Moins de trois mois après la déroute de Rome à l’Euro (3-0), l’équipe de Suisse retrouve l’Italie ce dimanche soir à Bâle (20h45). Une équipe transalpine qui, entre-temps, est devenue championne d’Europe. Ce choc s’annonce déjà capital pour les qualifications de la Coupe du monde 2022 au Qatar.
Les Suisses devront faire oublier la lourde défaite concédée il y a quelques semaines. Le mutisme des attaquants de la Nati ce soir-là a rappelé un point important. Il n’est pas donné à tout le monde de marquer contre la défense azzurra. Ceux qui y sont parvenus font même partie d’un club fermé. Juste avant l’Euro, nous avions donné rendez-vous à quatre de leurs membres dans une pizzeria zurichoise. Leurs souvenirs sont savoureux.
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Même à 68 ans, l’ancien attaquant de l’équipe nationale Ruedi Elsener fait honneur au surnom qu’on lui a donné lorsqu’il jouait: «Turbo-Ruedi» arrive une bonne demi-heure avant l’heure convenue. «Mais je dois aussi partir tôt, sourit-il. J’ai encore des engagements familiaux.» Une mission qu’il n’a pas tout à fait remplie, car Daniel Gygax est arrivé en retard. «Tu vois Georges (ndlr: Bregy), c’est toujours ceux qui habitent le plus près qui sont en retard», se marre Jean-Paul Brigger (63 ans), qui a effectué le déplacement depuis le Valais en train. À l’autre bout de la table, Georges Bregy pouffe. Gygax tente de faire oublier son retard d’une vingtaine de minutes. «C’est un honneur pour moi de faire partie de ce cercle restreint…», rigole le plus jeune en saluant la foule. Astucieuse entrée en scène.
Car «Dani» a raison après tout. C’est bien un groupe exclusif d’anciens internationaux qui s’est réuni jeudi dernier à la Trattoria «Sempre» de Niederdorf, à Zurich. Leur point commun? Ils ont tous marqué un but sous le maillot rouge à croix blanche face à l’Italie, quadruple championne du monde. Face à eux, il y avait des noms ronflants de stars italiennes. Un abécédaire allant de «A» comme Altobelli, Ancelotti, Baggio, Buffon, Conti, Donadoni, Del Piero, Rossi, Vialli, Pirlo, Totti, à «Z» comme Zenga.
Elsener lance à Brigger: «Et toi, tu as marqué quand contre l’Italie, déjà?» Le Valaisan à l’esprit vif répond du tac au tac: «Mille huit cents et quelque chose… Je ne m’en souviens plus exactement.» La joyeuse tablée éclate de rire.
Deux grandes sensations
Jean-Paul Brigger avait marqué en 1986 lors d’une courte défaite 3-2 à Milan d’une magnifique demi-volée du gauche qui avait terminé sa course dans la lucarne. Bregy avait inscrit le 1-1 à Lausanne en 1984. Sur coup franc, évidemment. À Genève en 2006, Gygax avait envoyé un missile dans l’angle gauche. Elsener, lui, c’était au «Stadio Olimpico» de Rome, en 1982. «Il n’y a même pas de photos en couleur de ce match», plaisante «Turbo-Ruedi». Son but n’était pas seulement beau, il était aussi particulièrement rare puisqu’il avait marqué le but de la victoire ce soir-là (0-1).
Sur les 19 duels directs entre la Suisse et l’Italie au cours des 50 dernières années, seuls deux goals gagnants ont été inscrits par les onze buteurs: Rudolf Elsener et Marc Hottiger, lors de la victoire 1-0 au Wankdorf en 1993 qui a permis à la Suisse de se qualifier pour la Coupe du monde 1994. Les 17 autres matchs contre l’Italie se sont soldés par 9 nuls et 8 défaites.
Les deux victoires dans les années 80 et 90 de la «petite» Suisse ont représenté d’immenses sensations. À cette époque, l’Italie était le pays phare par excellence dans le football européen. La Serie A était au sommet. Toutes les stars mondiales jouaient dans la «Botte». Maradona et Careca à Naples. Les Hollandais Gullit, Van Basten, Rijkaard à l’AC Milan. Les Allemands Matthäus, Klinsmann, Brehme à l’Inter.
Les matchs contre l’Italie: un moment fort
À l’exception de Ciriaco Sforza (1996-1997 avec l’Inter), les footballeurs suisses ne pouvaient pas prétendre évoluer en Serie A à la fin des années 90. Même si le football italien a perdu de son lustre entre-temps (clubs endettés, stades délabrés, scandales de matches truqués), les rencontres internationales contre les «Azzurri» sont toujours un moment fort pour tout footballeur suisse.
Et les buts contre l’Italie restent exceptionnels. Ce qui était alors vrai pour Elsener, Bregy, Brigger et Gygax l’est toujours aujourd’hui. Pour la génération actuelle de Shaqiri, Freuler, Seferovic, Rodriguez & Cie, la Serie A fait depuis longtemps partie du quotidien. Mais un match international contre la grande Italie ne sera jamais anodin. La dernière rencontre remonte à onze ans. Lors du match nul 1-1 au Stade de Genève, Gökhan Inler avait fait trembler les filets. Des joueurs présents à l’époque, seul «Shaq» est encore dans le cadre de l’équipe présente à Rome pour la rencontre de ce mercredi.
Le temps est venu pour l’illustre groupe de buteurs suisses de s’agrandir. Et si possible avec un but de la victoire.
Daniel Gygax (39 ans): «On m’a davantage parlé de la célébration que du but»
«C’était lors d’un match amical en vue de la Coupe du monde 2006. La rencontre était équilibrée à l’époque à Genève. J’avais entendu des collègues dire des choses comme: «Vous n’avez pas été capables de faire mieux que match nul» ou «L’Italie n’était pas si forte.» Le fait que les Italiens soient devenus champions du monde quelque temps plus tard a donné une autre dimension à ce match nul 1-1.
C'est clair que ce match et ce but font partie des moments forts de ma carrière. J’ai toujours eu un lien spécial avec l’Italie. Ma femme est à moitié italienne, j’ai grandi avec beaucoup d’Italiens, j’ai beaucoup d’amis italiens. Puis il y a eu «Italia 90». À neuf ans, j’ai rempli mon premier carnet Panini de la Coupe du monde et j’ai vibré pour les matches.
Mon but était vraiment magnifique. C’était une passe qui venait de notre propre moitié de terrain, j’ai vu l’espace devant moi et je m’y suis engouffré avec détermination. Je me suis dit: «Pourquoi ne pas appuyer sur la gâchette?». Bien sûr, c’était génial que la balle parte aussi bien.
La célébration qui a suivi était alors tout à fait spontanée. Comme à peu près tout ce que je faisais. D’ailleurs par la suite on m’a presque davantage questionné sur cette célébration que sur le but lui-même. Après le match, j’ai voulu échanger mon maillot avec Totti. Mais même si nous nous étions mis d’accord sur le terrain, cela n’a finalement pas fonctionné. J’ai vraiment été déçu.
Cette année à l’Euro, j’ai une grande confiance en la Nati. Nous avions certainement une grande équipe à l’époque, mais nous avions moins de résultats positifs contre les grandes équipes. La génération actuelle le fait mieux. Je veux croire que la Suisse va battre l’Italie. Mais en raison de ma situation familiale, je préfère miser sur un match nul (1-1) et espérer que les deux pays arrivent en huitièmes de finale.»
Match amical: Suisse 1-1 Italie
31 mai 2006. Stade de Genève. 30 000 spectateurs. Buts: 11e Gilardino 0-1. 32e Gygax 1-1.
Suisse: Zuberbühler (46e Coltorti); P. Degen, Djourou, Senderos (70e Grichting), Magnin (46e Spycher); Barnetta, Vogel, Cabanas (46e Margairaz), Wicky (62e H.Yakin); Gygax (90e D.Degen); Frei. Sélectionneur national: Köbi Kuhn.
Italie: Buffon; Zaccardo, Cannavaro, Materazzi (46e Oddo), Grosso (60e Bonera); Pirlo (76e Perrotta), Gattuso; Camoranesi (46e de Rossi), Totti, Del Piero (46e Iaquinta); Gilardino (46e Toni).
Jean-Paul Brigger (63 ans): «J’ai presque chanté l’hymne italien»
«Ce but dans ce match a été un moment merveilleux dans ma carrière. En fait, cela faisait un moment que je n’avais plus joué avec l’équipe nationale. J’avais vécu une sorte de deuxième printemps au FC Sion et le sélectionneur d’alors, Daniel Jeandupeux, m’avait rappelé. Pour tout vous dire, je ne voulais pas y aller, je n’en avais plus envie. Mais Jeandupeux m’a pratiquement forcé la main.
Une fois que j’ai réintégré l’équipe, je me suis immédiatement senti à mon aise. Et encore plus à San Siro, devant plus de 60 000 fans, il y avait de quoi avoir la chair de poule. J’étais tellement euphorique que j’ai presque chanté l’hymne italien. C’est comme si j’étais dopé naturellement. Je me suis dit: «Si tu ne peux pas bien jouer ici, alors tu es vraiment un nul».
Et puis je marque ce but. Une passe de Georges Bregy. Je prends la balle sur mon pied le plus faible même si j’étais ambidextre. Je fais un dribble et tire. Dès que le ballon a quitté mon pied, j’ai tout de suite pensé: «Il se passe quelque chose!». Puis j’ai vu la trajectoire du ballon et Walter Zenga dans les buts. J’étais sûr qu’il n’aurait même pas moyen de bouger. Le ballon était trop bien placé. Et puis ce moment… Le délire!
Un but comme ça, contre l’Italie et dans ce stade: c’était unique. Nous avons quand même perdu 3-2. Comme tant de fois à l’époque: nous avions bien joué contre de grandes équipes, mais nous avions cédé avec les honneurs. L’Italie avait plus de joueurs capables de décider du sort d’un match. Très peu de Suisses jouaient à l’étranger à l’époque. C’est tout le contraire d’aujourd’hui. C’est pourquoi la génération actuelle est beaucoup plus habituée à défier les superstars et sait ce qu’elle a à faire.
Cette équipe nationale de Vladimir Petkovic a beaucoup de qualité. Elle est solide. La différence avec l’Italie est certainement beaucoup plus petite qu’avec nous. Je n’ai rien contre les Italiens, mais je n’ai pas peur d’eux. Je fais confiance à la Nati pour gagner. Si tout se passe bien, la Suisse peut jouer un rôle important dans ce championnat européen.»
Qualification pour le championnat d’Europe 1988: Italie – Suisse 3-2 (1-1)
15 novembre 1986. Giuseppe Meazza, Milan. 67 422 spectateurs. Buts: 1re Donadoni 1-0. 32e Brigger 1-1. 51e Altobelli 2-1. 85e Altobelli (penalty) 3-1. 88e Weber 3-2.
Italie: Zenga; Bergomi; Cabrini (11e Francini), Baresi, Bonetti; Bagni, Donadoni (41e Serena), Ancelotti, Altobelli; Dossena, Vialli.
Suisse: Brunner; Geiger; Ryf, Weber, Wittwer; Heinz Hermann, Bregy, Bamert (78e Bickel); Halter (69e Zuffi), Brigger, Beat Sutter. Entraîneur national: Sélectionneur Jeandupeux.
Georges Bregy (63 ans): «Un de mes premiers matches. C’était sensationnel»
«Je m’en souviens très bien. C’était à Lausanne, dans la Pontaise. Un coup franc d’environ 35 mètres. J’ai enroulé la balle pour passer le mur sur la droite et surprendre le gardien. C’était l’un de mes premiers matches internationaux et je marque tout de suite. C’était sensationnel.
C’était tout simplement formidable pour moi de pouvoir jouer contre l’Italie. L’Italie était une grande puissance du football avec de sacrés noms comme Altobelli, Rossi, Conti et Vierchowod. Et en tant que jeune footballeur, je me suis soudainement retrouvé au milieu de ces stars.
Je n’ai pas ramené de souvenir matériel de ce match. Je me suis rattrapé bien des années plus tard quand on s’est qualifié pour la Coupe du monde de 1994. J’ai échangé mon maillot avec la superstar Roberto Baggio. J’ai eu la chance de jouer contre lui deux fois. C’était un footballeur formidable, pratiquement inarrêtable. Mais j’ai fait tout ce que j’ai pu. Pour moi, c’est l’un des plus grands.
Entre-temps, nos deux équipes nationales se sont beaucoup rapprochées en termes de qualité. Nous, les Suisses, avons rattrapé notre retard. Ce match contre l’Italie sera certainement très excitant et palpitant. J’espère que la Nati pourra enfin surmonter la malédiction des huitièmes de finale cette année. S’ils y parviennent, le soulagement pourrait être si grand que l’équipe pourrait aller très, très loin.»
Match amical: Suisse – Italie 1-1 (1-1)
3 novembre 1984. Stade de la Pontaise, Lausanne. 20 000 spectateurs. Buts: 7e Cabrini 0-1. 43e Bregy 1-1.
Suisse: Engel; Wehrli; Rietmann, Heinz Hermann, Schällibaum; Decastel, Geiger, Bregy, Ponte (87e Koller); Beat Sutter (62e Matthey), Zwicker (70e Braschler). Sélectionneur national: Paul Wolfisberg.
Italie: Tancredi; Bergomi; Cabrini, Bagni; Vierchowod, Scirea, Conti (62e Dossena), Sabato (77e Righetti), Rossi; di Gennaro, Altobelli.
Ruedi Elsener (68 ans): «Un but typiquement brésilien»
«Le match avait lieu un mercredi, je m’en souviens bien. Il faisait chaud et humide à Rome. Nous avons fait une promenade à l’heure du dîner, mes jambes étaient lourdes. C’était le premier match des Italiens depuis leur titre de Champions du monde, à l’été 82. Peu avant le match, ils étaient allés rendre visite au Pape.
Les grandes stars comme Altobelli, Cabrini, Rossi ou Conti ont tous joué, mais ils ne nous prenaient pas vraiment au sérieux. Lorsque nous voulions nous échauffer avant le match, nous devions escalader des sacs de sport empilés dans le tunnel des joueurs du «Stadio Olimpico». Les Italiens ont construit un filet et ont joué un peu au football-tennis. Et puis, nous avons gagné 1-0. Je pense que c’est la seule victoire de la Nati sur le sol italien à ce jour (ndlr: c’est juste).
Je me souviens encore très bien de mon but: j’ai fait une passe à Claudio Sulser, qui a parfaitement remis le ballon dans ma direction de l’extérieur du pied. Je me suis retrouvé en un-contre-un face à Claudio Gentile et j’ai envoyé le ballon au fond des filets par-dessus le gardien Ivano Bordon qui sortait sur moi. Si nous avions été le Brésil, cela aurait été un but typiquement brésilien dans sa création. C’était magnifique. Il y avait une énorme euphorie autour de ce goal. Tout le monde en parlait. Et pour cause. Nous avons battu les champions du monde fraîchement couronnés.
Aujourd’hui encore, on me questionne régulièrement sur ce moment. J’ai gardé un souvenir de ce match pendant de nombreuses années, mais à un moment donné, j’ai donné le maillot de l’Italie à un de mes bons amis, qui est malheureusement décédé entre-temps. Il était italien et le voulait absolument.
Je place notre Nati actuelle au même niveau que les Italiens aujourd’hui. Nous avons tellement de joueurs qui jouent dans des équipes de haut niveau en Europe. Nous avons de très bonnes chances d’obtenir un résultat positif. Si nous n’avons pas de grosses blessures, je suis sûr que nous atteindrons les quarts de finale. Peut-être même plus.»
Match amical: Italie – Suisse 0-1 (0-0)
27 octobre 1982. Stadio Olimpico, Rome. 28 666 spectateurs. But: 54e Elsener 0-1.
Italie: Zoff (46e Bordon); Scirea; Gentile, Collovati (85e Bergomi), Cabrini; Conti, Tardelli (46e Dossena), Antognoni, Marini (85e Causio); Rossi (31e Altobelli), Graziani.
Suisse: Burgener; Geiger; Lüdi, Egli, Heinz Hermann; Wehrli, Favre, Decastel; Sulser, Ponte, Elsener (57. Braschler). Sélectionneur national: Paul Wolfisberg.