Par Tim Guillemin
Le plus fou, c’est que c’est normal

La Suisse n'a même pas eu besoin de faire un exploit pour battre l'Italie, ce qui en dit long du chemin parcouru et de la profondeur du travail effectué, estime notre journaliste Tim Guillemin.
Publié: 30.06.2024 à 12:17 heures
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Dernière mise à jour: 30.06.2024 à 15:07 heures
Yann Sommer et ses coéquipiers peuvent célébrer: ils sont en quarts de finale de l'Euro, trois ans après!
Photo: TOTO MARTI
Tim Guillemin

Est-ce plus beau de battre la France en croyant ne plus avoir aucune chance et en l'éliminant au bout du suspense aux tirs au but, en étant passé à deux centimètres de l'élimination, comme en 2021? Ou est-ce plus jouissif de sortir l'Italie sans avoir tremblé un seul instant, tant la qualification est revenue à la meilleure équipe, ce samedi à Berlin?

Plaçons-nous ici, dans un premier temps, uniquement sur le terrain des émotions, de la rivalité et du grand public, celui qui descend dans les rues pour fêter et qui fait d'une grande compétition un événement unique, fédérateur, un moment où le monde du football fait pleinement partie de la société et qui le rend à part.

En termes d'émotions, rien ne surpasse le succès contre la France

Dans cette optique-là, la victoire contre la France est incomparable. Le scénario, la dramaturgie, le fait qu'il s'agisse du premier quart de finale depuis 1954, que la Suisse ait enfin brisé son plafond de verre, l'arrêt de Yann Sommer devant Kylian Mbappé, la danse de Paul Pogba à 3-1 pour la France, le monde qui sort du Covid... Cette victoire, en termes d’émotions et d'euphorie collective, reste la plus grande. Si la Suisse gagne l'Euro le 14 juillet à Berlin, ou même atteint la finale, il sera peut-être temps de redessiner la hiérarchie, mais, pour l'heure, Bucarest le 28 juin 2021 reste devant.

Sur le plan du prestige, aussi. L'Italie restera toujours l'Italie, mais son bleu était bien pâle ce samedi, il faut écrire la vérité, et, objectivement, le onze de départ de la Nati n'avait pas grand-chose à envier à celui de la Squadra. Il est ainsi toujours intéressant de se demander combien de joueurs d'une équipe seraient titulaires dans l'autre. En 2021, la France aurait peut-être accordé l'asile dans son onze à Granit Xhaka (et encore, N'Golo Kanté et Adrien Rabiot sont deux joueurs magnifiques) et à Manuel Akanji (pas sûr non plus), éventuellement à Yann Sommer par rapport à Hugo Lloris. Trois, au maximum, en étant gentil.

L'effectif suisse peut regarder celui de l'Italie dans les yeux

Luciano Spalletti, ce samedi, aurait certainement choisi de remplacer la majorité de ses titulaires par ceux de la Suisse, y compris avant le match. Aujourd'hui, parmi tout son formidable vivier, riche de son histoire exceptionnelle et de sa culture du jeu, l'Italie n'a pas un joueur du profil de Dan Ndoye, sans même parler de Manuel Akanji et de Granit Xhaka. Et même en pointe, pas sûr que Gianluca Scamacca et Mateo Retegui puissent se permettre de prendre Breel Embolo de haut. Ce simple constat, objectif, dit tout du travail de fond effectué depuis des années par l'ASF et de la qualité de la formation des footballeurs d'élite dans ce pays.

Une victoire pour tous les éducateurs de ce pays

Durant des années, la Suisse était en retard sur ses voisins, et sur les autres pays de taille similaire comme la Belgique et, évidemment, les Pays-Bas et leur formidable école du football. Le système éducatif était à la traîne, le football n'était pas la priorité et ceux qui arrivaient au plus haut niveau, comme Stéphane Chapuisat, y parvenaient grâce à eux-mêmes, pour schématiser un peu. Mais l'ASF a su évoluer avec son temps, a mis en place des programmes de formation et le fait qu'en 2024, la Suisse puisse rivaliser dès le coup d'envoi avec l'Italie et l'élimine sans trembler un seul instant est une victoire pour tous les éducateurs du pays, lesquels ont tous accompagné Silvan Widmer (en Argovie), Dan Ndoye (sur la Côte), Michel Aebischer (Fribourg et Berne), Fabian Schär (Saint-Gall) et tous les autres dans leur ascension, sans oublier bien sûr l'immense mérite du FC Bâle d'avoir amené Yann Sommer, Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri, entre autres, là où ils sont aujourd'hui.

Le fait d'avoir battu l'Italie en étant meilleure qu'elle est une récompense du travail de fond effectué. Pas un exploit ponctuel. Et au cœur de ce constat réside la satisfaction la plus forte et le plus bel enseignement de ce samedi 29 juin à Berlin: la Suisse est devenue une nation qui compte de manière constante et n'a même pas besoin de forcer son talent pour arriver en quarts de finale d'un grand tournoi. 

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