Le compte à rebours a commencé. Le coup d’envoi de la 22e Coupe du monde de football sera donné le 21 novembre au Qatar, dans le stade Al-Bayt à Al-Khor. «Ce sera formidable», s’est enthousiasmé il y a deux mois le président de la FIFA Gianni Infantino lorsqu’il a visité ce stade qui accueillera également la finale de la compétition, situé à 50 kilomètres au nord de Doha. Ce jour-là, le Valaisan ajoutait qu’il n’avait jamais vu un pays aussi rapidement prêt.
Gianni Infantino et la monarchie islamique du Golfe, c’est manifestement une histoire d’amour. Et celle-ci va bien au-delà du football, comme l’enquête de Blick le démontre. Le chef de la FIFA a en effet transféré sa vie à Doha depuis le mois d’octobre. Il y a loué une maison pour lui et sa famille et deux de ses quatre filles sont scolarisées dans l’émirat.
La FIFA veut étouffer l’affaire
Les rumeurs d’un déménagement d’Infantino au Qatar couvent depuis longtemps. En mars dernier, la Fédération internationale de football démentait avec véhémence auprès de Blick qu’un départ de Suisse était prévu. Mais notre équipe a poursuivi son enquête et a fini par découvrir de nouveaux détails sur la vie des Infantino au Qatar, dont des photos qui prouvent que la famille vit désormais à Doha. Par respect pour leur sphère privée, nous avons renoncé à publier ces images.
Confrontée à nos recherches et après plusieurs allers et retours téléphoniques, la FIFA admet finalement que Gianni Infantino a loué une maison à Doha et que sa famille y habite désormais.
Gianni Infantino semble mal à l’aise avec cette affaire et la FIFA tente d’en minimiser la portée. Dans une déclaration détaillée que la Fédération ne nous a autorisés à citer uniquement de manière indirecte, un porte-parole laisse entendre que le président continue de travailler au siège principal de Zurich. Certaines personnes au sein de la Fédération rapportent toutefois qu’Infantino ne se montre que très rarement à Zurich. Et que cela en agace plus d’un.
La FIFA souligne encore que son président paie toujours ses impôts en Suisse et qu’il passerait la moitié de son temps de travail à Doha. Sa maison dans la capitale qatarie lui permettrait de passer beaucoup de temps avec sa famille.
«Les efforts en valent la peine»
Confronté aux résultats de notre enquête, Gianni Infantino a également tenu à s’exprimer en son nom personnel. «La préparation et l’organisation de la Coupe du monde de football au Qatar sont un projet d’une importance exceptionnelle, tant pour le football et la FIFA que pour le Qatar», explique-t-il. Il s’agit d’une «occasion unique» de rassembler des peuples et des cultures du monde entier par le biais de l’enthousiasme pour le football. «Pour une Coupe du monde de football qui entrera dans l’histoire de la région et de la FIFA, même les plus grands efforts en valent la peine.»
Ce déménagement soulève toutefois certaines questions. Son nouveau lieu de résidence montre en effet une fois de plus la grande proximité entre le patron de la FIFA et le pays de la péninsule arabique. Depuis des années, Infantino est critiqué pour ses relations trop amicales avec l’émirat et ses dirigeants autoritaires.
Le Qatar est un État où la charia est appliquée, où les homosexuels sont emprisonnés et où les droits de l’Homme sont bafoués. Même si Gianni Infantino affirme que la Coupe du monde sera un «festival de l’intégration sociale»…
Dans un récent communiqué de presse, la FIFA a évoqué que «huit stades fantastiques dans tout le Qatar» seraient déjà terminés. Ce que la Fédération internationale de football s’est bien gardée de dire, c’est que les stades en question ont été construits par des travailleurs immigrés dans des conditions infernales. Selon le journal britannique «The Guardian», jusqu’à 6500 travailleurs immigrés sont morts dans le cadre de la Coupe du monde. La FIFA conteste ces chiffres et parle de 34 personnes qui ont perdu la vie «directement en lien avec la construction des stades». Tout cela n’empêche pas Gianni Infantino d’affirmer que «l’expérience pour les supporters sera formidable».
Gianni Infantino s’amuse
Mais revenons au déménagement du patron. Selon la FIFA, il est nécessaire qu’Infantino se rende régulièrement à Doha pour participer à l’organisation du tournoi. Les spécialistes de la FIFA, eux, en doutent fort. Selon les personnes que nous avons interrogées, le président a avant tout des tâches de représentation. En effet, ses compétences en matière de gestion ont été fortement réduites après la démission de Sepp Blatter en 2016. Depuis les réformes décidées à l’époque par le congrès de la FIFA, c’est la secrétaire générale – la Sénégalaise Fatma Samba Diouf Samoura – qui est responsable des affaires opérationnelles.
Blick a reconstitué une partie du quotidien d’Infantino durant les mois de novembre et décembre de l’année dernière. A cette époque, le patron de la FIFA se trouvait majoritairement dans la capitale qatarie. Des images le montrent en train de rire avec l’émir du Qatar, de faire la fête lors d’une course de Formule 1 à Doha et pendant des matches de la Coupe d’Arabie dans le stade. Des activités assez loin de ses obligations professionnelles.
Aujourd’hui, Gianni Infantino attend de pied ferme la Coupe du monde dans son nouveau lieu de résidence, bien que l’organisation du tournoi soit critiquée depuis dix ans déjà. Pour rappel, l’attribution à l’émirat a été entachée par des accusations de corruption et de trafic d’influence. Selon les enquêteurs, des fonctionnaires de la FIFA auraient perçu des pots-de-vin afin d’attribuer la Coupe du monde au Qatar.
La présomption d’innocence
Gianni Infantino, l’homme le plus puissant du monde du football international, est également dans le collimateur de la justice. Deux enquêteurs spéciaux de la Confédération mènent une procédure pénale contre lui. Il s’agit de rencontres mystérieuses avec le procureur général de la Confédération de l’époque, Michael Lauber, qui enquêtait sur la FIFA, entre autres pour des irrégularités lors de l’attribution de la Coupe du monde au Qatar.
Infantino aurait rencontré plusieurs fois en secret l’enquêteur en chef. Les accusations portées contre le chef de la FIFA sont les suivantes: abus de pouvoir, violation du secret de fonction, favoritisme. La présomption d’innocence s’applique.
Les rencontres avec Michael Lauber ont eu lieu dans une salle de réunion de l’hôtel Schweizerhof de Berne, la «Meeting Room III». L’hôtel appartient à l’émirat du Qatar, la salle de réunion est séparée d’un mur avec son ambassade. De plus, Infantino s’est rendu à l’une des réunions secrètes dans le jet privé d’un ami autocrate: Cheikh Tamim bin Hamad al-Thani, l’émir du Qatar.
(Adaptation par Matthias Davet)