Sébastien Beaulieu a eu chaud
Un puck a failli coûter un œil au coach des gardiens genevois

Le 15 décembre dernier, Sébastien Beaulieu a reçu un puck au visage qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques. Le coach des gardiens de Genève est de retour pour ces play-off, même s'il ne sait toujours pas s'il reverra à 100% un jour.
Publié: 29.03.2023 à 17:07 heures
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Dernière mise à jour: 29.03.2023 à 17:22 heures
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Sébastien Beaulieu (à dr.) est de retour aux affaires après un grave accident.
Photo: GSHC
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Grégory BeaudJournaliste Blick

Cela fait une quinzaine d’années que Sébastien Beaulieu, 47 ans, arpente les couloirs des Vernets. Personnage bien connu du Genève-Servette, le Québécois est l’entraîneur spécifique des gardiens de l’organisation. Il est également le fondateur de «BKP Hockey», une structure destinée aux entraînements des portiers.

Durant toutes ces années, Sébastien Beaulieu a vu passer des milliers de pucks. Mais le 15 décembre dernier, il a bien cru que sa vie avait basculé pour de bon. Durant plus d’une demi-heure, il a accepté de raconter son histoire pour Blick. Récit touchant de celui qui est de retour depuis un mois avec Genève-Servette. À compter de ce jeudi, il sera en tribunes pour aider son équipe lors des demi-finales à Zoug.

L’accident et l’opération

«En dix minutes, j’ai dû me préparer pour une opération potentiellement compliquée. J’étais juste venu à l’hôpital pour un contrôle afin de voir si tout était OK avec mon œil et tout à coup je me suis retrouvé en chemise de nuit prêt à être endormi pour une opération très compliquée. Ce sont vraiment des moments dans la vie qui te font relativiser beaucoup de choses

Mais revenons quelques heures en arrière. C’était un entraînement de gardiens totalement normal. Deux cages dans la même zone de la glace et deux portiers qui s’entraînent. Je travaillais d’un côté et le gardien situé sur l’autre but a effectué un arrêt. Le puck est venu très fort dans ma direction. J’avais déjà reçu une rondelle sur la tête, mais rien de comparable avec ce shoot. Cela m’a fait comme si j’avais pris un coup de poing.

Je me suis retrouvé au sol et je pensais que la joue ou les dents étaient touchées. Par terre, j’ai essayé d’ouvrir l’œil, mais je ne pouvais pas. Il y a tout de suite eu beaucoup de sang. Mon arcade était coupée et la joue cassée. À cet instant, je ne m’inquiétais pas de ma vue. L’œil était tellement giflé que c’était finalement assez logique de ne rien voir. Je me suis rendu aux urgences où ils ont fait une erreur. J’ai été recousu et je pensais que tout était bon. Eux aussi et ils m’ont laissé sortir. Je ne leur en veux pas, mais cela aurait pu avoir des conséquences.

Photo: keystone-sda.ch

J’ai ensuite eu un rendez-vous aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) pour contrôler mon œil. Je me suis baladé trois heures en ville avant de voir l’ophtalmologue. J’étais venu contrôler la cornée. Mais à 18h15, tout a basculé. J’ai perçu deux ou trois paroles des médecins qui m’ont inquiété. Je me souviendrai toute ma vie du message qui m'a été transmis: «La situation est grave Mr. Beaulieu. Votre œil est percé. Ce n’est vraiment pas bon signe. Il y a de très fortes chances que l’on doive vous l’enlever ce soir.» Là, je me suis pris un premier coup de massue.

Mais il y a eu pire juste après. «Vous devez aussi comprendre que la situation est très grave et que c’est une opération risquée.» Visiblement, il y avait une vraie chance que cela se passe mal. En un quart d’heure, j’ai reçu toutes ces informations et je me suis sincèrement demandé si tout n’allait pas s’arrêter ce 15 décembre. Il y avait un haut risque hémorragique, mais ça, je ne l’ai appris que plus tard.

C’est une situation particulièrement violente à vivre. J’étais entouré d’un ami et de mon ex-femme et en quelques minutes, j’ai dû partir au bloc. J’ai vécu un moment très intense ce jour-là. Je vais m’en souvenir très longtemps.

L’opération a duré six heures. Lorsqu’ils ont ouvert, c’était le pire scénario possible. Il s’agissait de reconstruire la capsule de l’œil, mais c’était percé et très dur d’accès. La cheffe de clinique, Gunda Kann, a réussi un petit miracle et je suis impressionné par ce qu’elle a fait pour moi. Apparemment, elle a réussi l’opération de sa vie, tellement c’était compliqué. Je suis content que ce soit avec moi qu’elle ait fait ça.

À ce stade de mon récit, je voulais également m’arrêter deux secondes pour vous faire part d’une réflexion que je me suis faite en pensant à l’importance que cette dame a eue dans ma vie. La plus grande philosophie qui me reste de cette aventure, c’est que des gens ont des boulots autrement plus importants que le mien. Bien sûr, les médias et le public font que le hockey est souvent mis en lumière. Mais les médecins qui m’ont pris en charge ont une importance folle pour moi et je voulais leur rendre hommage.»

La convalescence

«Au moment où je suis revenu dans ma chambre et que je me suis réveillé, je ne savais toujours pas si j’avais encore mon œil. J’ai demandé à la première infirmière qui est venue me mettre des gouttes. Quand elle m’a dit oui, c’était une bonne nouvelle. Mais j’ai ensuite dû rester trois semaines et demie à l’hôpital. Le jour suivant l’opération, j’ai dû prendre une décision entre réopérer très vite la rétine avec les risques que cela comporte et attendre une semaine, mais perdre la vision d’un œil.

En suivant les conseils des médecins dont la cheffe du service ophtalmologique, la Professeure Gabriele Thumann, nous avons décidé de repartir au bloc. Ce second passage en salle a été plus rapide que prévu (3 heures au lieu de 6), car les dommages étaient moins graves que prévu.

La suite a été une longue attente particulièrement frustrante. Mais par contre je suis devenu un vrai spécialiste ophtalmique. Je devais rester le plus tranquille possible pour éviter que la pression dans l’œil n’augmente. Je me sentais bien, mais devais éviter de faire quoi que ce soit. J’étais obligé de rester en position assise ou semi-assise. Cette phase devait durer jusqu’à fin février. Comme je me sentais bien, c’était frustrant.

Mais finalement, la guérison a été ultrarapide. Je suis finalement sorti de l’hôpital début janvier et ai même pu retourner à un match de Genève-Servette comme touriste le 20 janvier. Je savais, ce jour-là, que j’aurais une troisième et dernière opération dans un an qui m’aiderait à retrouver mes capacités.»

Le retour à une vie active

«Mais il ne faut pas croire que c’était terminé avec la sortie de l’hôpital. Cela ne l’est toujours pas, d’ailleurs. J’avais une capsule pour protéger l’œil. Les premières mesures de vue ont montré que je n'avais plus que 10% de mes capacités. Je ne voyais que les premières lettres sur le tableau de l'ophtalmologue. Et pourtant, elles doivent bien faire 30 centimètres de haut. Pour me guérir, je dois mettre du silicone ce qui floute beaucoup ma vision.

Quand tu perds un œil, tu es suspendu de permis durant trois mois. Mais comme ce n’était pas mon cas, je n'étais pas concerné. En théorie, j’étais censé être apte à prendre ma voiture. C'était inconcevable. En sortant de chez moi, il y a le trottoir, la route et le tram. J’étais obligé de faire trois fois les contrôles de sécurité pour être sûr que la voie était libre. Ce qui arrive, lorsque tu perds la vue d’un côté, c’est que ton cerveau compense. Il ignore l’œil droit et met toute son énergie sur le gauche. Cela s’appelle la vision unioculaire.

Et durant le mois de janvier, j’étais terriblement frustré, car j’avais perdu mon esprit d’analyse. J’avais le sentiment d’avoir 80 ans. Quand je regardais un match, j’avais l’impression de ne plus être capable de comprendre tout ce qui se passait. À cet instant, je pensais que j’allais devoir vivre un an comme ça avant l’opération qui devait me permettre de remettre le cristallin que j’avais perdu.»

Les lentilles providentielles

«Alors que j’étais dans cette phase difficile à vivre, j’ai pu porter des lunettes et des lentilles avec une correction de +12. Pour les personnes qui ne connaissent pas ce que cela représente, c’est une très très grande correction. Cela m’a permis de monter ma vision à 60% contre 20 à 30% sans cet accessoire. Cela m’a changé la vie. Lorsque je suis sorti de l’hôpital, j’ai tout de suite rappelé le médecin pour lui dire à quel point la différence était impressionnante.

Cela fait désormais un bon mois que je suis capable de travailler à 100%. Je suis de retour dans les tribunes lors des matches. Mais ce n’est pas facile, car c’est une blessure qui ne se voit pas. Cela fait depuis le 20 janvier que j’ai la même tête et si l'on ne sait pas ce qui est arrivé, on ne voit rien. Et dans le monde du hockey, tu te sens vite inutile. J’ai dû retrouver ma place. Je me suis rapidement fixé deux objectifs: être capable d’aider l’équipe en play-off et pouvoir me rendre au prochain championnat du monde avec la France.

Durant mon absence, c’est Mathieu Fernandes, que j’avais formé, qui m’a remplacé. Il était parti aux Etats-Unis et est revenu en Suisse peu avant mon accident. Avec lui, je savais que l’équipe était entre de bonnes mains et cela m'a permis de déconnecter. Désormais, il fait tous les entraînements d’équipe. Moi, je suis revenu sur la glace également, mais j’ai aussi pris plus de recul et mon rapport au sport est devenu plus cérébral. Je me suis beaucoup intéressé à l’aspect psychologique, analytique et tactique. Ce sont des domaines qui m’ont toujours passionné, mais je m'y intéressais en plus de tout le reste, en surmenant mon corps.»

Une nouvelle philosophie de vie

«Ces trois semaines à l’hôpital durant lesquelles je ne pouvais rien faire m’ont permis de beaucoup réfléchir. Je l’ai pris comme une maladie et un coup d’arrêt. C’est un signal que la vie m’a envoyé. Je ne suis pas très croyant, mais cela m’a fait changer des choses. Quand tu as peur de tout perdre, cela te fait forcément philosopher et cela modifie ton rapport à la vie. J’ai eu une grosse coupure durant laquelle j’ai déconnecté. Je n’avais plus envie de regarder les matches. En un sens, je me suis reconnecté à la vie. Je n’avais pas le droit d’être seul avec mon fils durant les premières semaines après mon hospitalisation. Et comme je suis séparé, mes parents sont venus du Canada pour me permettre de passer du temps avec.

Ce milieu du hockey sur glace est un engrenage. Cela fait 15 ans que je l’ai vécu à fond. Je pense désormais être davantage capable d’identifier ce qui est important et ce qui ne l’est pas. J’en ai profité pour faire le ménage autour de moi. J’arrête de courir partout et je me concentre sur ce qui est important afin de profiter davantage de la vie. Bon... cela ne veut pas dire que je suis en vacances pour autant.

Photo: keystone-sda.ch

Quand je repense à tout ce qui est arrivé depuis l’accident, je me suis dit que tout a finalement été terriblement vite. Ce coup d’arrêt a également été pour moi un moyen de prendre du recul. Ce que je pense et ce que je dis, depuis, a largement plus d’importance et de poids. Aujourd’hui, même si je ne suis pas encore capable de travailler à 100%, je suis à fond avec Genève-Servette pour ces play-off. Cela fait depuis la mi-février que je suis de retour aux affaires et je me réjouis de vivre la suite de cette saison avec mon équipe.

Je suis heureux d’avoir eu la chance d’inviter à un match toute l’équipe médicale qui s’est occupée de moi. Et je tiens aussi à remercier mes proches, le club, les joueurs et mes collègues pour leur soutien.

Finalement, je prends cette mésaventure comme une histoire qui s’est bien terminée. Et je sais que j’ai été chanceux.»

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