien pour Blick, elle raconte comment elle est tombée amoureuse de Roger à l'époque. «Je l'ai rencontré au printemps 1966 lors d'une fête à l'hôtel Kindli, à Zurich. Nous sommes ensuite restés en contact, et en septembre de la même année, nous sommes partis ensemble en vacances à Acapulco. C'est là qu'il m'a demandé, un peu de nulle part, si je voulais devenir sa femme, et tout à coup, j'étais mariée.»
«Tout le monde a toujours parlé de lui avec enthousiasme»
Roger Staub était déjà à l'époque un personnage haut en couleur. Dans les années 50, le Grison a été deux fois sacré champion suisse de hockey sur glace avec le EHC Arosa. Mais à 19 ans, il s'est réorienté vers le ski. Un plan qui a fonctionné à merveille, puisqu'il a remporté trois médailles aux Championnats du monde de Bad Gastein, en Autriche, en 1958, puis l'or en slalom géant aux Jeux olympiques de Squaw Valley en 1960. Il a mis fin à sa carrière l'année suivante et a ensuite dirigé une école de ski dans la station américaine de Vail, dans le Colorado, où une piste de ski – le «Roger's Run» – et un parc – le «Roger Staub Park» – ont d'ailleurs été inaugurés en sa mémoire après sa mort.
«Roger connaissait des gens dans toutes les villes du monde, raconte Lilo Staub. Il était ami avec la légende du tennis Rod Laver, il skiait souvent avec le Shah d'Iran, nous étions invités par les Kennedy à la Saint-Sylvestre, et lorsque nous étions à Las Vegas, nous avions la suite de Frank Sinatra à l'hôtel, car Roger le connaissait aussi. Tout le monde ne tarissait pas d'éloges à son égard.» Mais en même temps, il n'était pas quelqu'un qui se vantait de ses contacts. «Il n'a jamais été prétentieux et il était toujours aimable. Je ne connais personne qui ne l'aimait pas.»
Lilo a vécu beaucoup de choses aux côtés de Roger. Elle était avec lui lorsqu'il a organisé un camp d'entraînement de ski au Mont Hood, dans l'Oregon, aux Etats-Unis, et qu'ils ont séjourné – accompagnés de la femme du président américain de l'époque Lyndon B. Johnson – dans le légendaire Timberline Lodge, qui est devenu plus tard mondialement célèbre grâce au film «Shining». Et elle a pu constater à quel point son mari était célèbre lorsqu'il a pu un jour voyager en avion de Zurich à Munich sans le moindre problème alors qu'il avait oublié son passeport, tout simplement parce que tout le monde le connaissait et qu'il savait jouer de ses charmes.
Lilo Staub se remémore le bon vieux temps en riant. «Mais je n'ai appris beaucoup de choses qu'après sa mort, parce qu'il était plutôt introverti et qu'il ne voulait pas se vanter de ses histoires. Et c'était apparemment un sportif fair-play. Aux Jeux olympiques de 1960, il aurait même donné un conseil important à un Français avant son départ, ce qui aurait permis à son concurrent de remporter l'or. On a pu constater plus tard, lors de ses funérailles, à quel point il était apprécié de tous. Tout le monde est venu, même les Autrichiens.»
«J'ai toujours eu un mauvais pressentiment»
En 1969, leur fils Yuri est né. Et tout allait pour le mieux. Jusqu'à ce jour fatidique de l'été 1974: «Roger était un passionné de deltaplanes. J'avais toujours eu un mauvais pressentiment. C'était peut-être de l'intuition», se souvient Lilo Staub.
Le 30 juin, ce que Lilo avait toujours craint en secret a fini par se produire. Lors d'un test d'un nouveau modèle à Verbier (VS), Roger a fait une chute de 150 mètres et il s'est brisé la nuque. Un témoin oculaire s'était alors confié à Blick: «Soudain, le deltaplane s'est mis en position dangereusement inclinée. J'ai vu Roger se débattre de toutes ses forces, ramer avec ses jambes pour retrouver une position de vol normale. Mais en vain…»
Aujourd'hui encore, Lilo Staub peine à évoquer ce jour tragique. «J'étais à Zurich et notre enfant jouait chez les voisins. Ils regardaient le journal télévisé l'après-midi et c'est comme ça qu'ils ont appris que Roger était mort. Quand ils me l'ont annoncé, j'ai eu du mal à le croire, car Roger avait toujours été un aventurier, mais il ne s'était jamais rien cassé.»
Les jours qui ont suivi été terribles pour Lilo. Les obsèques, qui se sont tenues à Zurich, ont pris des allures de funérailles nationales. Blick avait d'ailleurs rendu compte de cette sombre journée: «Lilo Staub était à bout de forces lorsqu'elle a quitté l'église de la Fraumünster après à peine une heure. Les heures et les jours passés ont lourdement marqué le visage de la jeune veuve.» Aujourd'hui, l'octogénaire déclare à ce sujet: «J'étais encore sous le choc à l'époque et je n'ai presque rien retenu.»
Aujourd'hui, l'urne contenant les cendres de Roger Staub se trouve chez son fils. «Yuri m'a dit un jour qu'il voulait l'avoir avec lui», explique-t-elle.
Et le bonnet alors? «Il ne l'a pas inventé»
Mais il reste tout de même une question à résoudre: comment se fait-il qu'un pardessus porte le nom de la légende du ski? «La fable selon laquelle il l'aurait inventée n'est pas vraie», assure Lilo. «Un professeur lui a un jour offert une vieille casquette de l'armée comme porte-bonheur. Et il a tout de suite gagné une course avec. Il a alors fait fabriquer et distribuer ces bonnets que l'on pouvait rabattre sur le visage et qui ne laissaient alors qu'une fente pour les yeux.»
Voilà pourquoi le mythe de Roger Staub et de son bonnet perdure encore aujourd'hui. Merci aux brigands.