Paris est assommée. Sonnée. Une capitale blessée par celui qui l’a pourtant choisi pour finir sa carrière. Lorsque Lionel Messi a marqué, durant cette finale de légende, Luc et ses copains réunis à La Marine, un bar du quartier Montparnasse, ont d’abord hurlé. Trop dur. Puis tous ont regardé dehors. Il est 20 heures et la capitale française offre le visage d’une tristesse infinie. Pas de klaxons. Des cars de police restés, pour le moment, prostrés le long des rues. Place de la Concorde, le barrage policier fait ricocher sur le pavé mouillé une nuit bleutée. Une foule de supporters argentins se dirige vers le métro. La fièvre attendue s’est logiquement évaporée. La défaite des «Bleus» a, d'un seul coup, fait plonger la température dans tous les sens du terme. Léo Messi et les siens ont fait tomber le ciel sur la tête des supporters parisiens, que le retour en force du onze tricolore, en fin de match, avait galvanisés.
Une séance des tirs au but en forme de calvaire
Luc est instituteur. Autour de lui, quatre copains d’université venus spécialement de l’Essonne, dans la banlieue sud de Paris. Tous avaient prévu le reste de leur soirée, malgré la bruine et le froid qui pique. D’abord les Champs-Élysées, puis la Tour Eiffel, et un «after» dans des bars parés du drapeau bleu blanc rouge, du côté de la gare de Lyon. Mais rien de tout cela n’aura lieu. Les cinq larrons y ont pourtant cru. Ils se sont enflammés. Puis la séance des tirs au but est devenue le calvaire que l’on sait. Leurs voisins baissent aussi la tête. Rien à dire. Sauf à parler d'Emmanuel Macron, déjà accusé d'avoir voulu récupérer les «Bleus». Le président, bouc émissaire ? Les messages fusent sur les réseaux sur le coût de son aller-retour Paris-Doha. Il faut bien trouver un coupable à cette flamboyante défaite, jouée sur le coup de dés des penalties. «Rien à voir avec 2006 face à l’Italie précise l’un des convives, maillot des bleus enfilés sur son pull. Là, on s’est tous dit que nous allions réussir l’impossible. Mbappé mérite de revenir en roi. Messi, c’est le passé. Kylian, c’est l’avenir».
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Au rond-point des Champs-Elysées, des ombres jouent à cache-cache avec les policiers. La foule des Argentins est bonhomme, mouillée, heureuse. Comme pour la demi-finale gagnée contre le Maroc, le dispositif sécuritaire est impressionnant. Si la France avait gagné, le Tout-Paris se serait retrouvé ici, enivré par la victoire. Emmanuel Macron en aurait peut-être profité. Là, presque rien. Le nom du président est moqué. On lui préfère Mbappé. On regrette la sortie de Giroud. Personne ne parle de l'absent Benzema. Des groupes allument des fumigènes. Un pétard retentit. Les forces antiémeutes savent que tout peut encore dégénérer. Mais la foule n’est pas au rendez-vous. Le froid et la tristesse ont fait leur œuvre. Nathalie et sa sœur sont restées, pour le match, assises à l’intérieur du drugstore de la place de l’Étoile, face à l’Arc de Triomphe. Elles ne savent plus que faire des drapeaux qu’elles s’apprêtaient à brandir, le long de la prestigieuse avenue. Alors l’une d’entre elles sort un crayon et écrit devant nous, en rigolant, le nom de Kylian Mbappé accolé d’un cœur. Trois buts. Paris est fier, ce soir, de ne pas avoir, cette année, laissé partir son «kid» vers le Real Madrid.
Messi dans toutes les têtes
Lionel Messi est aussi dans toutes les têtes, sur toutes les lèvres. Sur les écrans des téléphones portables, les supporters de l'«Albicéleste» se repassent ses buts et le moment fatal, lorsqu’il brandit la coupe du Monde dans le stade de Lusail. Les voitures qui s’étaient préparées à rouler pare-chocs contre pare-chocs dans la capitale s’étonnent presque de circuler librement, sauf place de la Concorde, où les piétons et les policiers font la loi. Les jeunes venus de la banlieue se demandent maintenant que faire. Comment fêter une défaite, même si elle est glorieuse?
Paris est assommée, mais l’animosité n’est pas au rendez-vous. Ni la rancœur. Les Argentins rigolent. Les Français acceptent leurs selfies, leurs danses et leur fierté. Les mots «finale surnaturelle», «finale si cruelle» reviennent. Personne ne désigne de fautifs. Chacun a retenu son moment clé, comme cette 80e minute à partir de laquelle tout s’est emballé. La France est vice-championne du monde. Avec ses deux étoiles déjà sur son maillot, elle peut l’accepter. «Il n’y a pas de coupable. Pas de moment négatif comme cela fut le cas pour d’autres matches.
Le destin et la colère
«On a perdu par ce que c’était le destin» risque une jeune militaire en patrouille de l’opération «Sentinelle». Ils sont trois, en uniforme, à circuler dans ce quartier Montparnasse où les policiers redoutent des incidents tardifs. Isabelle est engagée dans l’armée depuis 2016. Elle se souvient de la finale de 2018, regardée dans sa caserne de Montauban (Tarn et Garonne). Cette fois, les trois soldats ont regardé des bouts de match dans leurs véhicules. Isabelle n’en dira pas plus. Ah, si… La voilà qui se retourne: «Ce sélectionneur argentin s’est quand même sacrément emporté contre Deschamps. Ce n’est pas normal de se comporter ainsi». Les leçons de la soirée ne sont pas toutes tirées.
Le dépit parisien commence à laisser place à la colère. Emmanuel Macron devient l'objet des discussions. La folie footballistique s'est évaporée. La soirée va-t-elle demeurer calme et éplorée? Kylian Mbappé est, ce soir, le roi d’une France qui ne comprend pas comment elle a pu perdre, après avoir si bien redressé la tête et donné le tournis à la planète du ballon rond.