Même les esprits les plus brillants du football mondial se trompent parfois. Pep Guardiola par exemple. «Il y a quelques mois, quand Cristiano Ronaldo était le seul à y aller, personne ne pensait qu'il y aurait bientôt de nombreux joueurs de haut niveau dans la ligue saoudienne», a récemment déclaré l'entraîneur de Manchester City. «Mais à l'avenir, il y en aura encore plus.»
Guardiola s'est donc trompé. Pas de honte, selon l'économiste du sport Simon Chadwick, qui s'intéresse de près au football dans la région du Golfe. «Je pense qu'au début, beaucoup de gens disaient 'C'est la même chose qu'avec la Chine, à l'époque'.»
C'était en 2016, les clubs chinois achetaient à grande échelle des stars vieillissantes. L'Argentin Carlos Tevez (39 ans), par exemple, vainqueur de la Ligue des champions 2008 avec Manchester United et plusieurs fois champion d'Angleterre et d'Italie, s'est retrouvé à Shanghai en janvier 2017. Lorsqu'il est rapidement revenu à Boca Juniors, il a parlé de «sept mois de vacances» qu'il avait pris en Chine. Le salaire pour cela: la coquette somme de 35 millions de francs.
Depuis, les Chinois ont fortement réduit leur engagement et les stars sont reparties. Mais il ne faut pas s'attendre à la même chose avec les Saoudiens, dit Simon Chadwick dans un entretien avec Blick. «Ici, c'est différent. Les Saoudiens sont comme le Qatar sous stéroïdes.»
L'Europe doit-elle s'inquiéter? «Absolument !»
Contrairement à son petit voisin, le Qatar, qui a posé de nouveaux jalons en matière de «sportswashing» en organisant la Coupe du monde 2022, l'Arabie saoudite, qui compte 32 millions d'habitants, a des projets encore plus grands pour le football. «Je ne pense pas que l'Arabie saoudite sera une bulle qui éclatera. L'Arabie saoudite veut devenir une nation de football de premier plan. Même s'il n'est pas dit qu'elle réalise ce qu'elle entreprend.» Mais l'Europe du football doit-elle s'inquiéter ? «Absolument!»
Le Britannique Peter Hutton a occupé des postes de direction pour ESPN, Eurosport, IMG et Facebook au cours des dernières décennies, et il siège désormais au conseil d'administration de la Saudi Pro League (SPL), qui a fait venir d'autres stars comme Benzema, Kanté, Firmino, Mahrez ou Henderson avec des salaires fantaisistes après Ronaldo. «Je travaille dans le sport depuis 40 ans et je n'ai jamais vu un projet aussi grand, aussi ambitieux et aussi déterminé à être un succès», déclare-t-il à la BBC. Selon la chaîne américaine CBS, le fonds souverain saoudien PIF devrait mettre à la disposition des clubs Al-Hilal, Al-Ittihad, Al-Ettifaq et Al-Ahly quelque 20 milliards de francs pour les transferts d'ici 2030. 20 milliards.
Le «fair-play financier» ne doit pas préoccuper les clubs saoudiens
Seule la Premier League anglaise (1,5 milliard de francs) a jusqu'à présent dépensé plus pour les transferts cet été que la SPL (400 millions). «Si cela se poursuivait, le football évoluerait dans une direction qui lui causerait très certainement de grands dommages», déclare le directeur sportif de Dortmund Sebastian Kehl dans le «Kicker». Les romantiques du football peuvent se moquer de l'application vieillotte du «fair-play financier» de l'UEFA – pour les clubs saoudiens, ces règles ne s'appliquent pas dès le départ. Là où même les méga-clubs européens comme Barcelone, le Real Madrid ou Manchester City doivent respecter certaines réglementations, les clubs arabes peuvent dépenser leur argent sans compter. Et faire sortir le monde du football de ses gonds.
Mais qu'est-ce que les Saoudiens veulent obtenir au final? Bien sûr, le régime à la tête de ce pays islamique conservateur, dans lequel la liberté d'expression, les droits des femmes et des homosexuels sont extrêmement limités (pour ne pas dire inexistants), se soucie de son image. Il veut être perçu en Occident comme progressiste et puissant – un classique du sportwashing.
Mais pour Simon Chadwick, il y a bien plus que cela. «C'est une question de sécurité», dit-il. «La sécurité de la famille régnante. Le prince héritier Mohammed bin Salman (ou MBS) sait que 70% de la population a moins de 35 ans. On a donc une population 'Gen Z'.» Celle-ci a grandi avec Instagram, Netflix, les chaussures Prada et toutes les autres commodités occidentales appréciées. Et, pour le dire simplement, il faut la stimuler pour que personne n'ait l'idée de revendiquer, outre les biens de consommation occidentaux, des valeurs telles que la démocratie et les droits de l'homme. «La plus grande crainte de Ben Salmane et de sa famille est un nouveau printemps arabe. C'est ce qu'ils veulent éviter à tout prix. C'est pour cela qu'il dit: 'Vous voulez Ronaldo? Vous aurez Ronaldo'.»
Le pronostic de Simon Chadwick : la Fifa va s'installer en Arabie saoudite
Et ça marche? «Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que les Saoudiens sont extrêmement friands de football. Pour les matches des meilleures équipes, 40'000, voire 50'000 personnes se rendent au stade. La culture du football n'est pas comparable à celle du Qatar. Mais la question se posera de nouveau un jour: quelle est la durabilité de ce qui a été construit là-bas? Est-ce que des gens de l'extérieur du pays peuvent s'enthousiasmer pour les clubs saoudiens, en Europe mais aussi en Asie et dans le monde arabe? Et l'équipe nationale pourra-t-elle un jour se hisser dans le top 10 mondial? Pour cela, il faut aussi une offensive footballistique dans le pays.»
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Pour l'Europe et son football, cela signifie que les montants des transferts devraient rester élevés et les offres alléchantes pour les stars. Après Ronaldo et Benzema, Lewandowski ainsi que Haaland puis Bellingham pourraient bientôt se retrouver dans le viseur des Saoudiens. Et cet été aussi, il reste encore beaucoup de temps. La fenêtre de transfert en Arabie saoudite est ouverte trois semaines de plus qu'en Europe, ce qui a récemment poussé Jürgen Klopp, l'entraîneur de Liverpool, à appeler la Fifa et l'UEFA à agir. Seulement, l'UEFA ne peut pas faire grand-chose. Et la Fifa? «Elle ne fera rien», dit Simon Chadwick. La fédération internationale aura plutôt tendance à s'adapter. «Mon pronostic: la Fifa déménagera en Arabie saoudite avant la fin de ce siècle.»