Ils rêvaient d’une victoire ensoleillée. Ils l’ont obtenu en Argentine, où le pays est en liesse dans cette soirée d’été de l'hémisphère sud. Buenos Aires est en transe. Mais ici, à Paris, les larmes de bonheur des supporters argentins se mêlent à la pluie qui tombe dru sur la place de la Concorde. J’y suis. Au milieu d’eux. Entourés de cars de police. La nuit est bleutée. Il ne manque qu’un drapeau bleu clair et blanc au sommet de l’Obélisque qui, dressé, ressemble à la France qui ne s’est inclinée qu’in extremis, aux tirs au but.
Ils sont Espagnols, Chiliens, Italiens ou… Français. Ils ont regardé la finale sur les Champs-Élysées ou dans les rues adjacentes, prêts à se ruer sur l’avenue symbole. Et ils sont là, canalisés par les policiers. Drapeaux sortis, maillots revêtus, hymne national lâché comme une salve. Les forces de l’ordre s’en amusent. La France a perdu. Des fumigènes bleu-blanc-rouge jaillissent près de l'Arc de Triomphe. La place de l'Étoile est fermée. Mais Paris danse au rythme de leur tango. Celui de la victoire et de la gloire pour le maestro Messi.
Je redoutais la bagarre, mais…
Ils rigolent en me voyant, trempé, faire des photos depuis mon scooter. Je redoutais la bagarre, les débordements, des Champs-Élysées de nouveau transformés en champs de bataille post-finale. A part quelques feux d’artifice tirés dans la nuit mouillée, rien. Pour le moment du moins. L’atmosphère est bon enfant.
Les automobilistes coincés dans leurs voitures voient passer devant eux l’impressionnant défilé de supporters. Mais d’où sortent-ils, tous ces Argentins de Paris? L’un d’entre eux me fait signe. Il sort de sa poche un drapeau français. La belle aubaine. L’Argentine n’est pas un vainqueur comme les autres. Le Brésil aurait rimé avec revanche. L’Angleterre aurait réveillé les pires drames de l’histoire de France. Ne parlons pas de l’Allemagne. Une partie de Paris rêvait du Maroc en finale. Mais ce soir, Paris a un goût de Buenos Aires. Sauf qu’il pleut. Il fait froid. Le tango ne se danse pas sous un ciel gris d’hiver.
Maria et Maradona
Maria me regarde et me lance son drapeau, me demandant de l’attraper. Elle est suivie, depuis l’Arc de triomphe, par une équipe de télévision qui lui a déjà posé toutes les questions. Maria est étudiante. Elle aussi vient de Rosario, comme Messi. Je n’y crois pas.
Elle me sort son passeport, me montre des photos de la ville natale du buteur prodige. Tous Argentins? Non. Tous latinos, oui. Sauf peut-être les fans du Brésil. Ce soir, aucun ne me parle de Neymar et de son regret d’avoir vu les Brésiliens battus. Même sur le pavé parisien, la rivalité footballistique entre les deux pays est éternelle. Pelé est en soins palliatifs. Entre la vie et la mort. Je demande à ces fans s’ils lui dédient cette victoire? Mmmmh… Personne ne répond. La gloire de Messi ne se partage pas. Sauf avec Maradona.
Diego. Son visage flotte soudain devant l’hôtel Crillon. Patrizio l’a dessiné sur un drapeau. Maradona est là. Avec eux. «Cette victoire est la sienne. Messi n’a pas son sens de la fête et du peuple. Alors, Vive Maradona», me lâche un fan qui se fait soudain klaxonner par un chauffeur énervé d’attendre. On craint le pire. Maradona, décédé en novembre 2020, risque d’être le héros d’un dérapage.
A Montpellier, le soir de la demi-finale, un jeune homme est mort accidenté, suite à ce genre d’altercations. Mais surprise: le conducteur descend de sa voiture. Il sort une photo de Messi. Sylvain est d’origine portugaise. Il fait d’abord applaudir Mbappé, puis lance «Ce soir, c’est la Place de la Concordia.»
Il est 22h15. La place de la Concorde mérite pour une fois bien son nom. L’Argentine a domestiqué Paris, cette capitale blessée par la défaite des «Bleus». La France du foot va sécher ses larmes en revoyant les trois buts de Mbappé. Les «Bleus» rentreront au pays lundi en fin d'après-midi. Pour l'heure, Paris, sa capitale qui révait de fêter un nouveau trophée, encaisse et salue la joie des enfants de Diego.