Quentin Maceiras témoigne
La Hongrie rêve à nouveau de gloire

Après une longue traversée du désert, la Hongrie, puissance mondiale du football au siècle dernier, est de retour. Et le Valaisan Quentin Maceiras se trouve au milieu de cette renaissance.
Publié: 14.06.2024 à 10:17 heures
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Les joueurs de Ferencvaros exultent après leur victoire dans le dernier match de la saison, le derby contre Ujpest. Le YB de Hongrie est devenu champion de Hongrie pour la sixième fois consécutive.
Photo: Sven Thomann
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Patrick Mäder et Sven Thomann

Dernière journée de championnat en Hongrie. Dans le joli stade de Felcsut, un village situé à environ 45 kilomètres à l'ouest de Budapest, les joueurs de la Puskas Akademia forment un cercle. Tous ont les yeux rivés sur un téléphone portable, attendant le coup de sifflet final du match opposant Fehervar à DVTK. Puis l'explosion de joie. Les joueurs de Puskas dansent, chantent, s'embrassent. 2181 spectateurs se joignent à eux en tribunes.

Non, Puskas n'est pas devenu champion. Le club fondé par Viktor Orban a délogé au dernier moment Fehervar de la troisième place, l'équipe de Szekesfehervar, la ville natale d'Orban, où les rois hongrois étaient autrefois couronnés. La fête se poursuit dans les vestiaires, le premier ministre est également présent, avec son ami d'enfance Lorinc Meszaros, le patron de Puskas Akademia, un milliardaire de 57 ans, autrefois simple plombier en difficulté financière, qui est devenu l'homme le plus riche de Hongrie. Orban et son pote Meszaros félicitent les joueurs pour leur saison, pour leur troisième place en championnat derrière Paks et le champion en série Ferencvaros Budapest. Ils sont fiers.

Viktor Orban a grandi à Felcsut, un village de 1800 habitants, bien entretenu, propre et riche. Le terrain de football en est la pièce maîtresse. L'académie a été construite en 2005. Aujourd'hui, on y trouve dix terrains de football, un hôtel, un centre de fitness, un restaurant pour les matches et, depuis 2016, l'un des plus beaux stades du monde: la Pancho Arena. Pancho est le nom que les Espagnols ont donné à l'idole hongroise du football, Ferenc Puskas, lorsqu'il jouait au Real Madrid.

Conçu et construit par de célèbres architectes hongrois, le stade ressemble à une cathédrale ou à un musée, à vous de choisir. La Suisse y a joué le match de qualification pour l'Euro contre Israël. Ce stade luxueux peut accueillir près de 4000 personnes, soit plus du double de la population de Felcsut. On pourrait aussi appeler cela la folie des grandeurs. En novembre, 2034 spectateurs ont assisté au match qui a fait de Granit Xhaka le seul détenteur du record de sélections en Suisse avec 119 matches internationaux.

Le népotisme à grande échelle

La manière dont ce petit temple du football a été financé fait l'objet de nombreux silences et de spéculations. Lors du voyage de Blick en Hongrie, nous rencontrons Patrik, 33 ans, physiothérapeute, qui a travaillé trois ans dans les environs de Berne. L'amour l'a fait revenir en Hongrie. Il n'est pas en bons termes avec Orban: «Il nous vole, distribue à ses copains de l'argent qui nous revient à tous. Il leur attribue des contrats de construction lucratifs et leur épargne des impôts. Il n'y a guère de perspectives pour les jeunes dans ce pays. Ceux qui peuvent partir, partent».

Depuis 2010, des sommes colossales ont été dépensés pour le sport en Hongrie. De nombreux nouveaux stades ont été construits, aux normes les plus élevées et généralement bien trop grands pour le nombre effectif de spectateurs. On reproche aux amis et aux proches de Vitkor Orban de s'enrichir à grande échelle grâce au népotisme. «Too busy», nous dit-on en réponse à notre demande écrite à la Puskas Akademia, «trop occupé». On ne nous laisse pas entrer dans la cathédrale du football de Felcsut, on ne nous répond pas. Et lorsque nous essayons tout simplement de nous rendre directement sur place, des gardes-barrières musclés nous barrent la route.

À Budapest, nous rencontrons Quentin Maceiras. Ce jeune homme de 28 ans, petit-fils d'immigrés suisses originaires de Galice, au nord de l'Espagne, est né et a grandi en Valais, où il est devenu footballeur. Le latéral a joué 84 matches entre 2016 et 2020 pour le FC Sion, puis est passé à YB, où il a remporté la coupe et deux fois le championnat avec les Bernois. Depuis l'été 2023, il joue en Hongrie pour Puskas Akademia.

Quentin Maceiras n'a rien à voir avec la politique. Lorsqu'il n'a plus été le premier choix d'YB en tant qu'arrière droit, son agent Michel Urscheler a cherché des solutions. Puskas Akademia était intéressé. «Je suis allé à Budapest avec ma copine. Nous avons visité la ville et, à Felcsut, les infrastructures du club. Les deux nous ont plu et impressionnés. Je suis ouvert à l'aventure, aux nouvelles cultures, aux nouvelles personnes et aux défis. J'en ai ensuite discuté avec ma famille, puis j'ai accepté et je ne regrette pas ce changement. Au contraire».

Il a rejoint l'équipe trois jours avant le début du championnat. Il habite à Budapest, fait la navette presque tous les jours en voiture vers Felcsut et s'est rapidement intégré malgré les obstacles linguistiques. Son bilan de la saison: 26 matches, trois passes décisives, sept cartons jaunes. Le club est satisfait de lui. Son contrat court encore pour une saison avec une option de prolongation. Le Valaisan peut s'imaginer rester plus longtemps. Il y a tout juste huit mois, le couple a un fils, Santiago. Un petit bonheur familial sur les rives du Danube.

«Varga, l'attaquant de Ferencvaros, marque toujours»

Financièrement, c'est même un peu mieux pour Quentin Maceiras en Hongrie qu'à YB. Et la troisième place finale donne plus de bonus que la quatrième. De quoi expliquer pourquoi la joie était si grande après le dernier match? «Honnêtement, je n'avais jamais vu ça! Ce n'était pas une question d'argent, mais d'honneur. Nous voulions cette troisième place et nous l'avons obtenue ensemble. Nous en sommes fiers».

Zsolt Nagy a contribué à ce succès en marquant onze buts et en délivrant cinq passes décisives. Il est international et en principe arrière gauche. Mais cette saison, l'entraîneur l'a placé à l'aile gauche. «C'était un coup de maître, il a vraiment fait une bonne saison», dit Quentin Maceiras en louant son coéquipier.

Outre les grandes stars qui jouent à l'étranger, comme Peter Gulacsi, Willi Orban (tous deux de Leipzig), Dominik Szoboszlai (Liverpool), Milos Kerkez (Bournemouth), Roland Sallai (SC Fribourg) ou encore Bendeguz Bolla (Servette, désormais Rapid Vienne), deux joueurs de Ferencvaros se sont particulièrement distingués dans le championnat national, aux côtés de Nagy. Le gardien Denes Dibusz met la pression sur Peter Gulasci, et l'attaquant Barnabas Varga a véritablement explosé. Quentin Maceiras, qui a joué contre lui, dit: «Il est très dangereux devant le but, il a du flair, il est bon de la tête et il marque tout simplement toujours».

Varga a joué neuf ans et demi en Autriche, a été transféré en Hongrie en deuxième division en 2020, puis a pris son envol quasiment à partir de rien, est devenu meilleur buteur du championnat la saison dernière dans l'équipe du Paks et cette année aussi sous le maillot de Ferencvaros.

Quentin Maceiras, la Hongrie et la Suisse s'affronteront le 15 juin. Vous connaissez les deux équipes. Qui gagnera?
C'est le premier match, très important pour les deux. Pour moi, les deux équipes se valent.

Ferencvaros a certes perdu la finale de la Coupe contre Paks, mais il est devenu champion pour la sixième fois consécutive. Pourquoi cette domination?
Ferencvaros est comparable à YB en Suisse: une infrastructure de pointe, beaucoup d'argent, des ambitions élevées, y compris au niveau international. La défaite en finale de la Coupe a été une grande surprise.

Quelle ligue est la plus forte - la Super League ou la NB I hongroise?
Il y a quelques équipes très fortes en Hongrie, et je compte aussi Puskas Akademia parmi elles. Mais si l'on considère l'ensemble de la ligue, la Super League est plus équilibrée, de meilleure qualité, le niveau est plus élevé.

Quelles différences voyez-vous entre les équipes nationales?
En Suisse, on accorde beaucoup d'importance à la circulation du ballon, à la technique et à la construction du jeu. En Hongrie, la compacité est importante. Lors de l'Euro, l'équipe nationale défendra probablement à cinq et jouera en contre. Les coups-francs et les corners sont très importants dans le jeu hongrois. Fermer le jeu à l'arrière et marquer un but sur un coup de pied arrêté, tel est, pour simplifier, le concept de jeu. Pour la Suisse, il sera certainement difficile de trouver des espaces offensifs. Il faudra être patient.

Regardez-vous les matches à la télévision?
Oui, bien sûr, tranquillement chez moi avec ma famille. Et j'espère que mon ami Vincent Sierro aura le plus de temps de jeu possible. Je croise les doigts pour lui.

Même si les stades sont souvent à moitié vides, la Hongrie est un pays fou de football. «C'est surtout l'équipe nationale, symbole de fierté et de force, qui peut déclencher beaucoup d'émotions», explique Zoltan Halas, Senior Writer au journal «Blikk» à Budapest. Il suppose que de nombreux supporters se rendront en Allemagne sans billets et mettront l'ambiance dans les rues. «Le fait que la Hongrie participe pour la troisième fois consécutive à une phase finale de l'Euro montre l'évolution qui a été faite». C'est le résultat des investissements de Viktor Orban, mais aussi de l'expérience que les joueurs de haut niveau ont pu acquérir à l'étranger ces dernières années.

En outre, le sélectionneur italien joue un rôle déterminant. «Marco Rossi fait un travail formidable. Il sait exactement comment prendre les joueurs et favorise une atmosphère familiale au sein de l'équipe. C'est une grande force de l'équipe nationale. Chacun sait ce qu'il doit faire, tout le monde est important et tout le monde se serre les coudes».

Marco Rossi, lui-même ancien joueur (entre autres Brescia, Sampdoria, Eintracht Frankfurt), est parti en 2012 en Hongrie en tant qu'entraîneur de club (Honved Budapest, DAC Dunajska Streda). En 2018 il a repris l'équipe nationale, a réussi à se qualifier pour la phase finale de l'Euro 2021, où tout s'est arrêté après la phase de groupes. Les statistiques qui ont suivi jusqu'à aujourd'hui sont impressionnantes: 16 victoires, neuf matchs nuls, huit défaites. Parmi elles, les victoires historiques à l'extérieur en 2022 contre l'Angleterre (4-0) et l'Allemagne (2-0) en Ligue des Nations. En Hongrie, il n'y a personne qui puisse dire du mal de Marco Rossi, lequel a dernièrement obtenu le passeport hongrois. «C'est un gros travailleur», dit Halas. «Il est très apprécié des joueurs».

Quand la Hongrie était une puissance mondiale en matière de football

En Hongrie, on rêve du bon vieux temps. On n'a pas oublié l'époque où l'on a atteint deux fois la finale de la Coupe du monde (1938, 1954) et où l'on a remporté trois fois l'or olympique (1952, 1964, 1968). Dans le bureau de Gabor Kiraly, le gardien de légende qui a mis fin en 2019 à son impressionnante carrière à l'âge de 43 ans et qui dirige aujourd'hui une académie de football dans sa ville natale de Szombathely, près de la frontière autrichienne, les stars de «l'équipe en or» de l'époque sont accrochées au mur dans des cadres dorés. Puskas, Bozsik, Hidegkuti, Kocsis, Grosics et tous les autres, peut-être la meilleure équipe de football de tous les temps. Gabor Kiraly dit: «Ils sont accrochés ici pour une raison. Ils doivent inspirer et motiver les gens. Ces joueurs ont montré que tout était possible dans la vie».

Quentin Maceiras a lui aussi un beau rêve. «Un jour, j'aimerais jouer pour le Deportivo, en Galice, la terre de mes ancêtres». Si cela se réalisait, il pourrait à nouveau évoluer dans un stade magnifique. L'Estadio Riazor est magnifiquement situé sur la plage de sable de l'Atlantique, qui orne le centre-ville de La Corogne.

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