«L'équipe de Suisse me manque», disait Kevin Mbabu début février à Blick, qui lui avait rendu visite à Augsbourg. Murat Yakin lui a sèchement répondu cette semaine que le contraire n'était visiblement pas vrai, en l'écartant une nouvelle fois à l'aube d'un grand tournoi. Le latéral genevois avait déjà été privé de désert en 2022, le sélectionneur ayant décidé de ne pas l'emmener au Qatar, préférant... se passer d'un latéral droit remplaçant à Silvan Widmer plutôt que de partir avec le Genevois. Cette fois, au moins, Murat Yakin a prévu une solution de repli en sélectionnant Leonidas Stergiou, au profil certes différent de Kevin Mbabu, mais sans qu'il s'agisse d'une décision complètement incompréhensible cette fois.
Un choix qui fait mal
Il n'en reste pas moins que la décision est dure pour le latéral droit d'Augsbourg, lequel, lors de cette fameuse visite de février, nous confiait que ne pas avoir pu se rendre au Qatar avait été «une immense déception» et qu'il espérait bien être de la partie cette fois, lui qui venait d'être passeur décisif contre le Bayern Munich après l'avoir été face à Mönchengladbach. «J’espère y être, mais je sais que j’ai encore du chemin à faire. Je dois enchaîner les bonnes performances et grâce à elles ne pas laisser d'autre choix aux gens qui décident que de me convoquer.» Visiblement, Murat Yakin avait le choix. Et il a opté pour celui qui fait mal.
Une question demeure, six ans après les débuts du Genevois en équipe nationale, dans la foulée de la Coupe du monde en Russie. La succession de la légende Stephan Lichtsteiner, indétrônable tant qu'il était en forme, est alors ouverte et Kevin Mbabu déboule dans le grand monde, à 23 ans, fort de sa fraîcheur et de ses évidentes qualités de percussion, qu'il démontre semaine après semaine avec Young Boys. Ses premières apparitions en rouge et blanc sont bonnes et son déficit technique et tactique par rapport à ses concurrents, dont Michael Lang, est alors vu comme faisant partie de sa marge de progression.
Deux passes décisives contre la Belgique
Il attaque fort, il va vite et, en novembre, alors que la Suisse dynamite la grande équipe de Belgique (5-2) à Lucerne, il délivre deux passes décisives et éteint complètement Eden Hazard, son concurrent direct dans le match! Le pays entier est sous le charme de ce latéral attachant, pas toujours adroit et précis, mais dont l'énergie et le charisme réjouissent les coeurs. Kevin Mbabu est heureux d'être là, ça se voit, et la Suisse du football lui rend cet amour.
Titulaire indiscutable au final four de la Nations League, où la Suisse s'était invitée grâce à ce succès face à la Belgique, il est alors indiscutable. 90 minutes contre le Portugal, 120 contre l'Angleterre, Kevin Mbabu est le titulaire du poste, la concurrence est éteinte. Il peut jouer latéral droit, mais aussi piston, où son explosivité fait merveille.
S'il brille en sélection, la vie en club se passe de manière moins linéaire. Là où son enthousiasme fait fureur en équipe de Suisse, ses limites pour le très haut niveau se font un peu trop remarquer au quotidien en club, où ses formidables qualités de contre-attaquant ne masquent pas un certain laxisme en phase défensive. Il progresse, certes, réalise plusieurs prestations de haut niveau, mais la régularité lui manque. Il se blesse, aussi. Et peine à enchaîner.
Il sort de l'équipe pendant l'Euro 2021
Son vécu et ses qualités lui permettent de revenir en sélection et de disputer l'Euro 2021, qu'il débute comme titulaire. Le premier match, un 1-1 contre le pays de Galles, ne présente rien de particulier, contrairement à la lourde défaite 3-0 à Rome contre l'Italie lors de la deuxième rencontre. La Suisse se retrouve à un souffle de l'élimination, la pression grandit autour de Vladimir Petkovic, qui le sort à la 58e et ne le fera plus jamais débuter. Ni lors du troisième match contre la Turquie (une minute), ni en 8es contre la France (47 minutes, prolongations comprises) et en quarts contre l'Espagne (vingt minutes). Son dernier match lors d'un grand tournoi.
Murat Yakin, c'est un constat objectif, ne lui accorde alors pas la même considération que son prédécesseur Vladimir Petkovic, même lorsqu'il le rappelle ce printemps après une longue période de 21 mois sans convocation. Six minutes au Danemark, 25 en Irlande, voilà le maigre total auquel a droit Kevin Mbabu pour se montrer. Face à l'Estonie ce mardi à Lucerne, il n'est même pas sorti du banc. Le message était clair: il pouvait déjà réserver ses vacances, avec un billet d'avion pour le lendemain.
La partie de cartes, cette broutille
Ressurgit alors le spectre de cette fameuse partie de cartes de juin 2022 avec Jordan Lotomba à Genève, la veille d'un match, une fois le couvre-feu passé, dont il ne faut pas sur-estimer l'impact, mais que lui-même cherche à relativiser. Il a eu l'élégance, et l'intelligence, de ne jamais s'apesantir là-dessus, même s'il y aurait visiblement des choses à dire concernant l'extrapolation faite autour de cette histoire et de l'injustice subie. En clair: oui, partie de cartes à peine trop tardive il y a eu. Mais d'autres joueurs (des cadres) n'étaient pas trop loin et il ne leur a été rien reproché, à eux. Et l'erreur était tellement bénigne qu'elle ne justifiait rien d'autre, probablement, qu'une remise à l'ordre sans aucune conséquence. Une broutille, en somme, mais le fait, que deux ans plus tard, ni Jordan Lotomba, ni Kevin Mbabu ne seront à l'Euro en Allemagne.
A lui de faire le bon choix de club
A 29 ans, il apparaît inconcevable qu'il n'ait que 24 sélections au compteur, mais la réalité est celle-ci. Il a encore le temps, bien sûr, de s'imposer, surtout que personne n'est indiscutable à son poste, où Silvan Widmer est un bon soldat, un élément fiable, mais pas un cador indétrônable. Et que derrière la relève n'est pas évidente, même si de très bons joueurs se profilent évidemment. Oui, Kevin Mbabu a le temps de revenir et de s'imaginer disputer la Coupe du monde nord-américaine, mais il ne devra pas se tromper sur son prochain choix de club, que ce soit en Suisse ou à l'étranger, lui qui est sous contrat avec Fulham jusqu'à l'été 2025, mais dont le futur proche semble loin de Craven Cottage.
Si sa carrière en club n'est pas linéaire, et qu'il peine à s'imposer en Premier League, ce qui n'est évidemment pas honteux en soi, il peut aujourd'hui encore nourrir l'ambition de devenir titulaire dans un championnat du top 4 européen, ce qui n'est de loin pas illégitime, pour une bonne raison: il a prouvé être trop fort pour le championnat de Suisse. Ce ne sont pas des mots ou une vue de l'esprit: il l'a démontré en revenant à Servette lors de la deuxième partie de la saison 2022/23, quatre mois où il brille dans un collectif formidable, qui va chercher le titre de vice-champion de Suisse. Et ses prestations avec Augsbourg ce printemps sont plutôt de bonne facture, ce qui lui donne des raisons objectives de croire encore en sa bonne étoile. Et de, cette fois, ne laisser vraiment plus le choix au sélectionneur, quel qu'il soit, de lui faire une place au chaud dans le contingent qui aura l'ambition de se rendre à New York et Mexico à l'été 2026.