Et si c'était lui, le meilleur joueur du Servette FC cette saison? Il n'est pas le seul à briguer ce titre honorifique à la trêve, bien sûr, mais Steve Rouiller, à 33 ans, s'est affirmé comme l'un des meilleurs défenseurs centraux de Super League. Toujours irréprochable dans l'attitude, le Valaisan se sert de son vécu pour briller au sein de l'arrière-garde servettienne, lui qui assume complètement son parcours fait de hauts et de bas et le considère même comme une force et une chance, avec le recul.
StevInterview en profondeur à la veille d'affronter Winterthour pour entamer une année 2024 qu'il espère autant inoubliable que 2023, sur le plan personnel comme collectif.
Vivre ses plus belles émotions footballistiques en deuxième partie de carrière te permet-il de les apprécier encore plus, d'avoir plus de recul?
Ma carrière est ainsi faite, un peu spéciale, avec des hauts et des bas, c'est vrai. J'ai commencé tard en pro et c'est vrai que toutes les belles choses, ou presque, arrivent ici et maintenant à Genève, à passé 30 ans.
Quand tu signes à Servette, en Challenge League, tu t'imaginais vivre ces émotions?
Te dire que j'avais tout prévu, non, mais que j'étais confiant dans le projet, oui. Et j'ai eu raison: on a réussi à relever le challenge et à franchir toutes les étapes jusqu'à vivre maintenant la Coupe d'Europe, ici à Genève. C'est extraordinaire de voir les gens heureux, presque redécouvrir leur club ou le découvrir pour les plus jeunes. On voit des gens avec le maillot en ville, on sent la fierté. Le vivre de l'intérieur, se dire qu'on y a contribué, c'est gratifiant.
Tu arrives à profiter vraiment de l'instant? Ou le tourbillon des matches est trop prenant, la pression trop forte? Tu arrives à te dire que tu étais en 1re ligue et qu'aujourd'hui tu mets une semelle à Lukaku?
Je ne sais pas si j'arrive véritablement l'analyser pleinement, mais c'est clair que c'est une différence énorme avec ce que j'ai vécu à l'époque. Ce qui est sûr, c'est qu'à mon âge, j'essaie de profiter au maximum de chaque instant. Ces matches de Coupe d'Europe, c'est inoubliable, c'est tout ce dont je rêvais quand j'étais petit, donc j'essaie de profiter au maximum, tout en restant performant sur le terrain. Affronter des attaquants comme Romelu Lukaku, Paulo Dybala aussi... C'est un rêve qui devient réalité et surtout voir qu'on peut rivaliser avec ce genre d'équipes et de joueurs, c'est encore plus impressionnant et une grande fierté personnelle et collective, oui.
Le gamin qui rêvait d'être footballeur pro, il existe encore aujourd'hui? Tu as le temps de penser à lui?
Oui, bien sûr. Je sais d'où je viens. J'ai mes premiers souvenirs du foot bien en tête...
C'était quoi, du coup?
Mon tout premier souvenir, c'est la Coupe du monde 1998 en France, avec Ronaldo, le Brésilien. Dès que je l'ai vu jouer, il m'a donné envie de commencer le foot... et d'être attaquant, comme lui! J'étais impressionné par lui et fan de ce qu'il a fait, de sa carrière. Donc voilà, oui, ce gamin-là, je repense quelques fois à lui, c'est normal. Je viens d'un petit village, Troistorrents, et j'ai joué en Coupe d'Europe avec Servette. C'était quelque chose d'imaginable quand j'étais jeune. Et pour moi, c'est la plus belle des récompenses, et j'espère pouvoir vivre encore plein de belles choses avec ce club. Je ne sais pas si je réalise encore pleinement, mais je suis vraiment très heureux de mon parcours.
Tu as joué attaquant jusqu'à quel âge?
Depuis le début, jusqu'à presque 20 ans. Et du jour au lendemain je me suis retrouvé défenseur central.
Qui est le coach qui a eu cette bonne idée?
Christian Zermatten, à Sion M21. C'était un changement radical, mais je n'ai plus bougé depuis ce jour! Je pense que mes années d'attaquant me servent beaucoup aujourd'hui. J'arrive à anticiper les mouvements des adversaires, vu que je les ai fait plus jeunes... C'est clairement un atout supplémentaire dans mon jeu.
Tu étais un pur avant-centre ou tu jouais un peu à tous les postes offensifs?
J'étais le vrai numéro 9, le renard des surfaces, le finisseur! Je n'étais pas le plus grand dribbleur, ni l'attaquant le plus rapide, mais j'étais assez efficace.
Ta meilleure saison, tu as mis combien de buts?
Oh, ça je ne sais plus, il faudrait demander à mon père! A Troistorrents je marquais pas mal, à Monthey aussi. A Sion, la marche était un peu plus haute, c'était différent. Après j'ai joué numéro 10, numéro 6 aussi, jusqu'au jour où, comme je t'ai dit, je suis passé derrière d'un coup. Toutes ces petites expériences ont fait que je suis un joueur avec ce vécu-là et que cela m'aide maintenant.
Où s'est située précisément la différence entre toi, qui a réussi une carrière pro, et les autres?
Je n'étais clairement pas le plus talentueux. Je n'ai jamais fait de sélection suisse par exemple, même si j'étais en sélection valaisanne. Mais même là, je n'étais pas celui qui sortait du lot. Pour tout te dire, un gars comme Florian Berisha, on pensait tous que ce serait lui qui aurait la meilleure carrière. Tous les regards étaient tournés vers lui, c'était le meilleur joueur de notre génération. Et après, les parcours de vie font que tu réussis ou non... Quand tu es jeune, tu es sûr que ce sont les meilleurs qui vont tout casser, mais la réalité te montre qu'au final, ceux que tu attends peut-être le moins arrivent à faire une bonne petite carrière...
Mais justement, où as-tu fait la différence? Tu arrives l'identifier précisément?
C'est clairement et principalement le fait de n'avoir rien lâché. Ma force, c'est d'avoir toujours cru eu moi. Et petit à petit, avec l'expérience, j'ai compris que j'avais des atouts pour espérer jouer à haut niveau. Cela s'est fait progressivement et aujourd'hui, avec l'âge et la maturité, je me sens bien dans ma tête et dans mon corps. Mais pour répondre précisément à ta question, ce qui m'a fait réussir, c'est la persévérance.
Et ta capacité à digérer les échecs aussi. Il y a tellement d'histoires de jeunes talentueux qui disparaissent...
Bien sûr, c'est justement ce que je te dis. Ce n'est pas simple crois-moi, de te faire éjecter du FC Sion à 20 ou 21 ans, de devoir te dire: «Je retourne à Monthey» et d'être persuadé, au fond de toi, que ce n'est pas fini... J'avais toujours ce petit espoir de prouver au football suisse que j'avais une place à ce niveau-là, mais ce n'est pas facile tous les jours de t'en persuader et de t'imaginer un avenir en pro. Mais je me suis accroché et sans doute qu'au fond de moi j'ai toujours réussi à bien travailler et à y croire. Et au final, un coup de fil un soir et c'était reparti. J'ai refait les tests à Sion et j'ai signé mon premier contrat pro à 24 ans. Ma carrière a vraiment débuté là.
Mais il y a eu un nouveau coup d'arrêt...
J'avais fait six matches de championnat, deux en Coupe de Suisse et arrive Didier Tholot. Il est honnête, il me dit qu'il ne compte pas sur moi. La seule solution que j'ai à ce moment-là, c'est Chiasso.
Dur...
Je ne vais pas te cacher que je n'étais pas super chaud au départ. Déjà parce que Sion, c'était là où je voulais réussir. Mais voilà, je n'avais pas le choix. Je me rappelle que j'arrive un dimanche soir à Chiasso, il pleut, il fait nuit. Je me suis demandé où j'arrivais... Je ne connaissais rien du Tessin et puis, petit à petit, j'ai découvert un club familial, une région magnifique et j'ai pris énormément de plaisir. Sortir du cocon familial, partir du Valais, ça m'a permis de grandir en tant qu'homme, de franchir une étape.
Tu étais seul?
Ma femme travaillait du côté de Montreux, on n'avait pas encore d'enfant. Je suis parti tout seul, mais elle m'a rejoint quand je suis arrivé à Lugano et mon premier fils est né au Tessin. On était très bien et je me sentais bien sur le terrain, j'ai connu la Coupe d'Europe, j'ai fait de belles saisons. C'était dur quand il a fallu partir! Tu déménages en un jour, tu prends tes affaires, ce n'est pas simple, mais la joie de venir à Genève faisait que les sentiments étaient contradictoires, c'était un peu étrange. Genève, c'est plus proche du Valais, je me sentais désiré par le club, important. Tout ça a fait que j'étais heureux de venir, mais quitter le Tessin a été difficile.
Tu trouves que le monde du football, je parle des fans, des médias, de l'environnement en général, on oublie les difficultés d'adaptation quand on juge un joueur? Je vais prendre l'exemple de Bradley Mazikou. On a pu dire, lire et entendre après un mois que c'est un flop et au final, en lui laissant un peu de temps, le jugement est révisé...
Mais bien sûr! Ca va beaucoup trop vite, c'est ridicule. Un match tu peux être encensé, le match d'après tu te loupes ou même pas, tu fais une mauvaise action, et tu deviens un flop. C'est compliqué de résister à ça, mais au final, il ne faut pas trop regarder ce que les gens écrivent et disent, tout simplement parce que c'est la culture de l'instant et que c'est contre-productif. Un joueur qui est bien mentalement, il est bien sur le terrain, donc il faut se protéger de ces parasites extérieurs. La clé, c'est d'aller tout droit, sans penser à ce que disent les autres. Si tu avances et te concentres sur toi, tu feras ton chemin.
Mais quand tu lis ou entends, comme j'ai pu le dire moi-même d'ailleurs, que faire toute une saison avec Yoan Severin et Steve Rouiller c'est un risque, que ce soit pour la Super League ou la Coupe d'Europe, qu'il faudrait d'autres défenseurs centraux, ça t'énerve? Ou cela n'arrive même pas à tes oreilles?
Il y a des choses qui touchent plus que d'autres... mais je suis sûr de mes qualités et de mes forces. Après, l'analyse n'est pas fausse, tu as besoin d'un effectif large quand tu joues sur trois tableaux. Moi, pour te dire, je suis persuadé que Yoan et moi sommes des joueurs de qualité. Mais évidemment qu'on ne va pas enchaîner 50 matches, ou difficilement, donc on doit avoir d'autres joueurs de qualité pour être performants. Et, de nouveau pour te répondre clairement, tu dois tracer ta route sans t'arrêter sur les considérations venues de l'extérieur.
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Le fait de marquer les deux buts potentiellement les plus importants de la saison en Coupe d'Europe, celui face à Genk et celui face à Tiraspol, tu le prends comme un hasard complet? Ou, quelque part, un petit peu un symbole d'une forme de mérite qui viendrait récompenser ton parcours?
Je me dis que je le mérite un peu, pas parce que je suis le meilleur joueur du monde, mais par rapport au fait de ne rien avoir lâché, on y revient. La saison d'avant a été un peu plus compliquée, mais les gens ici savent comment je suis, que je n'ai jamais causé de problèmes, que j'ai toujours continué à travailler. Et peut-être que ce but contre Genk m'a permis de montrer que j'avais bien lancé ma saison.
Montrer aux autres ou à toi-même?
Aux deux, peut-être... C'est pour ça que je te dis que je ne crois pas au hasard. Voir les gens heureux, se rendre compte que j'ai marqué un but en Coupe d'Europe, un but aussi important, c'est encore plus gratifiant et ça m'a donné de la force pour la suite de la saison. On a enchaîné les bonnes performances en Europe et marquer sur cette scène-là, ce n'est pas donné à tout le monde. Me dire que j'ai contribué à ce parcours, qui n'est pas terminé, c'est beau. Je peux déjà dire aujourd'hui, en janvier, que c'est une saison que je ne vais jamais oublier.
Tu t'inscris dans une longue tradition de joueurs valaisans à Servette, de Sébastien Fournier à Johann Lonfat... Tu te sens inscrit dans cet héritage ou pas du tout, tu fais ton truc sans te soucier du passé?
Les Valaisans ont une histoire particulière ici et j'y suis évidemment sensible, d'autant que je suis le dernier du groupe! Quand je suis arrivé, il y avait coach Geiger, Anthony Sauthier, Daniel Follonier, Joao Castanheira... Nous avons été nombreux à perpétuer la tradition et les gens se reconnaissent aussi là-dedans, je te promets, les Valaisans qui viennent au stade m'en parlent de temps en temps. Ca fait forcément plaisir de pouvoir représenter le canton ici à Genève. Mon but c'est de continuer le plus possible et de marquer un peu plus l'histoire du club, parce que je me sens tellement bien ici que je ne me vois pas ailleurs. Je m'épanouis pleinement en ce moment.
On a parlé de ce qui a fait la différence entre toi et un joueur qui n'a pas percé. Mais quelle est la différence entre toi et, disons, Fabian Schär, qui est également passé par la Challenge League et qui est aujourd'hui en équipe de Suisse et titulaire en Premier League?
Je pense que c'est un parcours de vie, tout simplement, parce qu'en toute honnêteté, je pense qu'il y a pas non plus deux classes de différence, tout comme il n'y en a pas entre un joueur de Super League et un de 1re ligue à la base. J'ai commencé ma carrière pro assez tard, je n'étais pas dans le circuit des clubs visibles, je dirais. Je n'étais pas prêt pour le top niveau, c'est ça la vérité, et j'ai suivi ma carrière tranquillement, pas à pas. Peut-être qu'à un moment l'équipe de Suisse a réfléchi à moi, ou a hésité à le faire, mais les joueurs sélectionnés jouent dans des grands clubs européens. Donc oui, il y a une différence, c'est sûr, et vu mon passé, je ne peux pas prétendre à beaucoup plus. Après, il y a toujours des surprises dans des sélections... Mais je ne me suis absolument jamais pris la tête avec ça, je n'ai aucun regret, que ce soit pour ma carrière en club ou pour l'équipe de Suisse. Je suis content de ce que j'ai fait, je suis fier de mon parcours.
Les approches de l'équipe de Suisse, c'est quand tu étais à Lugano? C'était concret?
Non, pas vraiment. On ne m'a pas approché directement, mais ça parlait un petit peu. On avait une bonne période avec le club, mais moi, je savais très bien que c'était illusoire. Je ne me suis jamais mis la pression de ce côté-là, j'ai toujours su d'où je venais, sans me sentir forcément inférieur par rapport aux sélectionnés quand je les regardais à la télévision.
Là, tu te dis qu'il y a une légère chance pour l'Euro, ou pas du tout? Il faudrait 3 ou 4 absents, d'accord, mais est-ce qu'il y a une partie de toi qui y croit encore, ou la profondeur est trop grande derrière les titulaires avec Eray Cömert, Cédric Zesiger et d'autres?
Eray Cömert, c'est un peu particulier, parce que je jouais à Lugano quand il est arrivé de Bâle. C'était le grand espoir, la promesse... et il a pris un peu ma place (rires)! De nouveau, quand je le voyais à l'époque, je ne voyais pas une immense différence avec moi, mais lui était plus jeune et c'est tout à fait logique qu'il ait été appelé par la suite. Je n'ai pas fait les sélections jeunes, comme les autres, je n'ai aucun vécu avec la sélection et c'est logique que je passe après tous ces joueurs. C'est tellement naturel de privilégier ce genre de profils plutôt que le mien, celui d'un joueur qui progresse gentiment, saison après saison, et qui devient bon tardivement.
Tu es plus fort aujourd'hui qu'à Lugano?
Je pense que j'ai plus conscience de mes qualités et de mes forces qu'à l'époque. J'ai engrangé du vécu et de l'expérience. Je suis le même physiquement et techniquement, mais j'arrive à mieux anticiper les situations et à être plus serein dans ce que je fais. Globalement, je pense que je suis un peu meilleur qu'à cette époque, grâce à ce vécu.
A 33 ans, tu as déjà pensé à la suite? Tu as un diplôme d'entraîneur?
La suite, jy pense un peu, mais je ne me mets pas trop la pression avec ça. Je me sens bien ici et je sais que le club est prêt à trouver quelque chose pour moi. Si je peux continuer dans le foot, pas forcément en tant qu'entraîneur, je serais heureux de le faire.
Rester au club, ça veut dire entraîner les jeunes?
Pourquoi pas? Le club est en train d'évoluer, et je me verrais bien occuper un poste dans les bureaux, il y aura peut-être quelque chose à faire, il faut qu'on en discute avec les dirigeants, mais ce n'est vraiment pas encore d'actualité.
Tu as eu le temps de passer un diplôme à côté de ta carrière?
J'ai une maturité de commerce, je l'ai faite en sport-études en Valais en parallèle du foot.
Les défenseurs centraux jouent jusqu'à 37, 38 ou même 40 ans aujourd'hui... Tu te vois continuer jusqu'à cet âge-là?
Difficile de te répondre aujourd'hui. Je ne ne mets aucune limite. J'ai un contrat qui dure encore une année et demie et, pour être sincère, je ne vois pas une différence avec mon niveau physique d'il y a trois ou quatre ans, donc si je continue à être performant, pourquoi ne pas continuer?
Qu'est ce qui te permet de t'évader en dehors du foot?
Je suis assez casanier, mais je n'ai pas vraiment le choix, vu qu'on a trois garçons! Ca prend un peu d'énergie (rires). Donc la plupart du temps, c'est à la maison avec ma femme et eux.
Ils jouent au foot?
Les deux grands, oui, dans le club du village. Le petit a eu un an au mois de septembre, mais il tape déjà un peu dans le ballon!
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Équipe | J. | DB. | PT. | ||
---|---|---|---|---|---|
1 | FC Zurich | 14 | 7 | 26 | |
2 | FC Bâle | 14 | 20 | 25 | |
3 | FC Lugano | 14 | 6 | 25 | |
4 | Servette FC | 14 | 2 | 25 | |
5 | FC Lucerne | 14 | 4 | 22 | |
6 | FC St-Gall | 14 | 6 | 20 | |
7 | FC Lausanne-Sport | 14 | 2 | 20 | |
8 | FC Sion | 14 | 0 | 17 | |
9 | Young Boys | 14 | -5 | 16 | |
10 | Yverdon Sport FC | 14 | -10 | 15 | |
11 | FC Winterthour | 14 | -21 | 11 | |
12 | Grasshopper Club Zurich | 14 | -11 | 9 |