Reportage à Stuttgart
Gregor Kobel sur le banc? Les Allemands ne comprennent pas!

La hiérarchie des gardiens décidée par Murat Yakin surprend énormément en Allemagne, où il paraît inconcevable que Gregor Kobel ne soit pas titulaire. Reportage à Stuttgart, autour du camp de base de la Nati.
Publié: 14.06.2024 à 13:29 heures
Gregor Kobel, dans l'ombre de Yann Sommer.
Photo: AFP
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Tim GuilleminResponsable du pôle Sport

Le premier thème de discussion à Stuttgart, où l'équipe nationale est installée pour toute la durée de l'Euro? Les gardiens de la Nati. Impossible de se présenter en tant que Suisse sans que la discussion arrive plus ou moins vite sur le thème de la non-titularisation de Gregor Kobel. 

«S'il était allemand, il serait titulaire»

Matthias a 14 ans, il porte le maillot de la Mannschaft et sort de ce magasin bio de Degerloch avec sa maman. Il aurait préféré aller à la boulangerie Treiber, juste à côté, pour avoir un pain au chocolat, mais sa Mutti est inflexible. Ce n'est pas l'heure! On profite de la dispute pour parler un peu avec le jeune homme, qui avoue son incrédulité quant au choix de Murat Yakin. «Gregor Kobel est le meilleur gardien de la Bundesliga. S'il était allemand, il serait titulaire, il est meilleur que Manuel Neuer», affirme le «Junge», lequel se dit supporter du VFB Stuttgart et du Bayern Munich, ce qui nous semblait pourtant difficilement compatible.

«Je suis pour Stuttgart en Bundesliga, mais je ne suis encore jamais allé au stade. Mais sinon je suis pour le Bayern», détaille-t-il. Et l'année prochaine, lorsque les Souabes joueront eux aussi la Champions League? «Pour Stuttgart.»

Sa maman ayant visiblement d'autres commissions à faire et multipliant les pressions sur la main de son fiston pour lui faire abréger l'échange, nous laissons Matthias tranquille. Direction la «Linden-Plätzle», la petite place sous les tilleuls. Un kiosque y vend les journaux du jour et, juste en face, un sympathique vieil homme fait une pause dans sa journée, visiblement peu agitée. Il lit les pages sports de Bild et l'approche est donc aisée. Que pense-t-il de la Nati? «J'aime bien Tranquillo Barnetta», commence-t-il par dire, ce qui ne le rajeunit ni lui, ni nous.

«Yann Sommer est bon. Mais Kobel est meilleur.»

Et sinon? «Sinon, vous avez un super gardien, Gregor Kobel.» Nous y voilà. Lorsqu'on suggère au septuagénaire (octogénaire?) que le «super gardien» ne jouera pas à l'Euro, le voilà qui demande l'identité du titulaire. «Yann Sommer», lui répond-on, ce qui semble l'étonner. «Je le connais aussi. Il est bon. Mais Kobel est meilleur.»

Gregor Kobel, l'homme (très) fort du Borussia Dortmund. Mais pas de l'équipe de Suisse.
Photo: keystone-sda.ch

Direction le centre-ville de Stuttgart et la magnifique Schloss-Platz, en plein centre ville. La Fan Zone est quasiment prête, mais le lieu n'est pas encore ouvert. Tout autour de la place, des galeries commerciales accueillent les clients et des «Gasthof» proposent les plats du jour accompagnés invariablement de bière, beaucoup, et d'eau minérale, un peu. Là aussi, la Nati ne suscite qu'un intérêt poli, mais la question du gardien est la première qui vient sur le tapis.

«Ah bon, il ne jouera pas?»

«Je ne suis pas très confiant pour l'Allemagne, et je pense d'ailleurs qu'on ne gagnera pas le match d'ouverture contre l'Ecosse. Tout se jouera au troisième match contre la Suisse. Et cette équipe défend bien, ce qui ne nous plaît pas», explique Alexander, qui a un billet en poche pour un 8es de finale, mais pas pour la phase de groupes. Et alors, voit-il la Mannschaft tout de même battre la Nati? «Kobel va nous poser des problèmes.» Mais Kobel ne jouera pas. «Ah bon?»

Les Allemands, on le voit, peinent à comprendre la logique prévalant en équipe nationale, où Murat Yakin a confirmé, voilà plusieurs mois, que la hiérarchie plaçait Yann Sommer tout en haut du trio de gardiens de la Nati.

Yann Sommer est le numéro 1 incontesté de la Nati. Mais est-il incontestable?
Photo: TOTO MARTI

Cette décision avait d'ailleurs provoqué la colère de Philipp Degen, l'agent de Gregor Kobel, lequel s'était insurgé de la situation en fin d'année dernière. Sans revendiquer ouvertement que son protégé joue, il avait plaidé pour une mise en concurrence objective et loyale. «Je dis: les meilleurs doivent jouer. Il s'agit de l'équipe nationale.»

Et, en décembre comme en juin, le meilleur des deux n'est pas Yann Sommer, même s'il a effectué de nombreux blanchissages pour l'Inter et qu'il sort d'une saison objectivement très bonne avec le champion d'Italie. «Les faits sont là devant nous. Il doit y avoir une évaluation juste et je doute sérieusement qu’elle soit faite correctement!»

Plus qu'envers Murat Yakin, le courroux de Philipp Degen était dirigé vers Patrick Foletti, l'entraîneur des gardiens de la Nati, jugé trop proche de Yann Sommer pour être totalement objectif.

«Ce que fait Foletti ne fonctionne pas»

«Ce que fait Foletti ne fonctionne tout simplement pas. Sa relation avec Yann est beaucoup trop étroite pour lui permettre une évaluation juste», s'était encore agacé Philipp Degen au mois de décembre.

Interrogé il y a quelques jours par Blick, Roman Bürki s'était lui aussi étonné du fait que Murat Yakin prenne sa décision aussi tôt. L'ancien gardien de la Nati est bien placé pour en parler, lui qui a claqué la porte de l'équipe nationale en 2019, lassé de son statut de remplaçant alors qu'il était titulaire au Borussia Dortmund, lui aussi, tandis que Yann Sommer l'était au Borussia Mönchengladbach. 

Yann Sommer est incontesté

Le fait est que Yann Sommer n'a jamais été contesté en équipe de Suisse et qu'il le doit aussi, et surtout, à ses performances. Même s'il ne s'aventure jamais loin de sa ligne, il reste une valeur très sûre et n'est jamais vraiment passé à côté. Comme tous les gardiens, il aurait pu faire mieux en plusieurs circonstances, mais il n'a jamais déçu sur la durée. Et il a été l'un des héros de 2021, ce qui n'est pas rien du tout à l'heure du bilan. 

En public, Yann Sommer et Gregor Kobel affichent en tout cas une belle unité et les discours ne sont pas offensifs. Gregor Kobel ne franchit jamais la limite, se contentant de dire que, comme tout le monde, il a envie de jouer, ce qui s'entend et n'est pas exagérément offensif. La communication de Yann Sommer est elle parfaite, comme toujours, y compris lorsqu'il parle de son concurrent (qui n'en est dans les faits pas vraiment un).

Et Yvon Mvogo dans tout ça?

Sinon? Le fait est que la Suisse possède trois très bons gardiens, puisqu'Yvon Mvogo est celui qui n'a pas encaissé de but lors des trois premiers matches de 2024, dès la première période au Danemark, où il a remplacé Yann Sommer, jusqu'à la fin du match contre l'Estonie en passant par l'Irlande. Le Fribourgeois est bien plus qu'un ambianceur de vestiaire, un rôle qu'il remplit également à la perfection, mais a prouvé que, le cas échéant, il était une alternative très crédible. Lui aussi serait sans doute titulaire au sein de la majorité des sélections qualifiées pour l'Euro. Mais il faudrait un énorme concours de circonstances pour qu'il voit le terrain d'ici au 14 juillet.

Yvon Mvogo, irréprochable quand il est fait appel à lui.
Photo: TOTO MARTI

Pour la suite, par contre, tout est ouvert. A 35 ans, Yann Sommer va-t-il s'offrir une sortie «à la Hugo Lloris», lequel a annoncé lui-même qu'il arrêtait sa carrière internationale et ouvrait ainsi la porte en grand à son successeur, Mike Maignan? Ou sera-t-il tenté d'aller jusqu'à la Coupe du monde 2026, ce qui serait étonnant tout de même?

Jusqu'où va aller Yann Sommer?

Une autre option serait d'arrêter sa carrière en rouge et blanc à la fin de l'année civile, après la Ligue des Nations. En tout cas, plusieurs observateurs de la Nati, et même quelques joueurs en privé lorsqu'ils se confient à leurs proches, pensent possible qu'un «deal» secret ait été mis en place entre Yann Sommer et Gregor Kobel, à savoir que le premier aurait dit au deuxième de simplement se montrer patient et de ne pas claquer la porte aujourd'hui, comme l'avait fait Roman Bürki en son temps.

Et puis, bien sûr, l'identité du prochain sélectionneur pourrait jouer un rôle. Murat Yakin, s'il continue, ne se déjugera certainement pas. Mais que pensera son éventuel successeur? Yann Sommer pourrait profiter de cette fenêtre de tir après l'Euro pour dire au revoir. Mais tout ceci est au conditionnel et avant cela, il y a un Euro à disputer, soit pour soigner sa sortie, soit pour prouver qu'il est digne de continuer. Place au terrain!

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